Par François-Philippe Lemaire, Pierre Petit, Céline Avot et Léa Druck
Épouses exilées : du rêve au cauchemar
Épouses exilées : du rêve au cauchemar
Par François-Philippe Lemaire, Pierre Petit, Céline Avot et Léa Druck
26 augustus 2022
Sonia, Hélène et Pauline : trois femmes, trois histoires douloureuses.
Cet article a été rédigé le 24/02/2022.
Femmes exilées, elles sont venues en Belgique via le regroupement familial, le cœur amoureux, des rêves de mariages heureux dans la tête, c’est souvent une tout autre réalité qui les attend à l’arrivée. «Après mon mariage, les problèmes ont commencé, il est devenu violent», raconte Sonia (*). Comme elle, Hélène et Pauline (*) sont victimes de violences conjugales. Ces femmes se retrouvent aujourd’hui prises au piège d’un titre de séjour lié à leur conjoint, ce qui les rend dépendantes et où la fuite signifie souvent la perte de leurs papiers. Isolées, sans ressource, elles essayent désormais de sortir de ces violences et rester sur le territoire belge.
«Il est venu me voir dans mon pays en septembre 2019. On s’est mariés au Cameroun en 2020 », se souvient Hélène. C’est d’abord une idylle. Un rêve. Celui de vivre avec son bien-aimé, un Belge, qu’elle rejoint après la crise sanitaire. Des promesses et une belle opportunité. « J’avais beaucoup d’espoir, des rêves avec lui, je voulais fonder une famille », rapporte Sonia, venue d’abord avec un visa touriste pour rendre visite à de la famille avant de rencontrer son mari, un Belgo-Marocain. Pauline, originaire de Guinée Conakry, a rencontré son mari en 2017 et ils se sont mariés en 2019.
Avant le visa, quand monsieur les a rencontrées au pays, il y a au moins un an ou deux qui s’écoulent avant qu’elles viennent.
L’arrivée en Belgique : la désillusion
Après l’idylle, les trois femmes ont connu la désillusion. Très vite, leur mari respectif change de comportement. «Après mon mariage, les problèmes ont commencé. Il est devenu violent», se remémore Sonia. Dans un premier temps, elle accepte, avec l’espoir d’un changement. «Je l’aimais, il était gentil, je me disais qu’il allait changer et que je devais supporter ça.» Mais ça a été de pire en pire. Il la bat, la brûle avec sa cigarette et la met de nombreuses fois dehors pendant plusieurs jours. Des actes de plus en plus violent, «Il m’étouffait et me mettait le visage sous l’eau.» Sonia a aussi été menacée de mort à plusieurs reprises.
«Il y a le temps de séduction, puis dès qu’elles arrivent ici elles se rendent compte que ça ne correspond pas à l’image du mariage ou du partenaire qu’elles voulaient », explique Yamina Zaazaa co-directrice du Centre de Prévention des Violences Conjugales et Familiales (CPVCF), témoin de ces schémas depuis de nombreuses années. « C’était complètement différent quand je suis arrivée, ce n’était pas comme il me l’avait raconté », relate Pauline.
En 2020, 13.272 demandes ont été effectuées pour un visa en vue d’un regroupement familial en Belgique. La même année, 287 demandes ont été soumises à l’Office des étrangers par le Service Public Fédéral (SPF) des Affaires étrangères pour un mariage. Cent septante-huit ont été acceptées.
Victimes de violences conjugales ou intrafamiliales et dépendantes de leur conjoint par le titre de séjour, certaines associations appellent cette situation le mariage noir.
Mariage noir : Le terme « mariage noir » désigne un mariage où le conjoint national abuse de sa position et de son pouvoir sur le conjoint étranger et lui faire subir des violences physiques, psychiques, et/ou sexuelles. Il est plus difficile pour les conjoints étrangers de porter plainte car ils ne connaissent ni leurs droits, ni les personnes compétentes et parfois même pas la langue. Ce terme a été inventé par plusieurs membres du groupe Épouses sans papiers en résistance (ESPER) qui milite pour plus de droits et un meilleur encadrement des victimes étrangères. Le terme n’est pas utilisé ni reconnu par la législation belge.
Mariage blanc : C’est une union entre deux conjoints qui, sur base d’un commun accord, se marient dans le seul but d’obtenir une carte de séjour pour l’étranger. Les mariage blancs sont illégaux et punissables par la loi. Le terme est utilisé et reconnu par la législation belge.
Mariage gris : C’est l’union entre deux conjoints où le conjoint étranger abuse de la confiance et de la naïveté du conjoint national pour acquérir sous le prétexte amoureux, la carte de séjour. Cette technique est aussi punissable par la loi. Le terme est utilisé et reconnu par la législation belge.
La carte F, un bien à double tranchant
En Belgique, depuis 2015, il faut désormais rester cinq ans avec son conjoint pour bénéficier d’un titre de séjour, indépendant de son compagnon de vie. Laura Odasso, chercheuse au Collège de France et autrice Des « mariages noirs » : les violences conjugales et le contrôle de la migration familiale en Belgique, explique cette durée par un renforcement de la politique de lutte contre l’immigration. « Depuis les années 90 et plus tard dans les années 2000, la loi d’immigration est devenue plus protective. Il y a un durcissement des migrations familiales.»
Pour la chercheuse, « il y a un droit de la vie familiale reconnu par le droit international. Les États ne peuvent pas dire stop à l’immigration familiale mais ils peuvent mettre des entraves et rendre difficile l’accès au territoire pour des raisons familiales.» La crainte pour de nombreux États, ce sont les mariages de complaisance, aussi appelés mariages “blancs” ou “gris”.
Dès 2013, des moyens pour lutter contre les accords frauduleux sont mis en place tels que le contrôle renforcé d’agents communaux, l’augmentation du temps de cohabitation légale ou du mariage. Entre autres. L’octroi d’un titre de séjour définitif est plus restrictif.
Un dispositif que les bourreaux connaissent et utilisent à l’encontre des victimes. «Le conjoint sait très bien qu’il a comme arme le titre de séjour et il va jouer avec ça. Il va la faire partir, la faire revenir, la radier (de la cohabitation légale, NdlR) puis la réinscrire…», fulmine Yamina Zaazaa, listant toutes les stratégies. «Les femmes ne peuvent pas se plaindre, car ils ont leurs papiers et les menacent de les renvoyer dans leur pays», renchérit Fabienne Richard, directrice de l’asbl Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles (GAMS).
Pour Hélène, c’est rapidement la désillusion. «Il me disait que notre mariage n’était pas reconnu en Belgique et que je ne pouvais pas avoir de papiers ici.» Un mensonge, puisqu’il est nécessaire de disposer d’un acte de mariage valide pour faire une demande de visa pour le regroupement familial.
Les victimes font face à un dilemme : leur titre de séjour dépendant de leur situation maritale ou amoureuse, elles ne peuvent pas quitter leur domicile malgré les violences subies, sous peine de perdre leurs papiers. «Quand je suis allée porter plainte, j’ai découvert qu’il m’avait radiée du domicile deux mois auparavantalors que j’habitais encore chez lui», raconte Sonia. «J’étais sans papiers et je ne le savais même pas.»
Il existe une protection pour ces femmes victimes de violences conjugales. La convention d’Istanbul ainsi que l’article 11 de la loi du 15 décembre 1980 «permettent aux migrants venus par regroupement familial et qui sont victimes de violences conjugales et/ou intrafamiliales de demander le maintien de leur titre de séjour», soulignent Coralie Hublau et Nawal Meziane dans La situation des migrantes victimes de violences conjugales. Il faut cependant réussir apporter la preuve de ces violences. L’article 11 comporte des conditions qui empêchent certaines victimes de pouvoir bénéficier de cette loi.
Selon un rapport du Ciré (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers), sont concernées «les personnes en attente d’une décision à leur demande (sous annexe ou attestation d’immatriculation), les personnes venues rejoindre un étranger en séjour limité ou les femmes “sans-papiers” venues rejoindre leur mari.» Le seul moyen d’échapper à ces limites est de prouver qu’il y a violences conjugales, encore, faut-il réussir à attester de ces actes.
Réussir à porter plainte : un défi complexe
«Pour cela, il faut que la femme aille porter plainte et qu’elle puisse prouver ces violences», explique Fabienne Richard, directrice du GAMS. «Cela se fait par des photos et un certificat d’incapacité temporaire de travail (ITT) d’un médecin. Il faut ensuite déclarer ces violences à l’Office des étrangers et normalement la personne ne peut pas se faire expulser.» Un défi compliqué, voire «irréalisable », pour les associations qui accompagnent ces femmes. Sonia explique avoir déjà porté plainte deux fois contre son mari. Selon cette dernière, elle n’a jamais été rappelée. Les délais sont courts, les démarches complexes et de nombreuses femmes ne sont pas au courant de leurs droits.
Il y a des femmes qui vivent dans la peur et qui préfèrent attendre cinq ans, subir des coups, mais être sûres d’avoir leur statut.
Fabienne Richard
Ne pas laisser de traces
Par ailleurs, pour Yamina Zaazaa qui voit défiler des victimes depuis plusieurs années, de nombreux bourreaux ont conscience qu’il ne faut pas laisser de traces de ces violences. «L’auteur est encore plus fin dans sa stratégie. Il fait en sorte que les violences ne puissent pas être prouvées.»
Violences psychologiques, économiques, humiliations, racisme, certaines femmes subissent ces actes invisibles mais destructeurs. «Il m’insultait en me disant que je n’étais pas pas belle, que je n’étais rien, que je n’avais rien faire,…», témoigne Sonia. Hélène fait également face à du racisme : «Il me disait : moi je suis blanc, le blanc n’a jamais tort et toi tu n’es qu’une africaine.» Les trois femmes ont également recours à l’aide alimentaire, leur conjoint refusant de leur donner de l’argent ou n’acceptant pas qu’elles se nourrissent. «Il m’a dit que je n’avais pas le droit de manger, je lui cuisinais son repas mais je ne le mangeais pas», explique Hélène.
Sonia et Hélène ont franchi le pas, et ont fui le domicile conjugal. «Quand elles sont acculées, elles viennent nous voir avec cette question : “Si je pars je vais perdre mon titre de séjour, qu’est ce que je peux faire ?”», raconte Yamina Zaazaa.
Refuges, centres d’accueil, associations. De nombreux professionnels accompagnent chaque jour ces victimes dans leur long parcours pour sortir de ces violences et avoir un statut stable. C’est notamment le cas du GAMS, où assistantes sociales, psychologues, animatrices communautaires et sages-femmes travaillent sur tout le territoire pour venir en aide aux victimes. «On essaye d’informer les femmes sur leurs droits», explique Fabienne Richard. A travers des groupes de parole et des animations, GAMS tente de sortir les victimes de l’emprise.
Le stress post-traumatique
«Quand j’écoute les autres femmes parler, je me rends compte que moi aussi j’ai vécu ça», assure Sonia, qui fait partie de plusieurs groupes de parole. La jeune femme explique qu’elle souffre de stress post-traumatique et que son corps a préféré oublier certains passages trop violents de sa vie avec son conjoint. Participer à ces groupes de parole lui permet de se souvenir de certains éléments et l’aide à se reconstruire.
Certaines structures se concentrent majoritairement sur la reconstruction des victimes. Woman’Dō, un planning familial dans un quartier résidentiel de Watermael-Boitsfort, propose une approche psychocorporelle. C’est ce qu’explique Mathilde Légaz, psychologue chez Woman’Dō :
L’honneur et la famille
L’accompagnement de ces femmes reste cependant difficile. Sortir de la violence est un processus complexe où l’emprise, l’honneur et la famille jouent un rôle central. Dans une salle, rue des Colonies à Bruxelles, le collectif Épouses sans papiers en résistance (ESPER) aborde la délicate question du retour au pays natal. «Ce n’est pas possible », explique Sonia. « Ma famille ne veut pas. Si je rentre je ne peux plus la voir».«Mes parents n’ont plus droit à la parole. Ils se taisent. C’est une honte», ajoute Pauline. Pour Hélène, c’est le même constat, elle ne peut pas revenir au Cameroun. Son conjoint l’a un jour mise dehors et a filmé la scène où on la voit dans la rue, en pleine nuit, en pyjama. Il a ensuite publié la vidéo sur les réseaux sociaux et l’a envoyé à toute la famille d’Hélène. «Il m’a salie en Afrique, je suis la risée de tout le monde», soupire la jeune femme, en pleurs.
Rentrer au pays n’est souvent pas une solution pour ces femmes, où la situation peut s’avérer encore pire pour elles, comme l’explique Fabienne Richard :
«Je ne peux pas rentrer dans mon pays, et je ne peux pas avoir de papiers ici, je suis bloquée», se désole Sonia. La jeune femme est actuellement en demande d’asile, toujours mariée à son conjoint mais sans aucun contact avec lui. Hélène, elle, va prochainement porter plainte contre son mari. Elle est considérée sans papiers. Pauline vit toujours avec son mari et elle tente d’accumuler les preuves de violences afin de conserver son titre de séjour.
«Nous avons un outil pour défendre leurs droits, c’est la convention d’Istanbul, explique Yamina Zaazaa qui dirige le collectif ESPER. Avec cet outil, on a envie de dire que la Belgique ne répond pas aux exigences du traité qu’elle a signé.»
Coralie Hublau, coordinatrice du Ciré, partage ce constat d’échec: «Toute une série de personnes qui devraient être protégées par la convention d’Istanbul, dans les faits ne le sont pas.»
Une potentielle réforme de la législation entourant les violences dont sont victimes les femmes exilées, a été publiée mardi 22 février 2022. Un plan sur cinq ans, s’étalant de 2021 à 2025. Cette action quinquennale portée par la secrétaire d’État fédérale Sarah Schlitz (Ecolo), prévoit une meilleure application des accords de 2015 ainsi qu’une clarification et une uniformisation des démarches auprès de l’Office des étrangers.
Ces nouvelles procédures pourraient permettre une meilleure coordination entre la police et le Service de regroupement familial. Pour la coordinatrice du Ciré, même si la route est encore longue, les données récoltées sur les femmes étrangères victimes de violences conjugales pourraient être mises à jour. La prise en charge des victimes pourrait aussi être facilitée. Contactée pour réagir aux revendications des associations, Sarah Schiltz n’a pas répondu à nos demandes d’interview.
Face à ces problématiques, les membres du collectif ESPER préparent une intervention pour la journée du 8 mars. Révoltées, elles sont décidées à faire bouger les choses. «En Belgique, je suis bloquée, je ne peux rien faire. Mais si je dois couler, je coule avec lui. Il faut qu’il sache qu’il y a une justice et que je vais me battre pour bouger ça», s’exclame Hélène. Entrées en résistance, elles comptent aujourd’hui se battre pour leurs libertés.
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