L’identité des jeunesses immigrées : entre appartenance et rejet

Sonia César Mesquita, Maurine Sanchez Sampedro, Lilit Tovmasyan, Marine Giacometti

L’identité des jeunesses immigrées : entre appartenance et rejet

L’identité des jeunesses immigrées : entre appartenance et rejet

Sonia César Mesquita, Maurine Sanchez Sampedro, Lilit Tovmasyan, Marine Giacometti
20 avril 2024

Dans un contexte où l’immigration occupe une place de plus en plus centrale dans les débats politiques et sociaux, la jeunesse issue de l’immigration se retrouve au cœur d’une quête identitaire complexe. Entre les enjeux de reconnaissance, les défis de l’intégration et les tensions politiques, ces jeunes naviguent à travers des frontières souvent invisibles pour trouver leur place dans une société en mutation permanente.

« Ce qui fait que je suis moi-même et pas un autre, c’est que je suis ainsi à la lisière de deux pays, de deux ou trois langues, de plusieurs traditions culturelles. C’est précisément cela qui définit mon identité »
Amin Maalouf, écrivain franco-libanais, dans les Identités Meurtrières.

L’identité des jeunes issus de l’immigration, ainsi que leur engagement politique revêt une importance capitale, notamment dans le contexte électoral actuel. Le moment des élections est une période cruciale où les citoyens sont appelés à exercer leur droit de vote. Dans ce contexte, l’implication de cette jeunesse apparait comme importante. Elle reflète non seulement leur intégration dans la société belge, mais aussi leur capacité à façonner l’avenir politique du pays et de l’Europe.

En analysant leurs profils, leur sentiment d’appartenance, leur participation politique et les défis auxquels ils sont confrontés, il est possible de connaître leur rôle dans le processus démocratique.

En 2021, 63.504 premiers titres de séjour ont été délivrés à des ressortissants de pays tiers en Belgique. Parmi ces titres, plus de la moitié (52%) ont été attribués pour des raisons familiales, 14% pour des raisons liées aux études, 13% pour des motifs de protection internationale. Cette diversité de motifs reflète la variété des parcours et des aspirations des migrants dans la société belge.

Les acquisitions de la nationalité belge ont augmenté, selon les données de 2022. Près de 48.000 personnes ont, ainsi, obtenu la nationalité, soit une augmentation de 24% par rapport à l’année précédente. Ces chiffres soulignent l’ampleur des dynamiques démographiques et des processus d’intégration.

 

Principales nationalités d’origine des personnes ayant obtenu la nationalité belge en 2022 : Maroc (10%), Syrie (8%), Roumanie (6%), italie (3%), Espagne (2%)
© MYRIA – le Centre fédéral Migration

Profils des jeunes issus de l’immigration

© Sonia César Mesquita

Le premier profil concerne ceux qui sont nés en Belgique : les détenteurs de la nationalité belge, mais issus d’une immigration plus générationnelle. Ils s’impliquent activement ou non dans la vie politique de la Belgique. Ces jeunes, souvent élevés dans un environnement belge, possèdent une identité hybride, combinant à la fois des éléments de leur culture d’origine et de la culture belge. Ils votent ou participent à des initiatives communautaires et politiques.

Parmi eux, des jeunes comme Louna, née en Belgique avec des racines espagnoles, et Anna, belgo-arménienne, illustrent cette dynamique d’identité complexe, naviguant entre deux cultures et deux héritages nationaux.

En revanche, le deuxième profil porte sur ceux qui sont nés en Belgique, mais ne disposant pas de la nationalité belge. Ils ont plutôt la nationalité de leurs parents ou de leur pays d’origine. Bien qu’ils puissent être politiquement actifs, leur engagement tend souvent à se concentrer sur les affaires de leur pays d’origine, en raison des limitations liées à leur statut juridique en Belgique.

Ces jeunes font face à des défis liés au droit du sang et du sol, ainsi qu’aux exigences des tests de naturalisation pour acquérir la nationalité belge. Daniela est une Portugaise de 25 ans et bien qu’elle soit née en Belgique, elle ne possède pas la nationalité belge. Dans ce mélange entre deux cultures, son parcours reflète l’acquisition d’un héritage générationnel : ses traditions, ses valeurs et ses expériences ont été transmises aussi bien par sa famille que par sa communauté.

C’est quoi le droit du sol et du sang ?

  • Droit du sol : Le droit du sol est un principe juridique selon lequel toute personne née sur le territoire d’un État a automatiquement la nationalité de cet État, quelle que soit la nationalité de ses parents.
  • Droit du sang : Le droit du sang est un principe juridique selon lequel la nationalité est transmise par les parents à leurs enfants. Ainsi, un enfant né de parents ayant la nationalité d’un État acquiert automatiquement la nationalité de cet État, même s’il naît en dehors de ce territoire.

« Le droit du sol est plus limité en Belgique que dans certains autres pays. Il s’applique seulement si on est né en Belgique de parents qui y sont nés. Dans ce cas on peut demander la nationalité à la naissance.» Djordje Sredanovic, sociologue à l’ULB, spécialisé dans les études de la nationalité, citoyenneté et migrations.

Cependant, si l’enfant est né en Belgique de parents étrangers et qu’il n’y a pas de lien avec un parent belge, le droit du sol se limite à la possibilité de demander la nationalité à l’âge de 18 ans.

« Et c’est la même chose pour le droit du sang, qui est limité en Belgique. Le droit du sang ne garantit pas automatiquement la nationalité belge à toute personne née sur le territoire belge. » Djordje Sredanovic, sociologue spécialisé dans les études de la nationalité, citoyenneté et migrations.

 

Enfin, le troisième profil concerne ceux qui ont obtenu la nationalité belge par obligation ou nécessité, souvent pour des raisons de sécurité ou de commodité au sein de l’Union européenne. Comme Maria (nom d’emprunt), dont le parcours migratoire l’a conduite de son Guatemala natal à Bruxelles. Malgré ses racines profondes, Maria affirme, avec conviction, son appartenance à la Belgique, où elle a su s’intégrer tout en préservant son identité culturelle guatémaltèque.

Obtention de la nationalité

Comment avoir la nationalité belge ?

Pour obtenir la nationalité belge, il y a trois voies principales : l’acquisition, la naturalisation et l’attribution.

  • L’acquisition concerne ceux qui sont âgés d’au moins 18 ans, résidant légalement en Belgique et remplissant des critères d’intégration. La procédure, initiée à la commune de résidence, nécessite un paiement de 150€ plus des frais accessoires.
  • La naturalisation est une mesure exceptionnelle accordée par la Chambre des représentants aux individus de plus de 18 ans, résidant légalement en Belgique. Les frais sont également de 150€, et la procédure est initiée par l’officier de l’état civil.
  • L’attribution concerne les enfants mineurs dont les parents remplissent les conditions pour faire une déclaration en leur nom. Cette démarche est gratuite mais peut impliquer des frais accessoires, et peut être effectuée auprès de la commune de résidence ou des autorités belges à l’étranger.

 

En 2022, 48.482 personnes ont obtenu la nationalité belge, soit une augmentation de 24 % par rapport à l’année précédente. Cette augmentation met en évidence la diversité des origines des nouveaux Belges, avec trois quarts des acquisitions de la nationalité belge ont été réalisées par des personnes originaires de pays tiers, et un quart par des ressortissants de l’UE. Les principales nationalités d’origine des nouveaux Belges en 2022 comprennent le Maroc, la Syrie et la Roumanie, chacun représentant une part significative des acquisitions. En outre, la probabilité de devenir belge varie selon l’origine, avec une tendance plus élevée parmi les ressortissants de pays tiers que parmi les citoyens de l’UE.

Traditionnellement, la nationalité belge s’acquiert majoritairement par une déclaration sur base de l’article 12bis du Code National Belge (CNB) © MYRIA – le Centre fédéral Migration

Sentiment d'appartenance et intégration

Image libre de droits

« Certains qui ont déjà le sentiment d’être Belge, mais qui n’ont pas les mêmes droits que les autres Belges vont se dire : « Je veux être reconnu en tant que Belge ». Donc ce n’est pas une procédure d’identification, c’est une procédure de reconnaissance de la personne qui a déjà le sentiment d’être Belge et qui veut avoir la confirmation de ces sentiments », Djordje Sredanovic, sociologue spécialisé dans les études de la nationalité, citoyenneté et migrations.

D’après les conclusions d’une étude menée en Belgique par le Centre d’Etudes de l’Ethnicité et des Migrations (CEDEM) de l’Université de Liège, commanditée par Unia, il est clair que les jeunes d’origine étrangère sont confrontés à des formes de discriminations multiples, directes ou indirectes, qui entravent leur affiliation à la culture belge.

Cette étude se concentre spécifiquement sur les liens entre discrimination, désaffiliation et employabilité des jeunes d’origine étrangère âgés de 18 à 25 ans, issus des deuxièmes et troisièmes générations de l’immigration.

Les résultats soulignent que malgré leur nationalité belge pour la majorité d’entre eux et leur scolarisation en Belgique, ces jeunes continuent de faire face à des discriminations et ne se sentent pas à leur place. La désaffiliation sociale de certains jeunes issus de l’immigration affecte leur capacité à s’insérer sur le marché du travail. Cette désaffiliation est accentuée par des facteurs individuels et contextuels.

Évaluation des politiques d’intégration en Belgique

Souvent partagés entre deux mondes : celui de leur culture d’origine et celui de la société d’accueil, ils essayent de trouver leur place. C’est un environnement complexe pour construire son identité personnelle et sociale. De plus, marqués par sa diversité linguistique, la Belgique ne représente pas, une intégration facile. Pour un résident belge, il est assez difficile de pratiquer toutes les langues présentes dans le pays, cette difficulté étant encore plus prononcée pour ceux qui ne sont pas natifs. Néanmoins d’après l’indicateur Mipex, un indice créé en 2004 des politiques d’intégration des migrants, la Belgique est assez bien placée.

Avec un score moyen de 69 sur 100, elle décroche la septième place de ce classement lui donnant ainsi accès au groupe « Top Ten pays ». Ces pays garantissent une approche favorable à l’immigration, basée sur trois piliers : les droits fondamentaux, l’égalité des chances et la sécurité à long terme. L’outil Mipex est capable d’évaluer et de comparer les mesures prises par les gouvernements. Il s’agit d’un projet qui regroupe 56 pays. Le but premier de cet indice est d’informer, mais il est aussi vu comme un moyen simple mis à disposition des gouvernants de s’améliorer.

Ce graphique représente tous les pays qui sont analysés. Allant des politiques les plus favorables au moins favorables. © MIPEX

Comment obtient-on l’indicateur politique par pays ? 

Pour trouver cet indicateur, les chercheurs commencent par mesurer huit domaines des politiques d’intégration. Sur base des trois dimensions clés, les chercheurs classent les pays en plusieurs groupes :

  1. L’intégration globale: Une approche qui garantit l’égalité des droits, des chances et de la sécurité pour les immigrants.
  2. L’égalité sur les papiers: Sur le papier, l’égalité signifie que les immigrés bénéficient de droits égaux et d’une sécurité à long terme, mais pas de chances égales.
  3. Intégration temporaire: L’intégration temporaire signifie que les immigrés bénéficient des droits fondamentaux et des chances égales, mais pas d’une sécurité égale, car ils sont confrontés à des obstacles pour s’établir à long terme.
  4. Immigration sans intégration: L’immigration sans intégration signifie que les immigrants se voient refuser les droits fondamentaux et l’égalité des chances, même s’ils sont capables de s’installer à long terme dans le pays.

 

Les travailleurs migrants, les familles regroupées et les résidents permanents peuvent alors bénéficier d’une sécurité, de droits et d’une protection fondamentale contre la discrimination. Malgré ces opportunités, l’éducation et la participation sont deux dimensions qui nécessitent encore de nombreuses améliorations selon l’indicateur.

En effet, les opinions divergent largement sur la question de l’efficacité des politiques d’intégration en Belgique. Certains mettent en avant les nombreuses initiatives mises en place comme les cours de langues et d’orientation. Mais aussi les programmes d’intégration civique qui sont proposés pour les aider à comprendre les valeurs et les normes belges ou encore les nombreux services de soutien social et psychologique mis en place.

Certains soulignent les points faibles du système, tels que la complexité administrative, la discrimination et le racisme

Dans le domaine de l’éducation, de nombreux élèves immigrés ne bénéficient pas d’un soutien adéquat pour leur bien-être et leur développement dans leur pays d’accueil, notamment en termes d’accès à l’éducation et d’apprentissage de la langue locale.

En ce qui concerne la participation politique, la plupart des immigrants ont peu d’opportunités pour s’informer et influencer les politiques qui les affectent au quotidien. Ils se sentent souvent exclus des processus décisionnels et manquent de soutien pour s’engager civiquement.

Graphique pour illustrer les divers domaines pris en considération pour évaluer l’efficacité des politiques d’intégration. Sur celui-ci, on y voit comment les domaines de l’éducation et de la participation politique sont légèrement insuffisants. © MIPEX

Entre héritage culturel et reconnaissance

Selon les données, la Belgique se distingue par sa politique d’intégration favorable aux migrants, illustrée notamment par son indice d’intégration. Cependant, l’efficacité de ces politiques en pratique soulève des interrogations légitimes quant à leur alignement avec les principes théoriques. Il était donc important d’aller à la rencontre de jeunes issus de l’immigration afin de savoir si la réalité rejoint bien la théorie.

« Je suis Guatémaltèque, mes racines et ma famille sont là-bas mais la Belgique est aussi mon pays. J’ai grandi ici, je fais mes études ici, toutes mes amies sont ici, ma vie entière est ici. Quelque part, je serais toujours reconnaissante des opportunités et de la vie que la Belgique nous a données », Maria, étudiante en ingénieure de gestion à Solvay.

En 2008, Maria et sa famille quittent officiellement le Guatemala pour rejoindre la Belgique. Après l’assassinat de son grand-père, ses parents ne se voyaient pas élever leurs enfants dans un pays avec un tel niveau de criminalité. Aujourd’hui, elle est âgée de 23 ans et s’épanouit de jour en jour dans la capitale belge. Au quotidien, sa vie est rythmée par les traditions latines et les influences belges.

« Culturellement, nos parents nous ont transmis un gros héritage et souhaitent vraiment qu’on le garde précieusement. D’ailleurs, pour eux, l’espagnol est l’aspect le plus important dans notre éducation. »
Maria étudiante en ingénieure de gestion à Solvay.

A la maison, interdiction de parler français à table. Pour sa maman, il est primordial de garder la seule langue qui les unit au Guatemala et à leur famille. Dans la vie quotidienne, Marie continue d’assister à des évènements latinos tels que les messes multinationales à Bruxelles ou encore les fêtes traditionnelles comme celle du « Cristo Negro de Esquipulas », une commémoration en l’honneur du Christ.

Malgré ces aspects, Maria ne ressent aucun manque à l’égard de son pays d’origine. « Quand on est partis, j’avais 8 ans donc je n’ai quasiment aucun souvenir concret. C’est surtout pour ça que je ne ressens pas le besoin d’y retourner. En revanche, ma grande sœur sentait le besoin de se ressourcer auprès des siens. »

 

Pour Maria, la Belgique est son pays, celui qui l’a vu grandir et s’épanouir. De jour en jour, elle a su trouver sa place, notamment grâce au système éducatif belge et les différentes activités sportives qu’elle pratiquait. L’apprentissage du français lui permet de s’intégrer encore plus facilement, des barrières retirées grâce au corps enseignant.

Le parcours de Daniela est différent. Mais la jeune femme évoque de la même manière sa reconnaissance envers la Belgique. Née à Bruxelles, ville où elle a grandi, elle a acquis la nationalité portugaise grâce à ses deux parents. « Ma langue maternelle ça a toujours été le portugais. Tout a commencé par le Portugal, alors que j’habitais en Belgique. »

« Le Portugal, c’est le pays où je passais toutes mes vacances, j’ai grandi avec ses valeurs. » Daniela est a gauche en t-shirt rose. 

Principalement en raison d’un fort attachement à sa culture d’origine, aujourd’hui, elle ne désire pas nécessairement obtenir la nationalité belgo-portugaise. Étant une citoyenne de l’Union européenne, être seulement Portugaise lui suffit. « Vu la facilité que j’ai d’avoir un permis de séjour belge et que je suis considérée à moitié, on va dire, Belge, comme je suis née ici, je ne vois pas vraiment ça comme une nécessité d’aller faire ma carte. »

Pendant très longtemps, Daniela rejetait tout ce qui était Belge de manière involontaire : elle a baigné toute son enfance dans une autre culture, avec une langue différente, en plus d’avoir toujours été entourée par des proches originaires du Portugal. Elle raconte également que ce n’était pas une réelle préoccupation pour ses parents de lui faire découvrir leur pays d’accueil, non pas parce qu’ils ne le voulaient pas, mais simplement parce qu’ils ne connaissent pas la culture.

« Quand j’étais enfant, je me sentais vachement plus Portugaise. Puis j’ai grandi et j’ai commencé à côtoyer beaucoup plus de Belges. Au fond, je ne suis plus totalement Portugaise parce que j’ai un petit côté Belge en moi.»

Au fur et à mesure, cette barrière culturelle s’est estompée. Que ce soit en voyageant à l’intérieur du pays ou en passant du temps avec des personnes originaires de Belgique, elle sent désormais un sentiment d’appartenance grandir en elle. Elle fait référence à Bruxelles comme étant un véritable melting pot culturel. « On n’arrive pas vraiment à différencier ce qui est Belge de ce qui n’est pas Belge, surtout que quand je traîne avec des personnes de Belgique. Je ne vois pas vraiment une grande différence, entre eux et moi, finalement dans notre manière de vivre. »

Bien que ces jeunes filles soient reconnaissantes envers la Belgique pour leur expérience d’intégration relativement positive, il faut souligner de nombreux obstacles et défis qui persistent pour de nombreux immigrants. L’histoire de Maria illustre d’ailleurs la complexité de l’intégration. Alors qu’elle a su s’adapter relativement facilement à la société belge, ses parents, eux, ont rencontré des difficultés et des moments d’incertitudes importants.

 

Engagement politique et participation

Image libre de droits

Je trouve le système politique belge difficile à appréhender, car cela nécessite un effort de curiosité de ma part, et parce que je perçois notre petit pays comme complexe. Bien que j’aie quelques notions de base, elles ne sont pas suffisantes pour former une opinion ou engager un débat approfondi. Je qualifierais cela de complexe et d’inaccessible.

Louna, 23 ans, étudiante en master de communication marketing et corporate à l’Université Libre de Bruxelles.

Trop souvent critiquée par les jeunes, la complexité du système politique belge semble être un facteur majeur de leur désengagement politique. Selon une enquête réalisée par l’Institut Solidaris en partenariat avec l’ASBL Latitude jeunes, plus de 29% d’entre eux n’iraient pas voter si le vote n’était pas obligatoire. Un pourcentage assez parlant qui souligne la nécessité d’une réconciliation entre les jeunes et la politique.

Il en va de même pour les jeunes issus de l’immigration. Ces derniers se trouvent confrontés à des barrières supplémentaires telles que les difficultés linguistiques, l’impossibilité de voter en raison du manque de la nationalité belge ou encore l’absence de connaissances suffisantes sur le sujet.

« J’ai déjà voté et honnêtement c’était un peu à l’arrache parce que je trouve que je n’étais pas vraiment préparée. En Belgique, on devrait nous prévoir du temps dans notre parcours scolaire pour nous informer. Du style, recevoir des informations de ‘bases’ sur chaque parti, leurs idéologies, programmes, etc. Ici, je pense et je ne parle pas qu’en tant qu’immigrée, mais aussi en tant que jeune parce qu’on vote quasi tous à l’aveugle, surtout lors du premier vote », Maria.

Pour certains jeunes ne possédant pas la nationalité belge, participer aux élections en Belgique n’est pas possible. C’est le cas de Yelena Calero, d’origine équatorienne. Cette situation ne lui pose pas tellement de soucis, pour l’instant, car cette dernière se sent beaucoup plus concernée par la politique de l’Équateur : « Si un jour j’ai l’occasion de voter ici, je suis ok avec ça. Mais je suis quand même plus impliquée dans la politique équatorienne parce que je peux voter là-bas, c’est mon pays d’origine et je m’y connais davantage.», dit-elle. Daniela Pereira possède uniquement la nationalité portugaise. Elle a fait le choix de se mettre à l’écart de la politique car cela la rend anxieuse. Pourtant, Daniela reste consciente de l’importance du vote. « Est-ce que j’ai des idées politiques ici ? Bien sûr, mais pour moi c’est un fardeau d’aller voter…», explique-t-elle.

Malgré l’envie de participer ou non au processus électoral, l’absence de nationalité belge reste un obstacle majeur à l’exercice de ce droit fondamental de la démocratie. L’acquisition de cette nationalité peut parfois être motivée par le désir de voter. Cependant, ce n’est pas toujours le cas, comme l’explique Djordje Sredanovic : « Je pense que la dimension du vote est secondaire quand il s’agit de vouloir obtenir la nationalité belge. Cela dépend bien évidemment du niveau de la politisation de la personne. Puis, il y a aussi un contexte hostile qui reigne envers les gens venant eux-mêmes de l’immigration ou qui sont nés de parents immigrés ». 

Quels sont les critères pour voter en Belgique ?

En Belgique, le principe du suffrage universel est appliqué, c’est-à-dire que le droit du vote est accordé à l’ensemble des citoyens belges. Trois conditions sont requises de manière générale pour participer aux différentes élections.
1.     Avoir au moins 18 ans, sauf pour les élections européennes à partir de 2024 où les jeunes de 16 et 17 ans auront la possibilité d’aller voter s’ils le désirent.
2.     Être inscrit dans les registres de population d’une commune belge à la date de la clôture de la liste électorale.
3.     Ne pas être privé de ses droits électoraux par une décision judiciaire.
Pour les élections législatives (fédérales), régionales, communautaires et provinciales, seules les personnes de nationalité belge résidant en Belgique ont le droit de voter. L’obligation de vote concerne également les Belges inscrits au poste consulaire belge d’un pays étranger.
Pour les élections européennes, les citoyens belges et majeurs résidant en Belgique ont l’obligation de voter. Les personnes, de 16 et 17 ans, possédant la nationalité d’un des 27 pays membres de l’UE, ont également la possibilité de vote. Dans ce cas-là, il faut s’inscrire sur la liste des électeurs afin de signaler son intention de vote.
Pour les élections communales, les Belges résidant en Belgique, ainsi que les personnes étrangères inscrites sur la liste des électeurs ont l’obligation de vote. Les citoyens, Belges ou non, ne résidant pas en Belgique n’ont pas le droit de vote.

Pour Louna, et pour beaucoup d’autres jeunes, le système politique belge se situe entre le complexe et l’inaccessible. Le fait de voter est purement un geste symbolique de responsabilité citoyenne. « Cela n’a en aucun cas accru mon sentiment d’appartenance à la Belgique. J’ai l’impression de ne pas être la cible des messages politiques, que tout est racolage et superflu. Je ne m’avancerais pas à voter dans des partis de types gauche ou droite parce que je ne me sens pas faire partie d’une communauté politique. J’ai été voter parce que je sais que c’est important, que c’est démocratique, que c’est un droit et un devoir que j’exerce surtout en tant que femme et j’y vais. Mais je n’ai aucune couleur politique », explique-t-elle.

Certains jeunes s’impliquent, au contraire, activement en politique, venant ainsi contrer les idées reçues à ce sujet. C’est le cas d’Anna Hovsepyan. À 22 ans, elle s’est engagée dans les « Jeunes MR » de la commune de Ganshoren, dans la Région de Bruxelles-capitale. La politique ? Un sujet qu’elle a toujours suivi de près. « J’ai toujours eu un intérêt pour ça mais d’un point de vue extérieur. Maintenant, je suis beaucoup plus investie et j’ai augmenté mon niveau de connaissances sur le sujet. On a des groupes politiques de jeunes et notre but c’est de voir ce qu’on peut améliorer à Bruxelles. On est des porte-paroles en quelque sorte. Et dans tous les cas, c’est important de s’intéresser à la politique du pays dans lequel tu vis ! », explique-t-elle enthousiasmée par les divers projets menés.

Anna est engagée dans les débats qui concerne son pays d’origine.

Anna s’est même récemment portée candidate aux élections régionales bruxelloises sur les listes du MR. À ses yeux, c’est un choix mûrement réfléchi. « Les listes encouragent les jeunes MR des différentes communautés à se présenter aux élections pour amener une certaine dynamique au sein du parti. Il y a beaucoup d’opportunités qui se présentent à nous, on rencontre beaucoup de personnes », assure-t-elle.

L’intégration des jeunes issus de l’immigration en Belgique est un processus complexe et dynamique qui nécessite une approche holistique et inclusive. En reconnaissant et en valorisant la diversité culturelle, en investissant dans l’éducation et en facilitant l’engagement civique.

« L’identité n’est pas donnée une fois pour toutes, elle se construit et se transforme tout au long de l’existence. »
Amin Maalouf, écrivain franco-libanais, dans les Identités Meurtrières.

Cet article a été rédigé par des étudiant.es en MA2 de l’ULB et de la VUB sous la coordination de Milan Augustijns, Alexandre Niyungeko et Lailuma Sadid.