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Le long chemin des Afghans vers l’Europe

en - 14 maart 2022

« Après avoir discuté avec mes parents, la seule solution pour moi était de quitter l’Afghanistan. J’étais le dernier à partir. » Abdul-Azim Azad est arrivé en Belgique en décembre 2012. Comme lui, ils sont des milliers d'Afghans à avoir choisi de quitter leurs terres, en quête d'une vie meilleure en Europe.

« L’occupation soviétique a désorganisé les structures politiques et administratives du pays, et bouleversé les rapports de force ethniques sur lesquels était basé le pouvoir étatique depuis plus d’un siècle », souligne le chercheur Karim Pakzad, dans la Revue internationale et stratégique.

Dans un pays déstabilisé, le mouvement des talibans prend de l’ampleur dès 1994. Ces étudiants en théologie islamique d’ethnie pachtoune, comme l’indique le dictionnaire Le Larousse, prennent « les armes pour rétablir la loi et l’ordre, en particulier par l’application de la charia », ajoute le spécialiste Olivier Roy auprès du Figaro. Deux ans plus tard, les talibans mettent la main sur Kaboul et le mollah Omar est proclamé Commandeur des croyants de l’Émirat islamique d’Afghanistan. Le pays tombe alors dans la loi islamique, Al-Qaïda y a toute sa place et les Américains, en réaction aux attentats 11 septembre 2001, entrent dans le pays le 7 octobre. Déjà, des milliers d’Afghans tentent de fuir la guerre et le régime. Entre 1996 et 2006, ils sont plus de 450.000 à demander l’asile dans d’autres pays, d’après le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR).

Un tournant a lieu en 2015. Alors qu’une crise migratoire touche le monde, les départs sont nombreux également depuis l’Afghanistan. Dans le pays, les talibans prennent le contrôle de plusieurs villes et la violence envers les populations civiles s’accroît. Attentats-suicides, engins explosifs improvisés et attaques ciblées rythment désormais leur quotidien, note un rapport de 2016 de Human Rights Watch, une ONG de défense des droits humains. « Le 7 août, des attaques d’insurgés ont fait 50 morts et 350 blessés à Kaboul, la journée la plus sanglante dans la capitale depuis 2001 ». Dans ce contexte, des milliers d’Afghans décident de prendre la route de l’exil.

« L’Afghanistan représentait la deuxième plus grande nation à voir ses ressortissants partir, après les Syriens, confirme Lailuma Sadid, journaliste afghane exilée en Belgique. Il y avait des problèmes de sécurité et des problèmes économiques, mais aussi une grande peur pour le futur. Un an plus tôt, les États-Unis avaient laissé entendre qu’ils allaient retirer leurs troupes d’Afghanistan. Tout le monde pensait qu’au moment où ils partiraient, tout changerait. Et que la situation ressemblerait à celle d’aujourd’hui, avec les talibans au pouvoir ». En 2015, ils sont plus de 280.000 à déposer une demande d’asile dans les autres pays du monde.

Les termes « migrants » et « réfugiés » sont souvent confondus mais ils n’ont pas la même signification. Selon la Commission des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), un demandeur d’asile est un « individu sollicitant la protection internationale. Tout demandeur d’asile ne sera pas nécessairement reconnu comme refugié à l’issue du processus mais tout réfugié a, dans un premier temps, été demandeur d’asile ». Un réfugié est une « personne répondant aux critères d’admissibilité énoncés dans la définition du réfugié applicable en vertu des instruments internationaux et régionaux, au titre du mandat de l’UNHCR ou conformément au droit national ou international ». Enfin, quand on parle de « migrant », on parle en réalité, le plus souvent, d’un migrant économique. « Une personne qui quitte son pays pour des raisons d’ordre strictement économique, sans rapport aucun avec la définition du réfugié, ou afin d’améliorer ses conditions d’existence matérielles ».

De la Turquie à l’Europe, quel eldorado ?

« J’ai pris la route clandestine à partir de la Turquie. Cela m’a pris dix mois de voyage ». Quand il a décidé de quitter son pays, Abdul-Azim a choisi de rejoindre l’Europe et ses parents, déjà installés aux Pays-Bas. Pour beaucoup de personnes migrantes, le Vieux Continent est vu comme la promesse d’un avenir meilleur. En 2015, la Turquie se retrouve en tête des pays où les Afghans déposent une demande d’asile. Depuis le début des années 2000, le pays est un « carrefour géographique favorable au transit migratoire vers l’Europe », comme le note le chercheur en géopolitique Fabien Dany, dans la revue scientifique Anatoli. Plus de 60.000 Afghans ont arrêté leur route ici, en 2015. Juste après la Turquie, c’est en Hongrie qu’ils ont tenté leur chance pour obtenir une protection internationale. « Beaucoup de demandeurs d’asile considèrent la Hongrie comme pays de transit pour aller vers d’autres pays de l’Union européenne », souligne Abdeslam Marfouk, maître de conférences et chercheur associé au Centre d’études de l’ethnicité et des migrations (CEDEM) de l’Université de Liège. La Suède, l’Allemagne et l’Autriche font également partie des pays les plus plébiscités.

Devenue une porte d’entrée vers l’Europe occidentale, la Hongrie de Viktor Orbàn a décidé de durcir sa politique vis-à-vis de la migration, en réaction à cette crise. Le 15 septembre 2015, le premier « mur » anti-migrants est achevé dans le sud du pays, à la frontière avec la Serbie. Un mois plus tard, un second mur sort de terre, à la frontière croate. La Hongrie n’est pas le seul pays de l’Est à réagir fermement à cette vague migratoire. Le long des frontières, des atteintes aux droits humains sont de plus de plus constatées, souligne le Conseil de l’Europe. « J’ai vu ce genre de réalité. Parfois, les autorités torturaient les gens. Notamment quand on traversait pour aller en Bulgarie. Ils étaient vraiment méchants là-bas. Parfois, il y avait des gens qui étaient complètement déshabillés en Bulgarie et qui devaient retourner vers la Grèce comme ça », raconte Abdul-Azim.

Avec ce « mur » anti-migrant la Hongrie empêche les Afghans, entre autres, d’accéder au territoire et de déposer une demande d’asile. Une stratégie qui a marché puisqu’en cinq ans, le pays a vu le nombre de demandes tomber à 25, n’en faisant plus la porte d’accès privilégiée à l’Europe occidentale. En 2020, la Grèce devient alors le deuxième pays le plus demandé par les Afghans à la recherche d’une protection internationale (13.271 demandes), toujours derrière la Turquie. C’est un accord européen, le règlement Dublin, qui vient modifier les lignes de la migration en Europe. Désormais, les demandeurs d’asile doivent déposer leur dossier dans les premiers pays qu’ils foulent. La France et l’Allemagne suivent de près la Grèce, en 2020.

Le règlement Dublin est un règlement signé par 27 états membres de l’Union européenne ainsi que la Suisse, l’Islande, la Norvège et le Liechtenstein. Il interdit à une personne migrante de formuler une demande d’asile dans un pays autre que le premier pays européen qui l’a accueilli. En 2016, l’Union européenne passe un autre accord avec la Turquie, pour que le pays contrôle les flux migratoires, notamment vers la Grèce, contre une indemnisation financière.

Seulement 20% des demandes acceptées en 2020

Le nombre de demandes d’asiles déposées par les Afghans diminue depuis 2015. Mais ces dernières n’aboutissent pas souvent. Abdul-Azim, installé depuis près de 9 ans en Belgique, en est un bon exemple. Il en est déjà à sa 7e demande d’asile. À chaque fois, on lui oppose une nouvelle chose. « Je mérite à chaque fois moralement, administrativement, d’obtenir le permis de séjour dans le cadre de la protection internationale parce que les Afghans entrent vraiment dans ce cadre-là », souligne-t-il.

La Belgique fait partie des pays qui a le taux d’acceptation le plus bas. 10% des demandes de 2020 ont été acceptées. Un pourcentage aussi bas ne veut cependant pas dire que le pays n’accepte personne. Sur les 2.455 demandes qui ont été traitées cette année-là, 235 ont abouti à l’octroi du statut de réfugié. De plus, « un bon indicateur pour montrer l’effort des pays en matière d’accueil des demandeurs d’asile c’est le nombre de demandeurs d’asile par millions d’habitants. Par le passé, la Belgique se situait dans la moyenne européenne », précise le spécialiste Abdeslam Marfouk.

En Europe, le taux d’acceptation ne dépasse pas les 43% (Autriche) mais tous les pays n’ont pas fait face au même nombre de demandes. Le Portugal n’a reçu que 5 demandes, toutes refusées. L’Autriche, elle, fait partie des pays qui a traité le plus de dossiers. Sur les 6.693 demandes, elle en a accepté 2.875. Dans le reste du monde, les taux d’acceptation sont bien plus hauts, mais les Amériques et l’Océanie n’ont pas eu à gérer la crise migratoire qu’a connue l’Europe depuis 2015. L’Australie enregistre un taux d’acceptation de 66%, mais n’a traité que 295 demandes d’asile. Les États-Unis, eux, ont un taux d’acceptation de 47% pour 52 dossiers. Deux pays difficiles d’accès pour des personnes fuyant l’Afghanistan mais qui, en termes de superficies, peuvent être comparés à l’Europe.

Un nouveau chapitre en 2021

L’accord de Doha, signé le 29 février 2020 entre les États-Unis et les talibans ouvrait un nouveau chapitre en Afghanistan. En échange du retrait des troupes américaines et de l’Otan du sol afghan, les talibans s’engageaient à faire barrière à Al-Qaïda. Grâce à cette signature, les talibans ont pu récupérer Kaboul, la capitale du pays, le 15 août dernier. Quelques jours plus tard, les États-Unis confirmaient avoir totalement retirer leurs troupes de l’Afghanistan. « Les Afghans ont vécu un retour 25 ans en arrière et ont vu leur lutte pour la liberté balayée », souligne Lailuma Sadid.

Des scènes de désespoir ont alors fait le tour du monde, dévoilant des Afghans accrochés aux derniers avions militaires américains. « Les Afghans ont toujours peur pour leur vie. Il n’y a plus rien. Plus de justice, plus de travail. Les Afghans n’ont plus aucune liberté, ils sont comme des prisonniers chez eux. Si les talibans sont reconnus par la communauté internationale, il n’y aura plus de sécurité en Afghanistan. Et alors, il est sûr que nous vivrons une crise migratoire bien plus catastrophique qu’en 2015 », conclut la journaliste exilée.

Cet article a été réalisé dans le cadre d’un atelier de datajournalisme de l’ULB, sous la direction de Laurence Dierickx.