Les nouvelles masculinités

Par Layam Robert, Noury El Jarim, Lilou Tourneur et Pauline Bonenfant

Les nouvelles masculinités

Les nouvelles masculinités

Par Layam Robert, Noury El Jarim, Lilou Tourneur et Pauline Bonenfant
17 juin 2022

Les avis divergent quand on évoque la masculinité, et pour cause, il existe en réalité plusieurs types de masculinités. Le modèle dominant n’a pas toujours été celui qu’on connaît.

Parfois décrite comme toxique, souvent confondue avec la virilité, la masculinité n’a pas bon dos en 2022. Elle souffrirait même d’une crise depuis l’effervescence des mouvements féministes. Certains cherchent à la déconstruire, pour plus d’égalité, d’autres la défient en ne se conformant pas à ce qu’elle suggère.

Qu’est ce que la masculinité pour vous ?

Etre masculin, ça veut dire quoi ?

L'haltère : porte ouverte vers la masculinité ? © Layam Robert

Dans la vitrine, il trône sur un pot massif. Un gorille dont les bras sont parcourus de veines, prêtes à éclater, sert de mascotte à une marque de protéines. A l’intérieur, l’odeur est douce. Les pots et barres de protéines sont partout. À la caisse, enfermé dans son sweat serré, Johan fait les comptes de la boutique. Quand la question de la masculinité lui est posée, il répond :

Je pense que c’est lié au physique, avoir une carrure.

 

Virilité et masculinité se confondent, se mélangent et perdent leur sens. La virilité est, avant tout, une part de la masculinité. Elle n’est qu’une pièce d’un puzzle complexe. Les termes ne sont pas synonymes.

Selon Johan, la virilité est d’abord liée au physique des hommes. Un homme masculin est, pour lui, un individu musclé, qui en impose par son corps. Pour Victoria, étudiante à l’ULB, la virilité est presque à mettre au rang d’insulte. « Si on me dit que mon mec est super viril, moi je le prends mal. » À ses yeux, la virilité est ce qui désigne la masculinité dite toxique, comprenant par exemple, le désir d’exhiber sa force. Pour Philippe, sexagénaire homosexuel, la virilité est avant tout une affaire de courage, et ce n’est pas « se balader en bombant le torse et en roulant des mécaniques. » La virilité prend donc une forme différente en fonction de qui la définit. Cette pluralité se retrouve chez les sociologues. Tous ne sont pas d’accord sur la définition du terme et ses origines.

Philippe, devant le café qu’il fréquente régulièrement. © Layam Robert

Selon Christine Castelain-Meunier, sociologue sur la virilité au CNRS, il faut chercher du côté de l’Antiquité pour retrouver la première trace de ce mot. « L’idéal viril est une construction. Il a été détourné au cours des siècles. Le mot viril faisait initialement référence à la vertu, au désir de vivre et il qualifiait aussi bien les hommes que les femmes. Puis, le sens a été détourné pour signifier la destruction, la guerre, la domination. Il renvoie maintenant au patriarcat. Ce détournement a eu lieu à l’Antiquité, quand la domination masculine s’est installée dans la société. » La virilité aurait, ici, une connotation exclusivement négative.

En ce qui concerne Haude Rivoal, docteure en sociologie et chercheuse à l’Université de Paris, la confusion entre virilité et masculinité ne serait pas seulement étymologique, comme elle l’explique dans son livre « Virilité ou masculinité ?. L’usage des concepts et leur portée théorique dans les analyses scientifiques des mondes masculins » : « Cette équivalence est aujourd’hui instrumentalisée par des postures masculines qui mettent en avant la virilité comme norme sociale de la masculinité. »

Pour la chercheuse, ces visions estiment qu’une restauration de la virilité comme norme de la masculinité permettrait de « lutter contre le malaise masculin contemporain », soit le sentiment de « crise de la masculinité » que certains hommes ressentent. Pour Patrick Govers, historien et anthropologue à l’ULB, la virilité évoque plutôt le Moyen-Âge, où la notion était liée à la noblesse et au pouvoir. Être viril, à l’époque, se référait au droit de vie et de mort sur son domaine. La virilité était quantifiée au nombre de relations hors-mariages qu’un noble pouvait avoir. Être viril, c’est être dominant, à un détail près : un homme viril portait à l’époque maquillage, perruques et collants.

Un constat sociologique apparaît : la virilité évolue à travers le temps, mais a une origine historique. Elle est souvent affaire de domination et de pouvoir, mais elle ne représente pas toutes les variétés de masculinité.

La masculinité à travers l'Histoire : quelle évolution ?

Un homme habillé « à la mode masculine » dans les années 1940. © Jack Delano

La représentation de la masculinité telle qu’on la connaît aujourd’hui n’est pas universelle. Elle est le résultat de plusieurs faits historiques. Selon Christine Castelain-Meunier, l’opposition actuelle qui dissocie le masculin du féminin est le résultat d’une construction culturelle : « L’homme de la Préhistoire était aussi une femme. » Chaque membre du groupe, homme comme femme, s’occupait de toutes les tâches de la vie quotidienne : les enfants, la chasse, la cueillette… « Il existait certes une différence biologique entre les deux mais ils ne s’opposaient pas et il n’y avait pas de domination masculine. Celle-ci est apparue plus tard, quand la sédentarisation et la propriété des terres se sont installées. »

D’après Judith Surkis, historienne à l’Université de Rutgers, dans son article «Histoire des hommes et des masculinités : passé et avenir », le modèle actuel de la masculinité s’est établi lors de la Révolution française de 1789, « quand un citoyen nouveau, homme actif, producteur et génératif a détrôné un roi impuissant. » La masculinité, basée sur le pouvoir social, politique et l’honneur de l’homme, repose donc sur sa puissance sexuelle et sur son statut de père de famille. L’historienne rappelle également que « l’idéal masculin a souvent été entendu comme symbole de force, d’unité et d’honneur national » et que cet idéal revient en force lorsque « l’avenir de la nation est en jeu. »

Gil Mihaely, historien à l’EHESS, dans son article « Un poil de différence. Masculinités dans le monde du travail : années 1870-1900 », évoque les vêtements masculins qui ont, eux aussi, connu des évolutions notables. Avant la fin du XVIIIe siècle, les ornements étaient chose courante sur les vêtements masculins comme féminins. Avec la Grande Renonciation masculine, les hommes décidèrent d’abandonner leurs somptueuses parures qui étaient symboles d’aristocratie et surtout d’oisiveté. Le travail étant devenu une valeur dominante chez les hommes, synonyme de réussite sociale, il était important d’adopter un vestiaire plus sobre où le costume cravate trouva sa place.

Parmi les attributs physiques, on retrouve également la moustache. Elle était un instrument de virilité mais aussi un attribut permettant d’affirmer sa domination sociale. Seuls les travailleurs exerçant des professions « nobles » avaient le droit de la porter.

Pour Mihaely, la masculinité peut se baser sur d’autres éléments. Au XIXe siècle, les identités et les apparences masculines ou féminines ont largement été influencées par les valeurs liées aux positions dans le monde du travail. Par exemple, les domestiques représentaient le pôle féminin tandis que les militaires incarnaient la masculinité hégémonique, le pôle viril.

Selon l’article d’Arthur Vuattoux, « Penser les masculinités », la masculinité hégémonique est un type de masculinité qui domine les représentations de ce qu’est la masculinité. Mais ce type de masculinité n’est pas pour autant le seul. Cela signifie simplement qu’il est au cœur de la socialisation des garçons et des hommes, alors que les autres modèles sont considérés comme subordonnés, marginalisés et donc plus ou moins antagonistes à la masculinité hégémonique.

Apparition des « Men’s studies »

Appelées « Men’s studies » ou encore « Masculinity studies », les études sur les hommes émergent dans les années 1960 et 1970, en même temps que l’effervescence des mouvements féministes. « Tout a commencé avec le Mouvement Collectif des Femmes. Les militantes voulaient dénoncer la domination masculine et se définir autrement que comme des mères ou des épouses. Le masculin se redéfinit donc par rapport à la transformation du féminin. », souligne Christine Castelain-Meunier. Dans le courant des années 1980, les études de genre et les bases théoriques sur le sujet connaissent un réel essor dans les pays anglophones grâce aux travaux des sociologues Raewyn Connell et Michael Kimmel. Ils questionnent le rôle de l’homme à une période où l’égalité des sexes est une revendication de plus en plus forte.

En parallèle de ces études principalement sociologiques, naissent d’autres mouvements. Des groupements d’hommes avant tout blancs et universitaires qui souhaitent lutter contre les privilèges masculins, explique le professeur de science politique à l’Université du Québec à Montréal, Francis Dupuis-Déri, dans son ouvrage «La crise de la masculinité. Autopsie d’un mythe tenace». Les intentions initiales de ces mouvements évoluent et se retrouvent dans les années 1980, fortement influencées par des valeurs conservatrices. On assiste donc à « un recentrage sur les relations interpersonnelles plutôt que sur les structures de pouvoir et de domination. » Les masculinistes en sont l’exemple le plus marquant. Ces hommes réfutent la nécessité des droits des femmes et accusent les féministes de vouloir prendre le pouvoir. Les concernant, Francis Dupuis-Déri affirme qu’: « ils tiennent des discours ambivalents qui aboutissent à des raisonnements souvent grotesques. »

Un autre groupe d’hommes va se rallier aux masculinistes dans les années 1980. C’est « le mouvement de défense des pères ». Toujours dans son ouvrage sur la crise de la masculinité, le chercheur québécois les présente comme « des hommes, des pères, majoritairement cisgenres et hétérosexuels, qui se présentent comme des victimes d’injustices. » Mais quelles injustices ? Celles d’être privés de la garde de leurs enfants, et obligés de payer une pension alimentaire. Comme pour masquer la réalité de la société, ce thème permet le déploiement d’un discours contre les mères, les féministes, les institutions de protection de l’enfance, les tribunaux.

 

Vers un nouveau cycle de masculinité hégémonique

S'enfermer dans la masculinité toxique. © Layam Robert

Avec l’apparition des études critiques sur la masculinité au cours de la seconde moitié du XXe siècle, les effets négatifs de la masculinité hégémonique et de ses valeurs viriles sont exposés au grand jour. Selon une étude suédoise, les hommes sont responsables de 16% de plus que les femmes d’émissions à l’origine du réchauffement climatique. Visions à court terme et volonté du profit sont des valeurs masculines qui ont contribué à un tel résultat, selon la sociologue sur la virilité Christine Castelain-Meunier. Les hommes sont également responsables de l’immense majorité des faits de violence, de délinquance et de comportements à risque, de manière générale, affirme Lucile Peytavin, historienne et autrice de l’ouvrage « Le coût de la virilité. » D’après un rapport du Centre de Prévention du Suicide, les hommes se suicident environ trois fois plus que les femmes dans nos sociétés occidentales. Les masculinistes disent que la cause de ce phénomène est la pression exercée par les femmes mais la réalité est tout autre, selon Francis Dupuis-Déri. Il affirme, dans son ouvrage sur la crise de la masculinité, que le haut taux de suicides des hommes émanerait des « stéréotypes d’une masculinité forte, autonome, toujours gagnante qui rend les hommes vulnérables à l’échec et limite leur capacité à demander de l’aide. »

Cette vulnérabilité serait la conséquence du mouvement MeToo. Révélé au grand jour en 2017 par un mouvement de dénonciations de violences et d’agressions sexuelles, de la part de réalisateurs et producteurs de cinéma américains. Cette « vague » a eu un effet boule de neige dans le monde entier. Grâce à ce mouvement précurseur, de nombreuses langues se sont déliées. MeToo Inceste, MeToo Politique ou MeToo Gay, tous ces mouvements ont sonné comme des tremblements de terre, et notamment sur les réseaux sociaux, comme Twitter. Des tremblements qui émettent des secousses encore aujourd’hui. Récemment, le hashtag #BalanceTonBar est apparu en Europe, et notamment en Belgique. Des femmes se sont plaintes d’avoir été droguées lors de soirées en boîte de nuit ou dans des bars. Un signe que les choses avancent et ne stagnent pas. Mais comment se sentir homme quand de telles accusations sont proférées ?

Éduquer les hommes sur le genre

Jérémy Patinier, journaliste et auteur du Petit Guide du féminisme pour les hommes, raconte au micro du podcast Les couilles sur la table, ce que les hommes peuvent faire après la vague MeToo : « Les hommes font la même chose qu’avant, ne pas agresser sexuellement, ne pas violer », même si dans les faits, certains n’écoutent pas et se permettent des comportements déplacés. « Les hommes ne peuvent plus nier cette prise de conscience et cette évidence. Il faut éduquer les filles et les garçons de manière égale, avec les mêmes chances. »

Aujourd’hui, une nouvelle vision de la masculinité émerge, davantage tournée vers un respect du genre, et notamment des femmes. Ce qui n’est pas du goût de tout le monde. Pour Jeanine, 80 ans : « Les hommes d’aujourd’hui, ce n’est plus ce que c’était. » Ivan, 50 ans et père de trois enfants et adepte de la salle de musculation, explique, lui, que « l’homme doit rester l’homme, et la femme doit rester la femme. On est des dominants, on n’est pas des passifs, on est en affaire. » Il ajoute : « Il y a toujours un rapport de force entre l’homme et la femme, et l’homme doit assumer un certain nombre de choses. »

Ce discours, en opposition à la pensée féministe, se retrouve chez un groupe d’hommes qu’on nomme les incels (mot-valise du terme anglais « involuntary celibate », NdlR). Patrick Govers, sociologue et anthropologue, les décrit comme ayant « un ressentiment, une volonté d’apitoyer, une misogynie et une misanthropie. » Les incels sont composés en majorité d’hommes hétérosexuels et cisgenres involontairement célibataires. Ils apparaissent sur un site Web créé au Canada, qui promet d’apporter son soutien aux personnes ayant du mal à établir des relations affectives. Présents surtout aux États-Unis et en Europe, ils n’ont pas hésité à passer à l’acte en provoquant des tueries. Ils revendiquent la responsabilisation des femmes, et leur rôle dans leur manque de relations affectives.

Une crise qui n’en est pas une

Malgré les craintes émises par ces hommes, l’historien Francis Dupuis-Déri l’assure dans son ouvrage sur la crise de la masculinité : « le patriarcat reste bien établi et les hommes monopolisent toujours la majorité des positions de pouvoir dans les champs politiques, économiques et culturels. »

La notion de « crise » doit également être nuancée. Dupuis-Déri estime qu’il ne s’agit pas d’un moment particulier mais plutôt d’un « discours qui s’étale sur la longue durée. » On ne peut donc parler de crise. Il ne s’agit pas, non plus, d’une nouveauté. Ce phénomène apparaît systématiquement « quand les femmes cherchent à s’extraire de leur position dominée, quand l’ordre patriarcal est remis en cause ou quand il s’affirme. » Durant l’Antiquité déjà, Aristophane, poète grec, craignait un « affadissement » de la formation virile pour les générations futures, comme le mentionne l’historien Georges Vigarello dans son article « La virilité et ses « crises ». »

Francis Dupuis-Déri pense que la soi-disant crise de la masculinité moderne résulte davantage de la crise économique (et donc du marché de l’emploi) qu’une véritable crise de la masculinité. En d’autres mots, la médiatisation du discours sur la crise de la masculinité servirait à occulter une réalité sociale plus complexe.

Daisy Letourneur est journaliste, auteure et blogueuse sur les questions de genre. Elle explique sa conception de la déconstruction des genres. Elle se dit sceptique : « La déconstruction me paraît superficielle. Il s’agit de réellement changer le système et je ne pense pas que la déconstruction suffise. » Selon elle, les hommes trouveraient des avantages à se déconstruire superficiellement : être déconstruit en façade mais continuer à profiter de la domination masculine qui caractérise nos sociétés.

Une masculinité construite par la socialisation

Dès l’enfance, une première socialisation genrée se met en place. Selon le podcast « Contre Culture, déconstruire sa masculinité », dans la cour de récréation, les garçons jouent au ballon, tandis que les filles se regroupent pour se raconter les avancées de l’histoire d’amour du couple de la classe. Une différenciation dès le plus jeune âge dont l’impact continue à se marquer plus tard. Ces rôles assignés involontairement à l’école vont quelque peu influencer certains ou certaines dans leur rapport futur au genre. Une frontière nette féminin-masculin se construit.

« Avec mon éducation à la traîne, je me rends compte qu’on a besoin des femmes dans pleins de domaines ». Ivan, 50 ans, reconnaît son côté sexiste, et rappelle même que les deux genres sont utiles à la société. Il met en avant l’éducation qu’il a reçue pour justifier son comportement.

La transidentité, comment construire sa masculinité quand on naît femme

Se raser est devenu un geste quotidien pour Anna. © Layam Robert

Cheveux longs, barbe de trois jours, et septum, du haut de son mètre quatre-vingt, Anna transpire la confiance en lui. Vingt-cinq ans, franco-brésilien, il étudie le management de l’innovation et un master d’études de genre en parallèle. Anna, c’est un nom étonnant pour un homme. En fait, il est né femme. Mais pour lui, être femme ou homme c’est avant tout une construction. On ne naît pas homme ou femme, on le devient.

 

 

Naître femme dans un monde genré :

« Nous on se déguisait beaucoup, on s’amusait beaucoup mais je me rends compte qu’on a grandi différemment avec mon petit frère. Je pouvais être casse-cou, jouer dehors, tout ça était valorisé. Mais le problème c’est qu’il y a autre chose, il y a la socialisation après, et les profs, tout ça… », explique Anna. Pour lui, le sexe féminin lui a été imposé, ce qui ne l’a pas empêché durant toute son adolescence, de se sentir femme, féministe et lesbienne.

 

 

La fierté d’être lesbienne et féministe coexiste cependant avec un mal-être : « Je n’ai jamais été très à l’aise avec mon corps. » Quelque chose sur lequel il n’arrive pas à mettre le doigt mais qui est enfoui en lui. Mais dans certains moments de son quotidien, c’est impossible : « Prendre des douches et tout, pour moi c’était problématique, par rapport à ma poitrine. » Il cache donc cette poitrine sous des vêtements amples. Anna estime qu’une dysphorie de genre n’apparaît vraiment qu’en 2019, lorsqu’il comprend qu’il est transexuel et que son corps peut être différent.

La dysphorie de genre c’est quoi ?

Selon la définition du MSD-5 (site de définition scientifique), « la dysphorie de genre est caractérisée par une identification forte et permanente à l’autre genre. Le trouble est associé à une anxiété, une dépression, une irritabilité et, souvent, un désir de vivre en tant que genre différent du sexe attribué à la naissance. Toujours selon le manuel, les sujets qui présentent une dysphorie de genre se croient souvent victimes d’un accident biologique et sont emprisonnés dans un corps incompatible avec leur identité de genre subjective. La dysphorie de genre est un diagnostic nécessitant des critères spécifiques, mais elle est parfois utilisée plus librement chez les sujets dont les symptômes n’atteignent pas un seuil clinique. »

Pour le sociologue Patrick Govers : « La transidentité n’est pas quelque chose de nouveau. » Cela existait déjà dans plusieurs tribus comme en Inde. « La transidentité est un challenge sur la notion du genre. »

Genre masculin, vivre et construire

Anna a refait une photo d’identité pour son changement d’état civil. © Anna Prado De Oliveira

Faire changer son corps, pour l’adapter à son identité de genre, a été pour Anna une libération. En 2020, il entame donc sa transition, par la prise de testostérone, une hormone sécrétée par les testicules. Elle fait apparaître notamment les caractères secondaires masculins. Son corps se transforme, il arbore d’ailleurs aujourd’hui une barbe fournie. En 2021, l’étudiant décide de réaliser une torsoplastie pour faire disparaître ses seins, symbole important de féminité selon lui. Pour lui, c’était indispensable dans la construction de sa masculinité : « J’avais besoin de ne plus avoir de seins, j’avais envie d’avoir de la barbe. » En 2021, il change d’état civil en faisant inscrire la lettre « M » dans la catégorie « sexe » de sa carte d’identité, mais choisit de garder son prénom de naissance : « C’est un choix personnel et émotionnel, j’ai grandi avec ce prénom. Je ne me vois pas le changer maintenant. » Le militant voit aussi comme un choix politique : « On a pas besoin de rentrer dans les cadres de l’état, qui nous fait suer dans nos transitions. »

 

On en est où légalement ? Selon le site de Justice Belgium, depuis le 1er janvier 2018, les personnes transgenres peuvent officiellement faire modifier l’enregistrement de leur sexe et de leurs prénoms sans devoir répondre à des conditions médicales.

« Ce qui est viril, c’est ma manière d’être à l’aise, ma manière de me mouvoir dans la société. Je ne me questionne pas. »

Masculinité plurielle et imaginaire collectif

Sa masculinité virile, Anna se l’est construite récemment, mais pour lui c’est avant tout une question de confiance en soi. Il lui arrive d’ailleurs régulièrement que des connaissances ou des inconnus lui fassent des remarques sur sa virilité, comme ce soir-là dans un bar de Lille :

 

 

Pour Anna, il existe une forme de masculinité hégémonique qui évolue avec les années : « C’est une construction sociale comme la féminité, comment être homme dans la collectivité. » Il existe, pour lui aussi, plusieurs masculinités : « La masculinité hégémonique par exemple, masculin virile, ou a contrario les hommes plus efféminés. »

Si les masculinités et les féminités sont une construction sociale, la place de l’imaginaire est importante pour les identités de tous et toutes. Depuis sa transition, Anna s’est construit un nouvel imaginaire et ses figures d’exemples ont changé. Son héros ? « Jasmin, un mec trans qui milite beaucoup pour les assos sur Paris. Je me suis dit qu’il avait une masculinité positive. Sinon, c’est Ilya Lobacheva, un mec qui fait de superbes photos sur instagram. »

 

Compte Instagram de Ilya Lobacheva
Capture d’écran du compte Instagram de Ilya Lobacheva. Instagrameur qui joue avec les codes de la masculinité. © @Ilya.Lobacheva

De nombreux hommes jouent de plus en plus avec la masculinité comme Ilya. Ils deviennent les nouvelles figures d’une masculinité plurielle. Preuve que le masculin est en perpétuelle évolution.


Cet article a été rédigé par des étudiant.es en MA1 de l’ULB sous la coordination de Jacques Besnard et Alain Gérard.