Avec l’apparition des études critiques sur la masculinité au cours de la seconde moitié du XXe siècle, les effets négatifs de la masculinité hégémonique et de ses valeurs viriles sont exposés au grand jour. Selon une étude suédoise, les hommes sont responsables de 16% de plus que les femmes d’émissions à l’origine du réchauffement climatique. Visions à court terme et volonté du profit sont des valeurs masculines qui ont contribué à un tel résultat, selon la sociologue sur la virilité Christine Castelain-Meunier. Les hommes sont également responsables de l’immense majorité des faits de violence, de délinquance et de comportements à risque, de manière générale, affirme Lucile Peytavin, historienne et autrice de l’ouvrage « Le coût de la virilité. » D’après un rapport du Centre de Prévention du Suicide, les hommes se suicident environ trois fois plus que les femmes dans nos sociétés occidentales. Les masculinistes disent que la cause de ce phénomène est la pression exercée par les femmes mais la réalité est tout autre, selon Francis Dupuis-Déri. Il affirme, dans son ouvrage sur la crise de la masculinité, que le haut taux de suicides des hommes émanerait des « stéréotypes d’une masculinité forte, autonome, toujours gagnante qui rend les hommes vulnérables à l’échec et limite leur capacité à demander de l’aide. »
Cette vulnérabilité serait la conséquence du mouvement MeToo. Révélé au grand jour en 2017 par un mouvement de dénonciations de violences et d’agressions sexuelles, de la part de réalisateurs et producteurs de cinéma américains. Cette « vague » a eu un effet boule de neige dans le monde entier. Grâce à ce mouvement précurseur, de nombreuses langues se sont déliées. MeToo Inceste, MeToo Politique ou MeToo Gay, tous ces mouvements ont sonné comme des tremblements de terre, et notamment sur les réseaux sociaux, comme Twitter. Des tremblements qui émettent des secousses encore aujourd’hui. Récemment, le hashtag #BalanceTonBar est apparu en Europe, et notamment en Belgique. Des femmes se sont plaintes d’avoir été droguées lors de soirées en boîte de nuit ou dans des bars. Un signe que les choses avancent et ne stagnent pas. Mais comment se sentir homme quand de telles accusations sont proférées ?
Éduquer les hommes sur le genre
Jérémy Patinier, journaliste et auteur du Petit Guide du féminisme pour les hommes, raconte au micro du podcast Les couilles sur la table, ce que les hommes peuvent faire après la vague MeToo : « Les hommes font la même chose qu’avant, ne pas agresser sexuellement, ne pas violer », même si dans les faits, certains n’écoutent pas et se permettent des comportements déplacés. « Les hommes ne peuvent plus nier cette prise de conscience et cette évidence. Il faut éduquer les filles et les garçons de manière égale, avec les mêmes chances. »
Aujourd’hui, une nouvelle vision de la masculinité émerge, davantage tournée vers un respect du genre, et notamment des femmes. Ce qui n’est pas du goût de tout le monde. Pour Jeanine, 80 ans : « Les hommes d’aujourd’hui, ce n’est plus ce que c’était. » Ivan, 50 ans et père de trois enfants et adepte de la salle de musculation, explique, lui, que « l’homme doit rester l’homme, et la femme doit rester la femme. On est des dominants, on n’est pas des passifs, on est en affaire. » Il ajoute : « Il y a toujours un rapport de force entre l’homme et la femme, et l’homme doit assumer un certain nombre de choses. »
Ce discours, en opposition à la pensée féministe, se retrouve chez un groupe d’hommes qu’on nomme les incels (mot-valise du terme anglais « involuntary celibate », NdlR). Patrick Govers, sociologue et anthropologue, les décrit comme ayant « un ressentiment, une volonté d’apitoyer, une misogynie et une misanthropie. » Les incels sont composés en majorité d’hommes hétérosexuels et cisgenres involontairement célibataires. Ils apparaissent sur un site Web créé au Canada, qui promet d’apporter son soutien aux personnes ayant du mal à établir des relations affectives. Présents surtout aux États-Unis et en Europe, ils n’ont pas hésité à passer à l’acte en provoquant des tueries. Ils revendiquent la responsabilisation des femmes, et leur rôle dans leur manque de relations affectives.
Une crise qui n’en est pas une
Malgré les craintes émises par ces hommes, l’historien Francis Dupuis-Déri l’assure dans son ouvrage sur la crise de la masculinité : « le patriarcat reste bien établi et les hommes monopolisent toujours la majorité des positions de pouvoir dans les champs politiques, économiques et culturels. »
La notion de « crise » doit également être nuancée. Dupuis-Déri estime qu’il ne s’agit pas d’un moment particulier mais plutôt d’un « discours qui s’étale sur la longue durée. » On ne peut donc parler de crise. Il ne s’agit pas, non plus, d’une nouveauté. Ce phénomène apparaît systématiquement « quand les femmes cherchent à s’extraire de leur position dominée, quand l’ordre patriarcal est remis en cause ou quand il s’affirme. » Durant l’Antiquité déjà, Aristophane, poète grec, craignait un « affadissement » de la formation virile pour les générations futures, comme le mentionne l’historien Georges Vigarello dans son article « La virilité et ses « crises ». »
Francis Dupuis-Déri pense que la soi-disant crise de la masculinité moderne résulte davantage de la crise économique (et donc du marché de l’emploi) qu’une véritable crise de la masculinité. En d’autres mots, la médiatisation du discours sur la crise de la masculinité servirait à occulter une réalité sociale plus complexe.
Daisy Letourneur est journaliste, auteure et blogueuse sur les questions de genre. Elle explique sa conception de la déconstruction des genres. Elle se dit sceptique : « La déconstruction me paraît superficielle. Il s’agit de réellement changer le système et je ne pense pas que la déconstruction suffise. » Selon elle, les hommes trouveraient des avantages à se déconstruire superficiellement : être déconstruit en façade mais continuer à profiter de la domination masculine qui caractérise nos sociétés.
Une masculinité construite par la socialisation
Dès l’enfance, une première socialisation genrée se met en place. Selon le podcast « Contre Culture, déconstruire sa masculinité », dans la cour de récréation, les garçons jouent au ballon, tandis que les filles se regroupent pour se raconter les avancées de l’histoire d’amour du couple de la classe. Une différenciation dès le plus jeune âge dont l’impact continue à se marquer plus tard. Ces rôles assignés involontairement à l’école vont quelque peu influencer certains ou certaines dans leur rapport futur au genre. Une frontière nette féminin-masculin se construit.
« Avec mon éducation à la traîne, je me rends compte qu’on a besoin des femmes dans pleins de domaines ». Ivan, 50 ans, reconnaît son côté sexiste, et rappelle même que les deux genres sont utiles à la société. Il met en avant l’éducation qu’il a reçue pour justifier son comportement.