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Turquie : liberté pour Aysel Tuğluk!

- 18 oktober 2022

Condamnée à dix ans de détention par le tribunal, Aysel Tuğluk est une avocate et femme politique kurde en Turquie. Elle est victime de son activisme politique. Son état de santé s'est détérioré en prison où elle a été diagnostiquée comme atteinte de démence. Elle ne reconnait plus ses avocats.

Aysel Tuğluk est politicienne, avocate et défenseuse des droits des femmes en Turquie. Toute sa vie, elle a lutté pour les droits des femmes et les droits du peuple kurde. Elle a été l’une des premières coprésidentes et fondatrice du Parti de la société démocratique (DTP en turc) créé en 2005.

Lors des élections du Parti de la société démocratique en 2007, un seuil électoral est mis en place, elle doit alors se présenter aux élections en tant que candidate indépendante. Elle est élue députée de Diyarbakir. Mais le 31 décembre 2009, elle est démise de ses fonctions par le parlement en raison de la fermeture du Congrès de la société démocratique (DTK en turc). Deux ans plus tard, lors des élections législatives du 12 juin 2011, elle est élue députée indépendante de la ville kurde de Van. Elle rejoint ensuite le Parti démocratique des peuples (HDP en turc), le HDP créé en 2010.

D’innombrables poursuites ont été engagées à son encontre en raison de ses interventions lors de son mandat parlementaire. Ses discours prononcés lors de douze actions réalisées entre 2007 et 2010 lui valent une condamnation à 14 ans et 7 mois de prison pour, selon les autorités, avoir «commis des crimes au nom du PKK» et «fait de la propagande pour le PKK».

En 2016, elle est élue co-vice-présidente du HDP. Alors qu’elle était en fonction, elle est arrêtée le 26 décembre 2016. En cours de détention, elle est également condamnée à diverses peines de prisons pour d’autres procès qui étaient en cours. Aysel Tuğluk a été la première coprésidente du Parti, a participé au mouvement des femmes et a été l’avocate des Kurdes arrêté·es ou torturé·es en garde à vue. Elle a été également l’avocate d’Abdullah Öcalan, leader du PKK, détenu en isolement depuis 23 ans sur une île. Dernièrement, un nouveau procès est intenté contre elle, alors qu’elle est détenue depuis 6 ans dans la prison de type F d’Edirne.

En Turquie, l’affaire est connue sous le nom d’ «Affaire Kobané» et renvoie à un procès au cours duquel 108 personnes sont jugées dont les ancien·nes coprésident·es du HDP ainsi que des député·es. 21 d’entre eux et elles sont emprisonné·es à l’heure actuelle. Aysel Tuğluk en fait partie.

« Ils m’ont fait vivre le deuxième Sivas.»

Le rapport établi par l’hôpital Seka d’İzmit en date du 8 mars 2021 indique qu’Aysel Tuğluk souffre depuis un an de symptôme tels que l’oubli, l’incapacité à se souvenir des mots pour communiquer, énonce des questions répétitives et porte ses vêtements à l’envers. Le 15 mars 2021, l’hôpital universitaire de Kocaeli a diagnostiqué une démence. Aysel Tuğluk a été examinée par des médecins spécialisé·es à l’hôpital universitaire pendant six mois. Dans son rapport final publié le 12 juillet, le département de médecine légale de l’université de Kocaeli a fait les constatations suivantes : «Sa maladie est chronique, évolutive, le soutien et les soins médicaux qui peuvent lui être fournis dans les conditions de détention peuvent ne pas être suffisants. Elle est dans l’incapacité de maintenir sa vie seule dans les conditions de détention. Ainsi, l’exécution de sa peine doit être reportée. » Le troisième conseil spécialisé de médecine légale (ATK en turc) a préparé un nouveau rapport le 3 septembre 2021 qui va à l’encontre du rapport de l’université et a déclaré que «Tuğluk est capable de gérer sa vie seule, son traitement peut être poursuivi avec des contrôles réguliers en polyclinique, et, donc, elle peut poursuivre sa peine en prison ». Le Conseil de médecine légale (ATK en turc) a ensuite rédigé deux rapports dans lesquels il estime clairement qu’Aysel Tuğluk ne doit pas être libérée.

Les événements qui ont eu lieu lors des funérailles de la mère d’Aysel Tuğluk, Hatun Tuğluk, sont des faits importants pouvant expliquer une partie de sa démence. Sa mère est en effet décédée le 3 septembre 2017 à Ankara. Aysel Tuğluk a pu, avec l’autorisation de l’administration pénitentiaire, participer aux funérailles. Mais le lendemain du décès de sa mère, alors que celle-ci allait être enterrée au cimetière d’Incek dans la même ville, un groupe de “fascistes” a attaqué les personnes assistant aux funérailles. Le groupe a menacé de ne pas autoriser l’enterrement à Ankara et de déterrer le corps si nécessaire. A la demande de la famille d’Aysel Tuğluk, les funérailles et l’enterrement ont été déplacés dans une autre ville. Au cours de la cérémonie, Aysel Tuğluk va déclarer : « Ils m’ont fait vivre le deuxième Sivas.*»

Son frère aîné, Alaatin Tuğluk, a déclaré par la suite que sa sœur n’avait présenté aucun symptôme de la maladie auparavant, que la perte de sa mère avait entraîné une « profonde dépression ». Son avocate, Ezgi Güngördü, a par ailleurs déclaré : « En tant qu’avocate, je lui rends visite chaque semaine à la prison, mais elle ne me reconnaît pas et me demande à chaque reprise qui je suis. »

Malgré la détérioration de son état, les membres de la Cour de l’Affaire Kobané ont demandé à ce qu’elle témoigne lors de l’audience. Mais en vain car Aysel Tuğluk avait même du mal à comprendre les questions. Le HDP, les organisations de défense des droits humains, les organisations de femmes, les associations d’avocat·es ont lancé de nombreux appels pour la libération d’Aysel Tuğluk, mais aucun d’entre eux n’a été pris en compte par les institutions officielles et elle est toujours en prison à ce jour.

*Massacre de Sivas : le 2 juillet 1993, 33 personnes ont été tuées à Sivas par un groupe de “fascistes”.

 

Note de la rédaction:

La résolution du Parlement européen du 7 juin 2022 sur le rapport 2021 de la Commission concernant la Turquie a d’ailleurs déploré:

« Le maintien en détention de l’ancienne députée Aysel Tuğluk, malgré son état de santé précaire constaté dans des rapports médicaux rejetés ultérieurement par l’institut de médecine légale (ATK) géré par l’État : demande la libération immédiate d’Aysel Tuğluk; est consterné par les signalements d’arrestations de femmes enceintes et venant d’accoucher et demande instamment à la Turquie de libérer toutes les femmes concernées et de mettre un terme à la pratique consistant à les arrêter juste avant ou après l’accouchement; se déclare préoccupé par le harcèlement dont le député du HDP Ömer Faruk Gergerlioğlu est victime, qui a été récemment empêché de voyager à l’étranger et fait actuellement l’objet d’une enquête menée par le parquet de Kandıra – une procédure finalement classée sans suite – pour avoir «insulté l’Etat et ses organes», «influencé l’expert» et «fait l’apologie du crime et du criminel» après avoir demandé la libération d’Aysel Tuğluk ».