Ukraine : Amnesty International discréditée après la publication de son rapport ?

Ukraine : Amnesty International discréditée après la publication de son rapport ?

Ukraine : Amnesty International discréditée après la publication de son rapport ?

Foto's : Logo Amnesty International
6 september 2022

Le 4 août était publié un rapport d’Amnesty International accusant l’armée ukrainienne de mettre ses civils en danger. Le tollé qu’il engendra a amené l’organisation à présenter ses excuses, sans pour autant revenir sur ses conclusions.

« Utiliser des hôpitaux comme base militaire est une violation claire du droit international » déclare Amnesty dans un rapport publié le 4 août, intitulé « Ukraine : les tactiques de combats ukrainiennes mettent en danger la population civile ». Depuis, une pluie de critiques s’abat sur l’organisation. Est-ce qu’en publiant ce texte, l’organisation internationale ne fait-elle pas la part belle à la propagande et à l’armée russe ? En quelque sorte, oui… Comme le montre ce tweet de la Mission russe à Genève, qui récupère et déforme les données recueillies par le rapport afin d’instiller le doute quant aux accusations de crimes de guerre contre la Russie.

Malgré cela, Philippe Hensmans, directeur de la branche francophone d’Amnesty en Belgique, réaffirme la position de l’organisation : « Effectivement, la propagande, les trolls russes utilisent ce genre de renseignement […]. Maintenant la question, c’est : est-ce qu’on doit se taire ? Si vous découvrez quelque chose comme ça, est-ce que vous devez vous taire en vous disant “si moi, je le dénonce et bien ça pourrait être utilisé par la propagande russe ? » Depuis la première semaine de la guerre, Amnesty International dénonce vigoureusement l’invasion russe et a émis de nombreux rapports concernant les exactions commises par l’armée russe.

Une comparaison intenable

Depuis mars 2022, la Cour pénale internationale (CPI) et le bureau du Procureur général ukrainien investiguent déjà les crimes de guerre commis par l’armée russe en Ukraine. Et leur nombre défie largement celui recensé par Amnesty International dans le rapport inculpant l’armée ukrainienne. Dans une interview accordée à Reuters, Yuriy Bilousov, chef du département des crimes de guerre du bureau du Procureur général ukrainien, déclare avoir reçu plus de 26.000 plaintes de possibles crimes de guerre depuis le 24 février. Quant aux données collectées pendant plus de trois mois par Amnesty International, celles-ci font état de plusieurs témoignages civils dénonçant la proximité des combats avec les zones d’habitation. Les rapporteurs ont également observé des traces de bases militaires dans 22 des 29 écoles visitées (fermées depuis le début du conflit), ainsi que dans certains hôpitaux de cinq localités. De plus, les rapports d’autres organisations, dont les Nations Unies, dénoncent les mêmes crimes, ce qui corrobore les découvertes d’Amnesty International. Cependant, Marc Garlasco, expert militaire chez PAX et ancien enquêteur des Nations Unies sur les crimes de guerre, spécialisé dans l’atténuation des dommages causés aux civils, nuance la situation. « Il est important de noter que si la loi n’exige pas que les militaires ukrainiens se tiennent éloignés des civils, elle leur demande d’éviter au mieux les zones civiles. Le problème est que les Russes tirent sur les militaires ukrainiens et qu’ils manquent leur cible et touchent des civils dans la zone. Mais comme il s’agit d’opérations urbaines, d’une guerre urbaine, et que les Ukrainiens défendent les civils là où se déroulent les combats et où se trouvent les civils, ils n’ont pas besoin d’être toujours à l’écart. Mais ils doivent quand même l’éviter et prendre des précautions, et le droit international les oblige toujours à protéger la population civile, même pendant les combats. »

« C’est notre devoir de les dénoncer »

Lors de la sortie du rapport, le président Volodymyr Zelensky a déclaré que « l’agression contre notre État est injustifiée, invasive et terroriste. Si quelqu’un rédige un rapport dans lequel la victime et l’agresseur sont d’une certaine manière mis sur un pied d’égalité, si certaines données sur la victime sont analysées et que les actions de l’agresseur sont ignorées, cela ne peut être toléré ». Bien que les données inculpant l’Ukraine soient considérablement moins nombreuses que celles dénonçant les crimes de l’agresseur « le fait qu’une des parties à un conflit soit très clairement victime d’une agression, ce qui est le cas de l’Ukraine, ne la dispense pas de respecter les droits de la guerre et humanitaires », rappelle Michel Liégeois, président de l’Institut de sciences politiques Louvain-Europe. Ce dernier estime qu’Amnesty International n’est pas une organisation neutre puisqu’elle milite pour les droits humains, mais impartiale, car aucun État n’est à l’abri d’un rapport de l’organisation s’il venait à les bafouer.  Pour Philippe Hensmans « les mots impartialité ou neutralité n’ont pas beaucoup de sens : on se base sur le droit international humanitaire et les droits [humains]. Si quelqu’un commet des violations de ce droit, c’est notre devoir de les dénoncer ».

« Car même la guerre a ses lois »

Ville ukrainnienne détruite par les bombardements. © Ales Oustsinay

Au final, Marc Garlasco s’inquiète que «  le rapport ne fasse le contraire de ce qu’il vise. Il vise à protéger les civils, mais le problème est qu’il donne à la Russie une excuse lorsqu’elle cible des zones civiles. […] Je n’essaie pas de dire qu’à cause de ce rapport, elle va cibler davantage de civils. Cela leur donne plutôt une excuse, une raison à fournir à l’opinion publique en affirmant que “lorsque nous tuons des civils, comme vous pouvez le voir dans le rapport d’Amnesty, c’est à cause de l’armée ukrainienne” et donc ils peuvent essentiellement blâmer la victime. » Pour Philippe Hensmans, la défense des victimes est la responsabilité principale de l’organisation, mais selon son expérience, il s’agit d’une rhétorique bien ficelée des États puisque « depuis la création d’Amnesty, notamment pendant la période du rideau de fer qui est en train de se réinstaller, chaque partie utilisait de temps en temps un de nos rapports pour critiquer l’autre partie. Et l’autre partie répondait que ça revenait à jouer le jeu des Américains par exemple, si on sortait un rapport sur Cuba ».

 

Aucun des experts interrogés ne nient la monstruosité des exactions commises par l’armée russe sur les civils ukrainiens, dont les vies sont devenues un véritable enfer sur Terre. Seulement, dans une sale guerre où les frontières entre le bien et le mal sont parfois brouillées, il devient impératif que « l’Europe et l’Ukraine [se montrent] exemplaires en dépit des atrocités russes. Car même la guerre a ses lois », comme l’écrit Marine Buisson, cheffe adjointe au service Monde du journal Le Soir, dans son édito.

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