L’identité belgo-congolaise : “Un jeu d’équilibriste”
Par Léa Dornier, Mathurin Serelle, Baptiste Gillot et Pierre de Bellegarde
L’identité belgo-congolaise : “Un jeu d’équilibriste”
L’identité belgo-congolaise : “Un jeu d’équilibriste”
Par Léa Dornier, Mathurin Serelle, Baptiste Gillot et Pierre de Bellegarde
October 7, 2022
Sur la table, des bières Primus ou Tembo. Des bananes plantains accompagnent les nombreuses boissons. Sur la carte, on trouve du poulet à la moambe, du pondu ou encore du poisson braisé. Entre les tables, des éclats de rires viennent rythmer les conversations animées. Le brouhaha des lieux rivalise avec la musique ambiante. Certains clients improvisent même des pas de danse à l’écoute de grands noms comme Tabu Ley Rochereau, Fally Ipupa ou Papa Wemba. Des endroits comme celui-ci, on en trouve plusieurs à Matonge (Bruxelles). Haut lieu de rencontres des Belgo-Congolais, l’endroit a acquis au fil des années une renommée culturelle internationale. Aujourd’hui, le quartier fait partie intégrante de l’identité belgo-congolaise. Une identité aux multiples facettes.
Matonge, miroir de la culture congolaise à Bruxelles
« C’est un chouette quartier. Il se passe plein de choses de jour comme de nuit. C’est cool de se dire qu’à Bruxelles, on a des rues où la culture congolaise est valorisée », nous confie Delphine Wil, réalisatrice belgo-congolaise. Salons de coiffure pour cheveux crépus, épiceries exotiques, magasins de wax, bars et restaurants africains, ces endroits sont des lieux de rencontres et de vie. Pour les qualifier, les Congolais utilisent le terme « nganda ».
L’origine de ce quartier remonte aux années 1950. Sarah Demart, sociologue à l’Université libre de Bruxelles, l’explique dans son article « Histoire orale à Matonge (Bruxelles) :un miroir postcolonial ». À cette époque, la communauté belgo-congolaise fréquente déjà les cafés et boîtes de jazz de la Rue de Stassart, attenante à la porte de Namur. Il s’agissait “d’évolués” (voir encadré ci-dessous). Un certain Mobutu Sese Seko, futur président de la République démocratique du Congo (RDC), côtoie régulièrement les lieux. Il était stagiaire en journalisme. Parmi les cafés congolais, on trouvait également « l’Union des femmes coloniales », une institution qui apprenait aux femmes à remplir leur rôle de « bonnes épouses » en territoire colonial.
Dans les années 1960, après l’indépendance du Congo, de plus en plus d’étudiants congolais aisés viennent en Belgique. Afin de les accueillir, la Maison Africaine est créée. Située à deux pas de la chaussée d’Ixelles, elle loge et nourrit les ressortissants en échange d’une somme modeste. L’organisation deviendra naturellement un espace social où fêtes et conférences seront organisées. « Seule l’élite congolaise était sur place, la majorité des étudiants était de passage », précise Colette Braeckman, ancienne journaliste au Soir, spécialiste du Congo.
En 1970, la boîte de nuit « Le Mambo » fait son apparition. Située entre les chaussées de Wavre et d’Ixelles, elle façonne le quartier comme un point de concentration congolais, d’autant plus que les employés sont exclusivement de cette nationalité.
Quelques années plus tard, un café congolais s’ouvre dans les galeries d’Ixelles, le « Nganda Matonge ». «Les galeries sont progressivement désinvesties par les commerçants belges à la faveur des galeries de la Toison d’or, récemment inaugurées dans le quartier Louise », précise Sarah Demart. Elle ajoute : « D’autres commerces et ngandas viendront composer ce nouveau paysage commercial dans les galeries mais également dans les rues avoisinantes, bien au-delà de l’actuelle délimitation de Matonge. » Le quartier est né.
Évolution du quartier
Le Zaïre, nom porté par l’actuel RDC entre 1971 et 1997 connaît des importantes crises politiques et économiques dans les années 1980. Face à la situation, beaucoup de Congolais prennent la même décision : quitter le pays pour s’installer en Belgique. « Les opposants au régime risquent leur vie en restant au Congo. Beaucoup de réfugiés politiques viennent donc en Belgique. La migration s’accentue encore dans les années 1990 avec le massacre de Lubumbashi. Les guerres qui ont suivi ont engendré des demandes d’asiles », indique Colette Braeckman.
A Lubumbashi, dans la province du Shaba, une expédition punitive est menée dans la nuit du 11 au 12 mai 1990 contre des étudiants de l’université. Le gouvernement dira que les violences ont fait un mort et trente blessés. Pour la presse belge, et des ONG comme Amnesty, ce sont plutôt des dizaines de victimes qu’il faut déplorer. Certaines sources avaient fait état de cinquante, voire de cent et même cinq cents morts. Des personnes sur place parlent d’une opération venant de l’État et du président Mobutu, visant à empêcher la contestation étudiante qui commençait à monter. Ce sera le massacre de Lubumbashi.
Dans les années 2000, le quartier est victime de stigmatisation. En cause : la délinquance juvénile s’amplifie. Les nombreux contrôles policiers accentuent une tension déjà apparente. Afin de redorer l’image de Matonge et de « déconstruire les préjugés liés à l’immigration africaine » l’Observatoire Bayaya organise des visites guidées. Ngyess Lazalo Ndoma, fondateur de l’association, se rappelle de l’évolution du quartier. « À l’époque, Belges et Africains étaient mélangés. Mais à partir des années 2000, le quartier est devenu difficile, il y avait une crise… Nos habitués étaient toujours là, mais de de plus en plus de gens venaient pour y prendre des photos. Ce regard était nouveau. Pour les commerçants, c’est comme s’ils étaient dans un zoo. » Aujourd’hui, Matonge s’est apaisé. La réputation d’insécurité du quartier a laissé place à la volonté de valoriser la culture congolaise.
Delphine Wil est une réalisatrice belge. Elle est née en Allemagne et a grandi en Belgique. Elle considère qu’elle a un mode de vie européen et qu’elle a baigné dans une culture occidentale. Quelque chose lui a toujours manqué. Elle a toujours senti dans le fond de son cœur et dans le fond de ses tripes, qu’elle n’était pas complète. Ce quelque chose, c’est la culture congolaise. Sa mère est née au Congo, mais n’y a que très peu vécu. Elle n’a donc pas pu transmettre à sa fille l’essence de ses racines.
Mon travail est une porte d’accès vers la culture congolaise.
Delphine Wil s’est toujours sentie attirée par le Congo. Elle a donc naturellement orienté son travail vers cette thématique. « C’est ça qui m’inspire et qui me guide. Je n’ai pas envie de parler d’autre chose. Ça m’anime au quotidien. Pour moi, c’est important de ne pas oublier d’où on vient, de connaître ses racines. Mon travail est une porte d’accès vers la culture congolaise »,affirme-t-elle.
Ses projets professionnels lui ont permis de se rendre plusieurs fois au Congo. Elle a réalisé en 2017 le documentaire Mémoire des missionnaires. Il retrace l’histoire des missionnaires belges partis au Congo durant l’époque coloniale. Le film s’inspire de sa famille puisque son grand-père, qu’elle n’a jamais connu, était un missionnaire qui a quitté les ordres. Il est tombé amoureux d’une Congolaise, sa grand-mère, et a eu des enfants. Elle a réalisé en 2021 une série de trois podcasts : Sous l’eau, les larmes du poisson ne se voient pas, qui est justement la reconstitution de son récit familial. La quête d’un passé douloureux, d’une vérité enfouie et méconnue.
La jeune femme n’est pas la seule Belgo-Congolaise pour qui le Congo est une source d’inspiration professionnelle. Hélène Salumu Lenge a monté son propre salon de coiffure, Uzi Hair Bar à Etterbeek. L’établissement, aux murs blancs et roses, est un petit espace épuré. En proposant des soins spécialisés pour les cheveux crépus et bouclés, la coiffeuse s’inscrit, elle aussi, dans une volonté d’assumer sa culture et ses racines congolaises. Le nom de son établissement lui-même vient du Swahili, un des dialectes de la République démocratique du Congo (RDC). Uzi veut dire « fil » et « Uzi ya nywele » signifie « fibre capillaire ». L’inscription « nywele » figure d’ailleurs en lettres d’or sur l’un des murs.
L’idée de créer son propre salon de coiffure lui est venue grâce à ses voyages en Afrique, sur la trace de ses origines : « Je suis venue pour la première fois à Kinshasa en 2014. J’ai réalisé que la culture congolaise est riche et qu’il y a un savoir-faire qui se perd. » Ce savoir-faire capillaire, elle a voulu le développer en Belgique aussi. En faire profiter aux autres Belgo-Congolais qui, comme elle, vivent à Bruxelles. Les salons de beauté sont ici des lieux de convivialité et d’expression de la culture belgo-congolaise. « Prendre soin de mes cheveux, en les laissant crépus, me permet de retrouver mon identité. C’est une symbolique forte », assure Hélène Salumu Lenge.
Retrouver son identité
Le travail que Delphine Wil a mené pour réaliser son documentaire et ses podcasts s’est ponctué de moments heureux et d’autres plus difficiles. « J’ai retrouvé des archives très difficiles. Ça a été très compliqué d’en parler avec ma famille.» précise-t-elle. Mais cette plongée dans son histoire familiale a été comme une renaissance : « Pour moi c’était vital de le faire. Je me connais mieux depuis ce projet. D’une certaine manière, j’avais besoin de ça pour avoir un enfant. De faire tout ce travail pour envisager la génération d’après. Il fallait réparer ce qu’il y avait dans les générations d’au-dessus pour qu’il y ait une génération en dessous. »
Congolaise, Belge, lesbienne. Ce sont les trois mots que Joëlle Sambi – autrice, slameuse et performeuse belgo-congolaise – utilise pour se définir. Ces trois mots vibrent si fort en elle, qu’ils jaillissent aussi dans son art. Cette poétesse ne les sépare pas. Ils forment pour elle un tout qui constituent son identité. Pour l’exprimer, elle a eu besoin, elle aussi, de renouer avec ses origines. Elle se sert, par exemple, du lingala, une des quatre langues nationales de RDC, dans ses poèmes. Cette inspiration n’est pas forcément consciente, mais se situe « dans le processus d’écriture poétique, au niveau du rythme et dans la manière d’utiliser le français ». Elle a publié son premier recueil de poésie Caillasses, en 2021. Il s’agit d’une œuvre autobiographique, dans laquelle ses racines occupent une place prépondérante.
Pour ce faire, elle essaye de réconcilier le passé douloureux entre la Belgique et le Congo, en effectuant un travail de mémoire. « Est-il possible de créer un futur collectif et convivial si on ne parle pas de colonialité ?» se questionne-t-elle. L’artiste a créé en 2020 une installation avec une énorme table contenant les vestiges d’un dîner, les vestiges d’un moment convivial. Sauf que les plats présents sur cette table, ce sont des mains coupées. « Quand je dis que je suis Congolaise, beaucoup de Belges me répondent “ah je vais te faire de la moambe”. Alors, si on parle de façon autant décomplexée de poulet, remplaçons le poulet par ce dont on ne parle pas, par ce qui pose problème. Les mains coupées symbolisent ça ». La poétesse effectue donc un travail de mémoire. Cette possibilité de réconciliation entre les deux pays, est aussi un exercice de réconciliation avec elle-même, une manière de combiner sa double identité.
Un des symboles les plus marquants de la colonisation belge au Congo sont les décennies de sévices corporels infligés par le régime colonial aux populations congolaises. Le coupage de mains en est l’exemple le plus tristement célèbre. Les soldats belges mobilisés dans la colonie coupaient très régulièrement les mains des Congolais, car ils devaient justifier de chaque coup de feu tiré en ramenant les mains de leurs victimes à leurs supérieurs. Parfois, ils souhaitaient garder des munitions pour la chasse, et coupaient des mains d’enfants ou adultes encore vivants.
Cette tragédie résonne encore aujourd’hui dans les mémoires, principalement celle des colonisés. Évoquer ce traumatisme a longtemps été difficile. Son apparition dans le débat public contemporain a eu du mal à émerger en Belgique. De nombreux activistes, historiens et politiques, tentent de briser le tabou autour de cette période, comme Joëlle Sambi.
Le passé était trop douloureux pour être abordé.
La réalisatrice Delphine Wil souligne que pour la première génération de Congolais arrivés en Belgique, comme sa mère, « le passé était trop douloureux pour être abordé ». Pendant 47 ans, sa maman n’est pas retournée au Congo. Elle a préféré rompre avec ses origines pour tenter de moins souffrir. Cette dualité entre la première et la seconde génération apparaît dans son podcast.
Extrait de l’épisode 1 du podcast Sous l’eau, les larmes du poisson ne se voient pas de Delphine Wil. La réalisatrice a une discussion difficile avec sa mère dans les rues de Kinshasa. Pourquoi semble-t-elle avoir renoncé à sa culture congolaise ?
L’amnésie belge
Pour la journaliste et spécialiste du Congo Colette Braeckman, la Belgique a « tourné la page » du colonialisme depuis l’indépendance. « Le Belge moyen n’a plus eu connaissance de la colonie. On n’en parlait pas, on évoque juste un peu les guerres mondiales. » Les jeunes Belges expriment désormais une volonté de connaître ce que leurs aïeux ont fait au Congo. Des historiens travaillent sur le sujet pour mettre en lumière cette période. Dans ce contexte, le livre Congo, une histoire de David Van Reybrouck publié en 2010 est une référence.
Actuellement, une refonte des programmes scolaire d’histoire est aussi en projet. Selon Colette Braeckman, la ministre de l’Éducation Caroline Désir (PS) a notamment inscrit l’histoire des colonies dans le programme obligatoire en encourageant le programme “Bokundoli”. Ce dernier propose une approche novatrice pour promouvoir une meilleure connaissance de l’histoire du Congo en particulier, et plus largement de l’histoire de l’Afrique. À cette occasion, des historiens congolais et belges écrivent une narration commune, qui sera enseignée en Belgique et au Congo.
«La Belgique comme porte d’entrée»
Colette Braeckman explique que l’immigration des Congolais vers la Belgique a commencé entre 1970 et 1980, « pendant les années Mobutu ». Après le massacre des étudiants de Lubumbashi en 1990, un nombre important de Congolais sont arrivés dans le plat pays avec le statut de réfugié politique. Mais tous ne sont pas arrivés à cette période. D’après l’historienne, les Congolais considéraient « la Belgique comme la porte d’entrée de l’Europe, une fenêtre sur le monde ».
Certaines ex-puissances coloniales européennes, comme la France, ont fait venir des populations de leurs colonies en tant que main-d’œuvre à moindre coût : ce n’est pas le cas de la Belgique, qui accueilli d’autres travailleurs étrangers, notamment Marocains, Turcs, Espagnols, ou encore Portugais. Les Belges ne cherchaient pas à embaucher de Congolais, pour des raisons racistes : ces derniers auraient été de moins bons travailleurs, moins efficaces. L’accueil des Congolais en Belgique n’a donc pas été facilité comme ça l’a été dans d’autres pays, souligne Colette Braeckman. Les permis de travail que les Congolais pouvaient obtenir sur le sol belge étaient de durée très courte, car on ne souhaitait pas qu’ils puissent s’installer durablement. Les autorités avaient peur qu’un séjour trop long « ne leur donne des idées ».
L’immigration des Congolais vers la Belgique est depuis quelques décennies plus aisée. Les premiers arrivants ont trouvé du travail dans certains corps de métiers, comme la sécurité, le gardiennage, ou les métiers de la santé, explique Colette Braeckman. La génération suivante a eu l’opportunité de faire des études en Belgique, et d’accéder aux couches sociales supérieures. Les guerres du Congo durant la décennie 1990 et les politiques de regroupement familial ont encore accéléré l’arrivée de Congolais en Belgique.
« Ils voulaient que leurs enfants aussi puissent s’intégrer en Belgique et se fondre dans la masse ». D’après la coiffeuse Hélène Salumu Lenge, les premières générations d’émigrés congolais ont fait le choix de laisser une partie de leur culture de côté. Cette tentative d’intégration passait notamment dans la façon de se coiffer. « Tout ce qui était défrisage c’était la norme, les canons de beauté étaient d’avoir les cheveux lisses. Normal : on voyait ça partout. »
Ils sont en Belgique, on ne leur a pas demandé leur avis.
Mettre à distance sa culture d’origine chez les primo-arrivants est un phénomène connu des sociologues. Le mot d’ordre, c’est l’intégration. Mais la seconde génération, comme l’explique la sociologue Priscilla Kasongo, est plus encline à se sentir Congolais même s’ils ne connaissent parfois pas leur pays d’origine. « Ils sont en Belgique, on ne leur a pas demandé leur avis. Quelque fois, lorsqu’ils font face à des difficultés dans leur parcours scolaire ou qu’il se retrouvent mal embarqués dans la vie, il se peut que le retour au pays d’origine soit une tentative de retrouver un peu plus de stabilité. »
Les Belgo-Congolais se posent-ils la question de savoir s’ils se considèrent plus Belges, Congolais ou Belgo-Congolais ? Interrogé, l’étudiant en droit Noël-Samuel, membre du Cercle Binabi (Cercle des étudiants d’origine congolaise) à l’ULB, hésite longuement. « Force est de constater que je ne ressemble pas au Belge lambda. C’est sûr que c’est quelque chose qui influence forcément ma perception de moi-même. Donc je dirais que je suis Congolais, mais je suis citoyen belge. »
Un double passeport inaccessible
Il est par ailleurs impossible d’obtenir la double nationalité. Si la Belgique y est ouverte, la RDC y reste opposée. La Constitution congolaise de 2006 stipule en effet que la nationalité congolaise « ne peut être détenue concurremment avec aucune autre ». Les Belgo-Congolais doivent donc faire un choix difficile, comme en témoigne l’artiste Joëlle Samba. « ll m’a fallu renoncer à la nationalité congolaise. Comme renoncer à une partie de moi, de mon histoire. J’ai choisi de prendre la nationalité belge par confort, pour les facilités de traitements que ça amène. C’est une question pratique, parce que je vis là. Ma sueur tombe suffisamment sur le sol belge pour que je puisse réclamer mon dû ici. »
Résultat : Noël-Samuel, comme d’autres Belgo-Congolais, se sent étranger dans son pays quand il rentre en RDC. « Il y a quand même un côté bizarre à devoir demander un visa pour aller chez soi… C’est un sentiment un peu bizarre. C’est comme être apatride. » Et de retour au pays d’origine le regard de la famille aussi est différent. « D’office, vu qu’on est de la même famille, on est tous Congolais. Mais ils nous voient comme des « afropéens », un mélange des deux. Même dans la démarche, le style, ils se disent que nous ne sommes pas d’Afrique en gros. C’est possible qu’on se fasse appeler blanc, entre guillemets. »
Si la double culture peut ressembler à un « jeu d’équilibriste » pour reprendre les mots de Noël-Samuel, elle est assurément une chance. Delphine Wil a à cœur de transmettre cette identité congolaise à son fils de un an et demi. « Je voudrais que mon fils connaisse quelques mots de swahili par exemple. C’est chouette d’avoir plusieurs identités, plusieurs cultures. C’est cette double identité qui fait notre richesse. »
Le football comme expression identitaire
La double identité belgo-congolaise ne se traduit pas seulement par un passeport ou une double culture. La ferveur observée dans les rues de Matonge lorsque l’équipe nationale de football de la RDC joue en témoigne. Les Léopards, deux fois vainqueurs de la Coupe d’Afrique des nations, galvanisent régulièrement leurs supporters, nombreux en Belgique. Le football fait partie intégrante de la culture congolaise, et l’équipe nationale réunit souvent les Belgo-Congolais. Le 29 mars 2022 était naturellement une date que les habitants de Matonge avaient notée avec soin dans leurs agendas. Ce jour-là se jouait le match de qualification à la Coupe du monde 2022, contre le Maroc.
Les Diables Rouges de Belgique ont été premiers au classement FIFA des sélections nationales quasiment sans interruption ces dernières années. Qu’importe, à Matonge les Léopards de RDC, qui pointent à une décevante 67e place du classement, font presque l’unanimité.
Supporters des Léopards de la RDC dans les rues de Matonge le 29 mars 2022.
Ce soir-là, la rue Longue Vie à Ixelles s’est peu à peu remplie avant le coup d’envoi du match face au Maroc. Ici, pas de “fan-zone” avec écran géant : on regarde le match en se serrant dans un salon de coiffure, le 3.5.7 Barber Shop. On y a installé des bancs, et une trentaine de supporters équipés de maillots, drapeaux et accessoires aux couleurs du Congo jouent des coudes. Ils espèrent avoir une place proche de l’écran de télévision qui trône au-dessus d’un maillot des Léopards accroché au mur. Une fois toutes les places à l’intérieur occupées, les retardataires s’installent sur un banc supplémentaire, dans la rue, devant la vitrine du salon. Les moins chanceux regardent le match debout, de loin.
L’ambiance est la même que dans un stade : on crie à chaque situation chaude, on rit, on se moque des joueurs adverses, on peste quand le Congo encaisse un but.
Malheureusement, les supporters ont pesté à quatre reprises ce soir-là : score final, 4 buts à 1 pour le Maroc. La République démocratique du Congo ne verra pas la Coupe du Monde 2022. Pas de quoi abattre le public du salon de coiffure, qui supportera, selon les personnes interrogées ce soir-là, toujours les Léopards avant les Diables Rouges.
Cet article a été rédigé par des étudiant.es en MA1 de l’ULB sous la coordination de Jacques Besnard et Alain Gérard.
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