—  Cultuur  —

« Marcher sur l’eau », le documentaire qui conjugue climat et droits humains

- 5 juli 2022
« Marcher sur l’eau » faisait partie de la sélection » Cinéma pour le climat » de la 74e édition du Festival de Cannes, en 2021. © Films du losange.

Sorti en salle le 26 janvier dernier et désormais disponible sur les plateformes de streaming, « Marcher sur l'eau » raconte le combat de Tatiste, un village au nord du Niger, pour avoir accès à l'eau. Un documentaire qui entend souligner l'impact négatif du changement climatique sur les droits de ses habitants.

« Marcher sur l’eau » est le premier long film documentaire réalisé par l’actrice française Aïssa Maïga, notamment connue pour son rôle dans « Bienvenue à Marly-Gomont ». Aujourd’hui disponible sur OCS City, et bientôt sur BeTV, il a été présenté à l’occasion de la 74e édition du Festival de Cannes 2021 dans la catégorie spéciale « cinéma pour le climat ». L’objectif ? Rappeler les conséquences néfastes du changement climatique sur les droits humains dans une région oubliée, celle d’Azawagh, dans le nord du Niger. « Je sentais que j’avais quelque chose à exprimer à travers cette question de l’eau, et sa conséquence, l’éclatement de la cellule familiale », explique Aïssa Maïga.

Le documentaire raconte les difficultés d’accès à l’eau d’un petit village, appelé Tatiste, à travers le quotidien de ses habitants. Tourné entre 2018 et 2020, le film est construit autour de différentes périodes (octobre, janvier, avril, juillet) qui, mises bout à bout, visent à confronter le spectateur à l’expérience d’un peuple d’éleveurs, de langue peule Wodaabe. « La saison des pluies varie énormément d’une année à l’autre », souligne l’hydrogéologue Christian Leduc. « Elle peut commencer plus tôt, plus tard, on peut avoir des pluies faibles, très fortes, régulières, irrégulières, etc. » Des variations qui conditionnent, mais surtout fragilisent, l’accès à l’eau des habitants de Tatiste.

Le manque d’eau, une menace pour les droits humains

Aujourd’hui, l’accès à l’eau potable est reconnu comme un droit fondamental par l’Organisation des Nations Unies (ONU). Toutefois, en 2019, cette dernière estimait que « 2,2 milliards de personnes [n’avaient] pas accès à des services d’eau potable gérés de manière sûre. »

Les habitants de Tatiste font partie de ceux-là. Outre les problèmes sanitaires que cela pose, cette difficulté d’accès à l’eau fragilise plusieurs autres droits humains. Une réalité que le documentaire met parfaitement en images autour de la figure d’Houlaye, protagoniste du film.

Houlaye, une jeune fille de quatorze ans, est le personnage principal du film. © Films du losange.

Houlaye est une jeune fille du village, âgé de quatorze ans. Son père, éleveur, doit partir en transhumance* de plus en plus loin pour nourrir le bétail, là où se trouvent les zones de pâture. Sa mère, quant à elle, s’éloigne durant de longues périodes pour aller vendre les médicaments qu’elle fabrique dans les lieux plus habités. Et lorsque ses parents s’absentent, la charge retombe sur ses épaules. À quatorze ans, elle doit s’occuper de ses frères et sœurs, assumer les tâches de la vie quotidienne, marcher plusieurs kilomètres pour aller puiser de l’eau.

*Transhumance : selon le dictionnaire Larousse, il s’agit du “déplacement saisonnier d’un troupeau en vue de rejoindre une zone où il pourra se nourrir, ou [du] déplacement du même troupeau vers le lieu d’où il était parti.”

Ces responsabilités entravent alors un autre droit fondamental de la jeune fille : son accès à l’éducation. En effet, si Tatiste dispose d’une école, Houlaye ne peut pas toujours s’y rendre et n’est pas toujours en mesure d’apprendre correctement, comme en témoigne cette scène où elle s’endort sur son bureau, épuisée. « Je trouvais intéressant de centrer le récit sur une jeune fille qui n’est pas encore une femme mais a d’énormes responsabilités, qui la fragilisent du point de vue de l’école. Parce qu’on sait très bien que si elle n’est pas assidue à ce moment-là, si sa scolarité est interrompue, il est probable qu’elle s’arrêtera complètement. Et c’est toute sa vie de femme, de citoyenne et de mère qui s’en trouvera impactée », explique Aïssa Maïga.

Le changement climatique, premier responsable ?

Dans son synopsis, le documentaire souligne le poids du réchauffement climatique, responsable des maux des habitants de Tatiste. Toutefois, s’il ne remet pas en cause ses effets néfastes, Christian Leduc, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), apporte un regard différent. « Le film parle beaucoup de changement climatique mais, pour moi, ça n’est pas vraiment la question. Certes, les régions semi-arides, comme celles du film, sont particulièrement sensibles aux fluctuations et aux variations de température, mais le principal problème ça reste la difficulté d’accès à l’eau. Ça existait il y a vingt ans, il y a cinquante ans, et ça existe encore aujourd’hui. Il n’est pas sûr que le changement climatique en soit le premier responsable. »

L’hydrogéologue, membre de l’Unité mixte de recherche G-EAU avance d’autres explications en parallèle. « Le changement climatique n’est pas la seule cause de dégradation de l’environnement. En raison des changements de pratiques culturales, liés à la croissance démographique, il y a eu un bouleversement du cycle hydrologique. » En effet, Christian Leduc, qui a travaillé dans la région de Niamey, a observé que la suppression de la végétation naturelle, pour cultiver des champs, a favorisé l’infiltration de l’eau, au détriment de son ruissellement. Un phénomène qui recharge les nappes phréatiques*, dans le sol, mais qui diminue la quantité d’eau disponible en surface.

Un forage pour une vie meilleure

En réalité, les habitants de Tatiste disposent d’un important stock d’eau sous leurs pieds : le Système aquifère d’Iullemeden, un bassin sédimentaire extrêmement large, partagé avec le Mali et le Nigeria, situé à plusieurs centaines de mètres de profondeur. Ce qu’il manque, c’est avant tout un moyen pour y accéder, le puits n’étant pas suffisant, comme l’explique Christian Leduc. « Le puits est un ouvrage relativement large (entre 1m50 et 2m de diamètre), mais peu profond (entre 20 et 50m de profondeur en général). Il donne accès à une ressource (l’eau) qui peut être très variable au cours de l’année. Elle peut s’avérer insuffisante en quantité et/ou en qualité à certaines périodes, lorsque le niveau de la nappe phréatique baisse. »

*Nappe phréatique : selon le CNRTL, il s’agit de la “nappe d’eau la plus rapprochée de la surface du sol qui alimente les puits ordinaires, ne traverse pas de couches imperméables et se trouve partout dans les vallées à une profondeur variant depuis quelques décimètres jusqu’à cent mètres et au-delà.”

C’est pourquoi, le village a besoin d’une autre infrastructure : le forage. « Il descend à plusieurs centaines de mètres de profondeur et sécurise ainsi l’accès à la ressource. C’est un évènement capital dans la vie d’un village déshérité », résume l’hydrogéologue. Le documentaire raconte donc le combat des habitants de Tatiste, soutenus par l’Organisation non-gouvernementale Amman Imman, pour obtenir un forage de la part du gouvernement nigérien.

D’après le synopsis du film, il suffirait de cela « pour apporter l’eau tant convoitée au centre du village et offrir à tous une vie meilleure. » Néanmoins, Christian Leduc souligne que le forage n’est pas infaillible. « C’est plus facile et plus efficace qu’un puits mais en rentrant dans la sophistication, on rentre aussi dans la fragilité. »

Ainsi, la mise en place d’une telle infrastructure s’accompagne de questions essentielles, auxquelles il est parfois compliqué de répondre : quelle source d’énergie peut être utilisée pour alimenter la pompe ? Comment son entretien pourra-t-il être financé ? Qui pourra la réparer en cas de panne ?

En attendant le forage tant espéré, les habitants de Tatiste parcourent des kilomètres pour se rendre au puits. © Films du losange.

L’hydrogéologue rappelle également qu’il existe une importante disparité dans l’accès à ce genre de forage au Niger. « Le village où se passe l’histoire est un point important car il y a une école. Mais il existe d’autres populations, plus éloignées, qui n’auront jamais accès à un forage car il y a trop peu de monde qui vivent dans leur zone. On retrouve également un ensemble d’obstacles économiques, culturels et sociaux dans l’accès à l’eau. Dans certains villages, les gens vont bien s’organiser et réussir à cotiser efficacement pour faire les réparations nécessaires en cas de panne. Mais dans d’autres, cela marche moins bien, en particulier dans les zones rurales qui vivent en autarcie, et ce pour des raisons diverses comme la pauvreté, le vol, etc. »

Ma démarche reste profondément documentaire”

Le film s’apparente à un mélange de genres, entre documentaire et fiction. « L’idée était de filmer le réel et, en même temps, de provoquer ce réel en induisant des situations. J’ai donc dû diriger Houlaye et ses petits frères, ainsi que les autres villageois, sa tante Souri et l’instituteur, qui étaient de vrais personnages. Et je me suis énormément amusée à faire cela. Ma démarche reste profondément documentaire », détaille Aïssa Maïga. La réalisatrice française, né à Dakar, place habillement les protagonistes au cœur de son œuvre, dont elle filme la vie quotidienne. Ce sont eux qui racontent leur propre histoire, en quelque sorte.

Le documentaire fait la part belle aux images et à la musique qui parlent plus que les mots. En effet, une seule voix off est utilisée durant l’intégralité du film, celle du chef du village, qui plante le décor en ouverture. « Je trouve que c’est un film bien fait. J’aime son fond et sa forme. Au-delà des mots et du scénario, les images apportent énormément d’informations. Le film permet de montrer beaucoup de choses, de manière subtile. Je le recommande », ponctue Christian Leduc.

Cela tombe bien, BeTV prévoit de le diffuser mardi prochain (le 5 juillet). À ne pas manquer.

« Marcher sur l’eau » faisait partie de la sélection » Cinéma pour le climat » de la 74e édition du Festival de Cannes, en 2021. © Films du losange.