Rentrer après l’exil ? Enquête sur le retour volontaire des réfugiés burundais

Camille Bigo (ULB) & Joachim Durand (ULB), en collaboration avec Alexandre Niyungeko

Rentrer après l’exil ? Enquête sur le retour volontaire des réfugiés burundais

Rentrer après l’exil ? Enquête sur le retour volontaire des réfugiés burundais

Camille Bigo (ULB) & Joachim Durand (ULB), en collaboration avec Alexandre Niyungeko
Photos : Une famille burundaise de retour d'un camp de réfugié au Rwanda © UNHCR/Photographer Will Swanson
22 avril 2022

Avec la crise politique de 2015, de nombreux Burundais ont fui vers les pays limitrophes. Deux ans plus tard, certains ont choisi la voie du retour. Sur les quelques 350.000 réfugiés burundais, plus de 180.000 sont rentrés au Burundi en cinq ans. Mais face aux menaces et tensions politiques, d’autres sont toujours en exil. Enquête.

Pierre Nkurunziza, l’ancien président burundais au centre de la crise politique du pays en 2015, a appelé ses ressortissants à rentrer au pays dès 2017. En collaboration avec le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) des Nations Unies, un système de retour s’est progressivement mis en place dans le pays dès le mois de septembre de cette même année. Un nouvel appel a été émis en 2020 par le nouveau président au pouvoir, Évariste Ndayishimiye et le HCR ont lancé un « Plan conjoint de retour et de réintégration des réfugiés » en partenariat avec les autorités burundaises et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Un plan conçu pour «soutenir le retour dans la sécurité et la dignité des réfugiés burundais dans la sous-région et au-delà, et pour promouvoir leur résilience et leur réintégration durable », souligne le HCR. Dans les faits, pourtant, cette réintégration durable n’est pas encore une réalité au Burundi.

Survivre dans les camps

Aline*, Burundaise de 23 ans, a passé six ans dans le camp de Lusenda, en République Démocratique du Congo. En 2015, elle prend la route de l’exil avec sa mère et ses petites sœurs pour échapper à la terreur et aux menaces dont elle se dit victime depuis la disparition de son père. En 2020, sa mère perd la vie dans le camp à cause du manque de médicaments. La jeune femme et ses sœurs choisissent alors de rentrer au pays quelques mois plus tard. « J’ai pris cette décision parce que le groupe congolais des Maï-Maï, des groupes d’armes et même des Burundais Imbonerakure (mouvement de jeunesse du CNDD-FDD, parti politique au pouvoir, ndlr), qui étaient eux aussi dans le camp, nous menaçaient. Ils nous disaient : « Vous êtes des Tutsis, vous avez manifesté, vous avez refusé le troisième mandat de Pierre Nkurunziza. Un jour, on viendra vous tuer »», raconte-elle.

Comme pour beaucoup de réfugiés, le retour d’Aline au Burundi a surtout été motivé par les conditions dans le camp du pays d’accueil. Une position partagée par Leopold Sharangabo, vice-président de la Coalition burundaise des défenseurs des droits de l’Homme vivant dans les camps de réfugiés (CBDH/VICAR). Son association rapporte les nombreuses violations des droits de l’Homme commises dans les camps de réfugiés situés dans les pays limitrophes. Il raconte : « En République Démocratique du Congo, les réfugiés sont installés dans des zones d’insécurité, proches de la frontière. On a des groupuscules congolais qui les accusent de collaborer avec le groupe rebelle RED-Tabara, opposé au gouvernement burundais. Ils attaquent souvent les camps, volent les élevages et s’en prennent particulièrement à un groupe de Tutsis. »

La situation en Tanzanie est aussi l’une des plus sensibles. Les réfugiés qui s’y trouvent vivent comme des prisonniers, enfermés dans des camps sans avoir le droit d’en sortir. Ils sont exposés aux violences d’Imbonerakure qui agissent hors de leurs frontières. « Ils s’infiltrent dans les camps, se font passer pour des réfugiés et sont enregistrés comme tels », explique Léopold, qui ajoute que le mouvement de jeunesse collabore avec les autorités locales. « Ils dénoncent ceux qui sont proches des opposants du pouvoir burundais. En 2020, huit ont été renvoyés au Burundi, où ils sont emprisonnés. Cette année, personne n’a encore été enlevé, mais la persécution continue. Début mars, la police a tué une personne qui tentait de fuir vers le Kenya. » Destruction de récoltes, arrestations, disparitions… les autorités tanzaniennes « persécutent » les réfugiés burundais pour les forcer à rentrer chez eux.

Outre les persécutions, les réfugiés sont exposés à la famine, en raison d’une assistance alimentaire insuffisante. Un phénomène que l’on observe dans tous les pays d’accueil (RDC, Ouganda, Kenya, Malawi), d’après Léopold. Il insiste notamment sur le cas du Rwanda. Là-bas, même si le contexte sécuritaire est apaisé et que les réfugiés sont libres de se déplacer pour aller chercher du travail, un système de catégorisation est en place. Sur base de critères tels que la taille des familles, le genre des enfants ou un potentiel handicap, certains peuvent être privées de nourriture. Face à de telles conditions de vie, le retour est parfois perçu comme une issue de secours pour les réfugiés. Bien que le HCR assure vérifier si leur décision est « volontaire, libre et informée », Léopold parle plutôt de « rapatriement forcé ».

Un retour vraiment volontaire ?

Pour Théodore Mbazumutima, chercheur et membre de l’association Rema Burundi qui aide à la réintégration des réfugiés, les autorités et les organisations ne reconnaissent pas suffisamment les facteurs qui poussent ces réfugiés à rentrer. « Quand tu ressens que tu n’es pas vraiment accueilli, que personne ne te veut dans son pays, que tu sens que tu n’as plus ta place, tu te dis que tu dois rentrer. C’est le cas pour de nombreux réfugiés qui se trouvent au Congo et en Tanzanie notamment, indique-t-il. Le retour devient vraiment volontaire quand les rapatriés décident de rentrer seulement parce que les choses ont changé dans leur pays ».

De son côté, Pancrace Cimpaye voit les choses différemment. Après plusieurs années d’exil en Belgique, l’ancien porte-parole de la plateforme de l’opposition CNARED est rentré au Burundi en juillet dernier, de son plein gré. Il constate un « changement notable » avec le nouveau gouvernement. « Le président (Évariste Ndayishimiye, ndlr) encourage les Burundais à rentrer. Il y a une nouvelle conception de la diaspora. Elle n’est plus vue comme l’ennemi de la nation, mais comme une communauté qui pourrait aider à construire le pays. » Retiré de la vie politique, Pancrace Cimpaye dirige aujourd’hui une association, l’ASBL Bel-Burundi, qui œuvre pour le développement de Bubanza, sa province natale. C’est pourquoi, il a choisi de rentrer chez lui. « Quand j’ai atteri à Bujumbura, le président m’a souhaité la bienvenue par message. Il m’a dit : ‘ »Vous êtes ici chez vous. » » Outre son expérience personnelle, l’ancien membre du MSD (parti politique burundais) n’a observé aucun cas de maltraitance d’anciens réfugiés autour de lui, la majorité de ceux qu’il connaît étant des politiciens ou des journalistes.

Rentrer au pays

Pour les réfugiés situés dans les pays limitrophes, et qui souhaitent rentrer, la demande se fait dans les camps. Ils sont enregistrés par le HCR et, après des semaines ou des mois d’attente, embarquent finalement dans un bus direction le Burundi. Là, en sept ans, pandémie de Covid-19 oblige, ils doivent attendre un ou deux jours dans un centre de transit. Après un dépistage, c’est le moment du « tri » selon les régions où ils se ré-installent. Chaque réfugié reçoit alors un kit de rapatriement comprenant une ration pour trois mois, une subvention en espèces de 150 dollars par adulte et 75 dollars par enfant et des articles non alimentaires. Aline, elle, s’est échappée du centre de transit quand elle a vu des agents de la Documentation du service du renseignement, ceux-là même, elle pense, qui la menaçaient avant qu’elle ne quitte le pays en 2015. Avec ses sœurs, elle a pris la route d’un quartier de Bujumbura, sans avoir eu droit au kit du HCR.

Pour celles et ceux qui passent par le camp de transit, les premiers dollars s’envolent avant-même d’avoir trouvé un toit. « L’organisation ne te dépose pas dans ton village. Tu arrives dans la commune et tu dois utiliser une partie de ton argent pour rentrer dans ton village à moto ou bicyclette », précise le chercheur Théodore Mbazumutima. D’après le HCR, les rapatriés se tournent souvent vers les régions les plus pauvres du pays pour reprendre leur vie au Burundi : Makamba, Kirundo, Ruyigi, qui ne « disposent pas des infrastructures sociales et économiques nécessaires à une réintégration durable des réfugiés rapatriés ».

Trois mois et puis s’en va

Le kit ne suffit pas, lui non plus, à entamer une véritable réintégration. « Les solutions qui sont proposées sont des solutions à court terme alors que c’est un phénomène qui a beaucoup de facettes. Si tu as été absent pendant une dizaine d’années, ce n’est pas parce que tu retournes dans ton pays que tu vas faire des miracles et bâtir ta vie dans les trois mois, souligne Théodore Mbazumutima. Le gouvernement et ses partenaires estiment que, dans trois mois, le rapatrié aura déjà assez de bases solides pour vivre de lui-même. Mais ce n’est pas vrai ».

D’après le HCR, seulement 36% des réfugiés rentrés depuis 2019 ont trouvé un toit à leur retour. Les structures d’habitation au Burundi ne sont pas faites pour tenir pendant des années. Quand ils reviennent au pays, elles ont souvent été détruites. Les réfugiés se tournent alors vers leur communauté. « C’est une des stratégies du rapatriement. Tu es hébergé par tes voisins pendant un moment. À côté, tu te fais ton petit abri en utilisant les bâches qui ont été distribuées par le HCR. Après trois mois, tu passes de réfugié rapatrié à celui de citoyen vulnérable et ton histoire sera remplacée par l’histoire de nouveaux venus. Tu es perdu dans l’ensemble de la population alors que tu étais beaucoup plus vulnérable à ton arrivée qu’avant le retour », ajoute Théodore Mbazumutima.

« Les Burundais sont déjà à genoux »

Un des pays les plus pauvres du monde

Pour le chercheur Théodore Mbazumutima, le retour doit comprendre une stratégie globale, qui inclut la population. Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés en a conscience : « Les conditions au Burundi ne sont pas encore propices pour permettre la promotion du rapatriement volontaire ». « Le Burundi est classé 185e sur 189 dans l’Indice de développement humain (IDH). La Banque mondiale estime que 75 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, le chômage des jeunes s’élevant à 65 % selon la Banque africaine de développement », précise-t-il dans un rapport.

Infographie sur l'économie au Burundi en 2020

« Les communautés hôtes ont été identifiées comme des parties qui aident beaucoup ces rapatriés à se réintégrer. Ce sont les communautés qui accueillent les rapatriés dans les villages d’où ils sont partis, où ils vivaient avant d’être réfugiés. Mais les Burundais sont déjà à genoux. Ils n’ont rien. Ils souffrent eux-mêmes », ajoute Théodore Mbazumutima. Avec Rema Burundi, il aide plus de 300 familles rapatriées à retrouver une stabilité. Au moyen de prêts, l’association leur propose quelques activités génératrices de revenus. Aline, elle, n’a plus rien. « Mon quotidien, c’est la recherche de ration, d’argent pour payer la location et du travail dans le tressage. Aujourd’hui, c’est Dieu qui fait les miracles ».

Revenir pour mieux repartir

Les conditions de retour et le contexte économique du pays ont mis en lumière un nouveau phénomène au Burundi : des déplacements internes menés par des rapatriés et des Burundais aux frontières des pays limitrophes. « Ils veulent avoir accès aux ressources de ces pays, en Tanzanie et au Congo surtout. Ils vivent au Burundi et essayent d’aller en Tanzanie pour faire un peu de business, pour avoir accès à la terre arable (terre cultivable, ndlr), assez large dans ce pays. Mais tout cela se fait de façon informelle. Ils ne sont pas couverts par la loi et leur sécurité est toujours en danger. Certains d’entre eux se voient abusés, mis en prison, tabassés, dépouillés de leurs biens », assure le chercheur.

Aline, elle, pense aussi au départ. « Avec mes petites sœurs, nous ne nous sentons pas chez nous, ni en sécurité. Il n’y a pas de sécurité pour ceux qui ont participé aux manifestations. Si je peux, je quitterai le Burundi pour un autre pays. » « Le gouvernement aurait voulu que le retour soit réussi, que la réintégration soit réussieMais cela demande assez de moyens diversifiés sur le long terme, que le gouvernement n’a pas. Il n’a pas de moyens dans les autres secteurs donc il n’a pas de moyens pour le rapatriement », conclut Théodore Mbazumutima.

Le HCR n’a reçu que 10% des fonds nécessaires à son « Plan conjoint de retour et de réintégration des réfugiés ». « L’argent est un besoin dans tous les pays pour le retour et la réintégration parce que la réintégration peut être assez coûteuse », souligne l’Organisation internationale des migrations (OIM), qui travaille en collaboration avec le HCR. Mais la réintégration n’est pas qu’une question d’argent. « C’est un processus complexe. C’est un partenariat entre les organisations internationales, le gouvernement… C’est aussi un travail avec les communautés, leur sensibilisation pour accepter les réfugiés de retour, éviter la stigmatisation. Et, par-dessus tout, c’est important que le gouvernement soit là aussi. On ne peut pas commencer une campagne de retour si le gouvernement n’est pas d’accord avec ça. Le gouvernement du Burundi a été très présent pour cela. »

*Le prénom a été changé

Cinq questions à Carina Tertsakian : « les réfugiés auront besoin de plus qu’un changement de président »

© Droits réservés.

Carina Tertsakian est membre de l’Initiative pour les droits humains au Burundi (IDHB). Elle a également collaboré avec l’ONG Human Rights Watch et écrit de nombreux rapports sur la situation humanitaire et politique du pays. Entretien.

En janvier dernier, on comptait plus de 260.000 réfugiés burundais dans les pays limitrophes en Afrique (Tanzanie, Ouganda, Rwanda, République Démocratique du Congo). Comment peut-on l’expliquer ?

C.T. : La plupart de ces réfugiés ont quitté le pays entre 2015 et 2016, pendant ce que les Burundais appellent « la crise » de 2015. C’était une crise politique déclenchée par la décision du président de la République à l’époque, Pierre Nkurunziza, de briguer un troisième mandat, considérée comme anticonstitutionnel par de nombreux Burundais et en violation de l’esprit de l’Accord d’Arusha (selon ce dernier, abrogé en 2018, le président était élu pour « un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois », ndlr). Sa candidature a entraîné de fortes contestations de la société civile et autres. Le gouvernement a alors réprimé les protestations, en réagissant avec violence, et de nombreux Burundais ont été poussés à fuir face aux menaces. Même si cette crise remonte à plusieurs années, certains aspects sont encore présents aujourd’hui.

Depuis plusieurs années, le gouvernement appelle les réfugiés à rentrer au Burundi. Pourquoi ?

C.T. : Pour le gouvernement, autant de Burundais en exil à l’étranger, ce n’est pas bon signe. Cela contredit l’image qu’il cherche à se donner, c’est-à-dire celle d’un pays sécurisé, où tout se passe bien, où les droits humains sont respectés. Inciter les réfugiés à rentrer c’est donc dans l’intérêt du gouvernement. C’est une forme de propagande qui cherche à donner l’impression que la situation a été normalisée. En ce sens, le retour des réfugiés serait un symbole fort. Mais même si certains réfugiés sont effectivement rentrés au Burundi depuis 2017, d’autres restent à l’extérieur. C’est notamment le cas de politiciens et de journalistes. L’une des raisons principales de leur non-retour est la restriction de la liberté d’expression. Cela prouve que la situation des droits humains reste toujours délicate dans le pays.

En mai 2020, Evariste Ndayishimiye a remplacé Pierre Nkurunziza à la tête du pays. Lui aussi appartient au parti politique Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD). Aujourd’hui, est-ce que le contexte politique est favorable à un retour des réfugiés ?

C.T : Je crois que la plupart des réfugiés auront besoin de plus qu’un changement de président pour être rassurés, et pour pouvoir rentrer au Burundi. Contrairement à d’autres membres du gouvernement actuel, Evariste Ndayishimiye n’a pas beaucoup de sang sur les mains. Mais il ne faut pas non plus oublier d’où il vient. Il était le secrétaire général du CNDD de 2016 à 2020, au cours d’une période où il y avait de graves violations des droits humains, tels que des assassinats, des actes de torture, des disparitions forcées, etc. Il n’a pas mis fin à ces agissements alors qu’il était à la tête du parti à ce moment-là. Même s’il dispose d’une image ouverte, plus positive, on observe une certaine continuité dans les pratiques. Les services de renseignement burundais (Service national de renseignement, ndlr) continuent d’enlever et de torturer de présumés opposants politiques, par exemple.

Le chiffre : 14.645

C’est le nombre de Burundais qui ont déposé une demande d’asile en 2020 et 2021, d’après le HCR.

Selon un rapport d’Amnesty International, en 2020, certaines personnes rentrées au Burundi auraient été « agressées physiquement par les Imbonerakure, la branche jeunesse du parti au pouvoir ». Deux ans plus tard, les Imbonerakure sont-ils toujours une menace ?

C.T : De façon générale oui. Pourtant, fin 2020, le président, Evariste Ndayishimiye lui-même, avait donné des ordres clairs : les Imbonerakure devaient cesser d’arrêter et d’harceler les opposants, ou présumés comme tels. Ils se sont donc calmés pendant un moment. Mais en 2021, on a assisté à une recrudescence des violences. Les Imbonerakure ont recommencé à attaquer des opposants. Il y a eu des cas très graves de personnes qui ont été battues, dans certains cas, à mort.

Le conflit ethnique entre les Hutus et les Tutsis est-il encore source de tensions aujourd’hui ? Et quelles conséquences cela peut-il avoir sur le programme de rapatriement volontaire des réfugiés ?

C.T : La dimension ethnique existe toujours, même après des décennies de conflits armés, par exemple durant les années 1990. Mais je ne pense pas que ce soit le facteur le plus important aujourd’hui, ni même depuis 2015. La crise est de nature essentiellement politique, même si les deux dimensions se chevauchent. Le CNDD-FDD est un parti majoritairement Hutu, tout comme les membres du principal parti de l’opposition, le Conseil national de la liberté (CNL). Mais la plupart des victimes de violence politique aujourd’hui sont justement du CNL, donc Hutus. Cela montre que les divisions ethniques ne correspondent pas nécessairement aux dimensions politiques. D’ailleurs, quand on échange avec la population burundaise, on constate que la majorité n’est pas préoccupée par les questions ethniques. Toutefois, il est important de dire que le CNDD-FDD manipule quand même cette dimension ethnique pour s’attirer le soutien de la population Hutu. Il essaie d’exploiter cet aspect, et c’est inquiétant.

Ces réfugiés qui ne peuvent pas rentrer

Manifestation lors la venue du président burundais Évariste Ndayishimiye à Bruxelles le 19 février 2022.

Pour certains réfugiés burundais, le retour au pays est toujours impensable. Comme le souligne le dernier rapport de l’IDHB, « au début de 2022, la société civile indépendante et critique est encore presque inexistante au Burundi, et la plupart des défenseurs burundais des droits humains vivant en exil depuis 2015 ne pensent pas qu’ils pourraient rentrer en sécurité ». Janvier Bigirimana, Joséphine Jones Nkunzimana et Pierre Claver Mbonimpa sont de ceux-là. Ils racontent.

Janvier Bigirimana, avocat et défenseur des droits humains

« Revenir au Burundi, c’est un droit légitime, c’est un souhait légitime mais dans l’immédiat, je me dis que cela est impossible. Avant de fuir le pays, j’étais avocat au barreau de Bujumbura, défenseur des droits humains et secrétaire général de FO.CO.DE, le Forum pour la conscience et le développement. Le contexte de répression étant ce qu’il était en 2015, tous les défenseurs des droits humains, tous les avocats qui étaient engagés pour la défense des droits et libertés, tous les acteurs pro-démocratie, tous ceux qui n’étaient pas déjà arrêtés arbitrairement et emprisonnés, ceux qui n’avaient pas été portés disparus ou assassinés, ont été obligés de fuir. J’ai choisi de me réfugier au Rwanda. Par la suite, j’ai dû venir en Belgique parce que le contexte de la région était tel que ma sécurité n’était plus garantie. Je n’aurais jamais pensé vivre en Europe un jour, mais j’ai obtenu le statut de réfugié ici en 2018. Aujourd’hui, si je rentrais, je pense qu’être arrêté et emprisonné arbitrairement seraient les moindres maux. Parce qu’il y a plus grave que ça : les exécutions extra-judiciaires, les assassinats, les gens portés disparus ou torturés… Toutes ces violations constituent le lot quotidien des Burundais et c’est ce que je risque, moi aussi. Aussi longtemps que la violation des droits humains continue, aussi longtemps que la justice sera muselée, je crois que les conditions pour que je rentre ne seront pas réunies. »

Joséphine Jones Nkunzimana, ancienne journaliste au Burundi, pour CCIB FM+, RSF Bonesha FM et Rema FM

« On m’a d’abord reproché des tweets qui donnaient une mauvaise image du gouvernement, et j’ai commencé à recevoir des menaces, d’autant que l’un des chefs des services de renseignement n’habitait pas loin de chez moi. Tout a dégénéré lorsque j’ai organisé et pris part aux manifestations du 13 mai 2015 pour dire « non » au troisième mandat anticonstitutionnel de Pierre Nkurunziza. Une photo de moi avec une pancarte circulait. J’avais écrit : « NkurunzizOut, pas de président monarque« . J’ai été considérée comme une ennemie de la nation. J’étais sur la liste des gens à éliminer. Alors, j’ai fait un sac, j’ai pris mon passeport, un peu d’argent de côté et j’ai commencé à courir. Je suis arrivée en Belgique en mai 2019. J’ai fui un système qui voulait m’éliminer et celui-ci est toujours au pouvoir. Certains des officiels qui me menacent sont encore là, ils occupent des postes importants. Donc je ne sais pas si je serai en sécurité si je rentre, en sachant qu’ils ont fait du mal à d’autres personnes. Depuis que le président actuel, Evariste Ndayishimiye, a été élu, plus de 150 femmes ont été tuées. Moi, on a déjà menacé de me violer, de m’éliminer. Alors si je rentre, où est-ce que je vais ? Chez moi ? J’aimerais bien. Comment être sure que je ne vais pas être tuée ? »

Pierre-Claver Mbonimpa, fondateur de l’Association pour la Protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH)

« Je ne suis pas un réfugié comme les autres. Je n’ai pas fui le pays. J’ai été évacué du Burundi, blessé, après avoir échappé à une tentative d’assassinat (le 3 août 2015, ndlr). On a essayé de me tuer et on a assassiné mes enfants (son fils Welly-Fleury Nzitonda a été assassiné le 6 novembre 2015 et son gendre Pascal Nshimirimana le 9 octobre 2015, ndlr) car je m’opposais au troisième mandat (de Pierre Nkurunziza, ndlr), mais il y avait d’autres raisons cachées derrière cela. C’est parce que je dénonçais les tueries et les pillages perpétués par le pouvoir, et qu’il y a des offres que je n’ai pas acceptées. Encore aujourd’hui, celui qui dénonce les violations des droits humains dans le pays, il est poursuivi. Je constate que rien n’a changé. C’est le même système qui dirige, c’est le CNDD qui a le dernier mot, certains ministres burundais ont reçu des sanctions internationales, les gens ne peuvent pas s’exprimer librement, etc. L’insécurité règne toujours. Ce sont donc nous, défenseurs des droits humains et journalistes exilés, qui dénonçons les agissements du pouvoir. De la capitale jusque dans les collines, des personnes restées au Burundi continuent à nous informer. C’est pourquoi, le gouvernement a toujours une dent contre nous. On a d’ailleurs déjà tué et arrêté plusieurs membres de mon association (APRODH, ndlr). Si on se taisait, il n’y aurait pas de problème, mais ça serait lâche. Aujourd’hui, j’aimerais rentrer chez moi. À mon âge (71 ans, ndlr), je ne veux ni vivre ni mourir à l’extérieur de mon pays, mais j’ai la volonté (de continuer à dénoncer, ndlr). Même si j’ai reçu la nationalité belge, dans mon cœur, je me considère toujours comme un réfugié burundais. »