Les journalistes, victimes de la guerre
Parmi les milliers de victimes civiles en Ukraine, au moins six journalistes ont péri en défendant le droit à l’information. De telles attaques contre la presse se multiplient en Ukraine: violences physiques, censure, trolls sur les réseaux sociaux… Les belligérants mènent une guerre psychologique de l’information. Les civils, eux, subissent aussi propagande et désinformation.
Cet article a été écrit le 18 mars 2022.
Depuis le 24 février, la Russie envahit l’Ukraine. Cette crise entraîne un désastre humanitaire. Les chiffres sont difficiles à évaluer avec précision tant les déclarations officielles se contredisent. Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, environ 14.000 Ukrainiens dont 3.393 civils ont perdu la vie entre 2014 et 2021. Depuis le début de cette guerre, 780 civils seraient morts mais ces chiffres pourraient être « considérablement plus élevés ». Quant à l’armée russe, elle aurait perdu entre 500 et 12.000 soldats d’après les estimations.
Malgré le danger, des journalistes ukrainiens et étrangers continuent d’exercer leur métier en milieu hostile. Pour les Fédérations internationale et européenne des journalistes (FIJ/FEJ), il est impératif de protéger la presse en Ukraine, comme en Russie. Faut-il rappeler que censure et désinformation sont légions sur le front de la propagande ?
Situation report day 22: March 17, 2022 — #Russia #Ukraine #Kyiv #sitrep International outrage over Putin’s invasion of Ukraine is growing as Russian forces dropped a bomb on a theatre in the besieged city of Mariupol, leaving an unknown number of… https://t.co/MTbEIGz5m1 pic.twitter.com/PT0oni6FBV
— Graphic News (@GNgraphicnews) March 17, 2022
Les contre-vérités de Vladimir Poutine et de son gouvernement continuent d’être relayées à l’international par des médias partisans du Kremlin. Russia Today et Spoutnik News ont été bannis en Europe. Cependant, d’après la Fédération européenne des journalistes (FEJ), «combattre la désinformation avec la censure est une erreur». Selon la FEJ, il s’agirait d’une décision arbitraire qui appartient légalement aux régulateurs nationaux. De plus, cela pourrait avoir des effets contre-productifs sur les personnes qui suivent les médias bannis. Suite à cela, la Deutsche Welle (chaîne d’information publique allemande), la BBC et Radio Liberty (groupe financé par le Congrès américain), et de nombreux autres, ont été bloqués à leur tour en Russie. D’après Nadezhda Azhgikhina, journaliste et présidente du PEN à Moscou, «chaque nouvelle interdiction des médias officiels russes en Europe a inspiré de nouvelles attaques contre les médias libres et les groupes de défense des droits de l’Homme en Russie».
En Russie, le régulateur des médias, Roskomnadzor (RKN), est directement subordonné au gouvernement, d’où son manque d’indépendance. Depuis le 4 mars, RKN a bloqué le site web d’au moins 16 médias russes et internationaux. De plus, la Douma a promulgué deux lois qui criminalisent, entre autres, «la diffusion publique d’informations sciemment fausses sur l’utilisation des forces armées de la Fédération de Russie». Si les conséquences sont jugées «graves», les peines peuvent aller jusqu’à 15 ans d’emprisonnement.
Depuis le 4 mars, RKN a bloqué le site web d’au moins 16 médias russes et internationaux.
Parmi les derniers médias indépendants, certains résistent comme l’Echo de Moscou qui, après avoir été bloqué par RKN et liquidé par son propriétaire proche du Kremlin, a continué sa diffusion sur YouTube. Cependant, les nouvelles menaces économiques, judiciaires et physiques menacent la liberté d’expression. De plus, les lois souvent vaguement édictées peuvent être interprétées de manière arbitraire.
De nombreuses manifestations contre la guerre ont, également, éclaté partout en Russie. Celles-ci ont été sévèrement réprimées par les autorités qui ont arrêté environ 15.000 personnes d’après le site de l’ONG OVD-Info. Les manifestants sont tabassés et souvent jugés partialement simplement à cause de leur opposition au régime.
Dans une allocution diffusée le 10 mars 2022, Galina Timchenko, fondatrice du site Meduza, média indépendant le plus visité quotidiennement en Russie, dénonce les dangers auxquels font face les journalistes russes. Cette dernière appelle l’Union européenne à délivrer des visas aux journalistes qui fuient le pays.
“Our independent journalists are in danger and are desperately asking for help”, says Galina Timchenko, founder of @meduzaproject. She calls for #EU countries to step up their support Russian journalists & provide visas to those ae fleeing country fearing criminal prosecution. pic.twitter.com/jEA8IfvgIk
— IPI-The Global Network for Independent Journalism (@globalfreemedia) March 10, 2022
«J’ai dû quitter ma maison à Moscou, mais je n’ai jamais vécu à Riga. Je recommence ma vie à partir de rien», témoigne Alexey Kovalev, journaliste pour Meduza, dont le site a été bloqué par RKN avant d’être débloqué par Reporters sans frontières. Début mars, l’équipe a tenu une réunion éditoriale extraordinaire durant laquelle il a été décidé que le staff devait s’en aller. «Il était temps de partir. On espère évacuer tout notre staff pour le mettre à l’abri», témoigne Alexey Kovalev avant d’ajouter. «On peut faire une demande de visa humanitaire si nous sommes en danger immédiat à cause de notre profession, ce qui nous permet de quitter le pays directement.»
Le 15 mars 2022, la FIJ et la FEJ, en coordination avec le Media Freedom Massive Response, ont lancé un appel aux membres de l’Union européenne pour «donner un exemple mondial de soutien à la liberté des médias en crise, en offrant un abri d’urgence et une exemption de visa aux journalistes russes qui fuient le pays, ainsi qu’aux journalistes biélorusses qui cherchent à fuir la guerre et la répression.»
Les journalistes russes sont également victimes de censure d’une violence extrême. Devant une telle machine répressive, plus de 150 d’entre eux ont décidé de fuir la Russie. Notamment vers la Géorgie, l’Azerbaïdjan ou la Turquie en espérant obtenir des visas humanitaires pour l’Union européenne. «Un exode inédit depuis des dizaines d’années», déclare Ricardo Gutiérrez.