Correspondant en Russie : « Je n’arrive pas à me résoudre à partir »
Cela fait une dizaine d’années que Benjamin Quenelle est journaliste en Russie pour plusieurs médias francophones (Le Soir, La Croix, Les Échos…). Il a décidé de ne pas s’exiler, malgré l’invasion de l’Ukraine, un climat de censure et d’incertitude toujours plus contraignant.
Notre rôle, c’est d’informer les autres. On a la chance de voyager, de parler, de rencontrer et de voir tous les camaïeux de gris dans des situations qui, souvent, sont présentées en noir et blanc. La situation actuelle (la guerre en Ukraine, NdlR) est un exemple typique. Il y a, d’un côté, ceux qui sont pour « l’opération spéciale » et ceux qui sont contre dans chacun des deux camps. Seulement, il y a beaucoup de zones grises entre les deux. Donc, la chance du journaliste de terrain, du correspondant à l’étranger, c’est de toucher à toutes ces nuances. D’essayer de les comprendre, ensuite de les décrire et les écrire dans ses articles en s’appuyant sur la curiosité et l’honnêteté. C’est ça le rôle social des journalistes. Concernant l’éthique, il faut savoir parler à tout le monde, et même se forcer à parler à tout le monde. On doit se faire violence pour aller voir des gens dans des endroits qui ne sont a priori pas de notre milieu, ni de notre sphère politique, ni même de notre sphère de pensée. Sans oublier l’honnêteté intellectuelle dans la recherche d’informations, puis la retranscription, afin de décrire et d’écrire du mieux possible cette réalité.
Premièrement, il s’agit d’une nouvelle loi et de nouveaux amendements qui viennent s’ajouter à un fond législatif et des pratiques législatives déjà assez lourds. Avec les textes sur les agents de l’étranger, ce n’est qu’un élément de plus dans un climat de censure qui n’a cessé de croître. La loi sur les « fausses informations » s’applique à tous : journaliste ou pas, Russe ou pas. Elle concerne donc les journalistes étrangers, mais ça ne couvre que les sujets militaires. Après cinq jours pendant lesquels je n’ai rien publié, j’ai décidé de rester en Russie, alors que beaucoup de journalistes, anglo-saxons, notamment, sont partis car ils avaient peur des conséquences judiciaires. Mais en tant que journaliste, si on peut continuer à travailler, on doit continuer à travailler en Russie. Il est impératif d’expliquer ce qu’est ce pays. La Russie se résume pas à la Russie de Poutine, il y a beaucoup d’autres nuances. Par contre, je n’évoque pas les questions militaires, car d’autres journalistes le font depuis Kiev, Paris, ou encore Bruxelles. Donc, il y a bien de l’auto-censure lorsque l’on touche aux sujets militaires, mais restent les sujets politiques, sociaux, économiques, culturels… Et encore bien d’autres qui, directement ou indirectement, touchent forcément à l’actualité militaire. Alors, on s’adapte, on n’utilise pas le « g-word», mais la formulation « opération militaire ». Dans mes articles, j’écris la même formule depuis quelques mois « l’opération militaire spéciale, selon la litote officielle du Kremlin », pour que les lecteurs comprennent.