Dans les geôles du régime syrien. Humilier et frapper les corps pour tuer la volonté (2)
Journaliste syrien, réalisateur de documentaires, chercheur et consultant pour les questions de terrorisme, Ebrahim Mahfoud, 45 ans a connu en 1997-98 les prisons de Bachar el-Assad où il fut torturé. En Belgique depuis mai 2021, membre d’En-GAJE, il témoigne de l’horreur vécue là où aucun son n'est plus fort que les cris des prisonniers le jour et leurs gémissements la nuit. Voici son deuxième récit.
Malgré l’horreur des photos divulguées de 11 000 prisonniers tués sous la torture dans les prisons du régime d’Assad (photos César https://www.google.com/) et avec toutes ces cicatrices, blessures et traces de torture, je n’ai pas été affecté comme tout le monde. Pour moi et beaucoup d’autres comme moi, mourir sous la torture signifie que vous n’avez pas vécu le pire. Seuls ceux qui ont vécu des moments de torture dans ces sous-sols humides et pourris comprendront ce que je veux dire.
L’épreuve du rasage du pubis
Quand un fouet frappe un corps nu, la douleur qu’il provoque est souvent plus facile à supporter qu’un acte que vous jugez scandaleux. Je me souviens de la première fois où j’ai atteint la sixième cour. Là, il y a un endroit pour le rasage du pubis des prisonniers. Nous avions l’habitude de nous déshabiller avant d’arriver à la prison du désert de Palmyre, mais nous n’avions pas l’habitude de lever la main et de laisser le geôlier s’amuser à nous torturer avec des mots obscènes si le prisonnier a un petit pénis. Ou à frapper la zone sensible avec un fil électrique s’il a un gros pénis.
Nous sommes arrivés dans la cour complètement nus, faisant la file pour le rasage du pubis. Le temps était très froid et c’était encore le matin lorsque le geôlier a commencé à fouetter nos corps après que nous avons mis nos mains pour couvrir nos zones sensibles. Ses paroles et ses malédictions étaient plus dures que la douleur d’un fouet qui déchire notre chair tendre. Malgré toute la douleur, beaucoup d’entre nous ont continué à couvrir nos zones sensibles, refusant de nous soumettre aux ordres des geôliers. Le dilemme dure quelques instants : couvrir notre sexe – geste naturel conforme à nos coutumes et traditions – ou subir le fouet sur les fesses, les cuisses et le dos. Mais les coutumes, traditions et même religion s’estompent petit à petit à mesure que vous assistez au rasage du pubis.
Plus tard, personne ne prendrait la peine de couvrir sa partie intime, et demander au barbier de raser autant que possible cette zone serait la norme. Certains des prisonniers riches (ils avaient des paquets de cigarettes étrangers) ont même payé un pot-de-vin pour cela. C’est exactement ce que j’ai fait le plus souvent. Mais à cette époque je n’avais pas de cigarettes, je ne fumais même pas encore. J’étais faible et j’avais encore besoin d’aide pour marcher, mes pieds étaient toujours enflés et fissurés. Mais mes blessures ne m’ont pas dispensé de recevoir beaucoup de coups sur le dos, les fesses et les testicules. Le défi le plus difficile était de ne pas crier à haute voix car alors le geôlier continue de frapper plus fort.
Quand mon tour est venu d’être rasé, le barbier n’a pas changé la lame. Je lui ai demandé de la changer, il m’a regardé avec étonnement et s’est mordu la lèvre inférieure pour me conseiller de me taire. Je n’ai pas compris son signe, j’ai regardé l’un des gardiens et je lui en ai parlé. Il a éclaté de rire et appelé les autres gardiens pour leur raconter l’histoire. Ce fut le moment le plus dur de ma vie. Le geôlier a demandé au barbier de finir de me raser en dix secondes, sinon il serait battu et enfermé dans la cellule d’isolement. Vous pouvez imaginer ce que j’ai ressenti lorsque le barbier a commencé à travailler sans mettre d’eau sur les poils, et avec une lame utilisée pour raser des dizaines de prisonniers avant moi. Ce dont je me souviens à ce moment-là, ce sont les pleurs de nombreux prisonniers quand ils ont vu ce qui m’était arrivé, et ils ont entendu mes cris, qui, je pense, avaient atteint les monuments de Palmyre à plusieurs kilomètres de la prison. Les blessures laissées par le barbier sur ma zone sensible m’ont fait souffrir pendant de longs mois.
Les poux et les coups
Cependant, j’ai eu plus de chance que certains prisonniers qui souffraient d’avoir des poux. Et j’ai été témoin de ce qui est arrivé à un prisonnier infecté par des poux. À l’heure du déjeuner, il a été emmené dans la troisième cour, la plus grande de la prison. Là, il fut allongé complètement nu sur le ventre, et contraint de lever les fesses pour que deux autres détenus puissent chercher des poux entre ses fesses. Pendant ce temps, le geôlier forçait les prisonniers dans la cour à frapper le prisonnier. De plus, les geôliers continuaient à le frapper sur les fesses avec un fouet chaque fois qu’ils s’ennuyaient.
Un de mes amis qui a vécu cette dure expérience m’a dit que tous les coups et les gifles ne sont rien comparés à la blessure psychologique infligée par ce traitement. Il m’a dit qu’il avait perdu confiance en lui et qu’il faisait des cauchemars sur sa virilité. Je peux le comprendre, et je sais que toutes ces punitions n’étaient rien d’autre qu’une politique systématique pour transformer les prisonniers en personnes sans leur volonté. Juste des numéros dans les registres de l’histoire noire sous le règne de la famille Assad.