Adam*, homosexuel et Marocain, a fait le choix de la rupture totale avec son passé en arrivant en Belgique. Le jeune homme a changé de prénom, d’identité, pour une nouvelle vie : commencer à vivre.
En octobre dernier, Adam se rend au service État Civil de sa commune bruxelloise. C’est le grand jour. Il va pouvoir actualiser les informations inscrites sur sa carte de séjour belge et son passeport. « Au départ, je voulais changer mon prénom et mon nom de famille. Mais, pour ce dernier, il fallait passer par un tribunal. J’ai donc seulement changé mon prénom. La démarche a été très simple, rapide et gratuite ». Un papier rempli, un autre signé et le jeune homme de 24 ans peut aller récupérer ses documents mis à jour dans la journée. Fier, il sort sa carte de séjour plusieurs fois de son portefeuille marron pour la montrer. « Ici, il y a mon nouveau prénom. Ici, il est écrit ‘XX’ pour le pays d’origine. On n’est plus obligé de savoir d’où je viens. Et la date, là, derrière. Je l’ai eue en octobre 2021 ». C’est une rupture totale avec son passé qui est réfléchie, pensée. « C’était important pour moi parce que je portais un prénom islamique alors que je n’étais plus musulman. Ça ne me convenait pas. Je ne voulais plus être considéré comme un musulman. Je voulais un prénom neutre ».
« Ici, je suis protégé. J’ai des droits »
Adam sent qu’aujourd’hui, il peut enfin être « lui-même », « libre », « vivre sa vie », même si tout le monde n’accepte pas son choix. « À la SNCB et à la commune, je suis tombé sur des personnes d’origine marocaine qui n’ont pas voulu que je change de prénom. Les gens, ici, sont très fiers de leurs origines mais moi, je suis universaliste. Ils m’ont mal parlé, ils n’ont pas voulu que je mette à jour mes documents. Je suis allé porter plainte contre l’une de ces personnes, raconte le jeune homme. C’est ce qui est bien, ici, en Belgique. Si les gens veulent m’accepter ils le font, s’ils ne veulent pas, ils ne le font pas mais, je suis protégé. J’ai des droits. Je peux vivre ma vie comme je le veux. Au Maroc, je devais cacher beaucoup de choses ».
Se comprendre
« Mon enfance a été vraiment dure », dévoile-t-il sans détour. Des filles pour seules amies, la mère et les sœurs plutôt que le père et les frères et les normes ancrées dans la société marocaine. « J’étais différent et on me disait que je n’étais pas assez viril. Qu’un homme, ça devait être viril. Mes camarades se moquaient de moi. Mes professeurs m’agressaient. En primaire, j’ai même loupé une année parce que j’étais trop déprimé. Je ne trouvais pas ma place à l’école ». Le temps passe et la prise de conscience vient avec. Adam comprend qui il est, qui il aime. Mais Adam est Marocain et donc musulman. Adam ne peut pas aimer les hommes, dit-il. Selon lui, « l’Islam interdit les relations sexuelles entre deux hommes ». « Donc à l’âge de 10 ans, je suis parti voir un imam pour lui raconter ce qui se passait. Il m’a dit que je devrais prier, demander pardon à Dieu et que les choses s’arrangeraient ». Pendant six mois, il devient un « bon pratiquant ». « Au final, rien n’a changé. J’ai fait tout ce qu’il fallait pour être comme les autres mais je n’y arrivais pas. Ce n’était pas mon choix ».
« J’ai découvert le mot ‘gay’ dans un journal américain »
Une question d’apparence
Début des années 2000. C’est sur internet que le jeune homme cherche du sens à ce qui lui arrive et trouve des réponses à ses questions. Les frontières s’effacent. « La première fois que j’ai lu le mot ‘gay’, c’était dans un journal américain. J’avais 14 ans. J’étais très content de trouver d’autres gens comme moi ». Il continue quand même d’essayer et se met en couple avec une fille au lycée. Les normes sociales ont la vie dure. La relation ne fonctionne pas. Grâce à une amie, il passe le pas via Facebook, où il découvre le monde caché des « gays » au Maroc. « Au début, je ne parlais qu’avec des étrangers. Puis, après un an, j’ai rencontré un Marocain ». Première histoire d’amour, premiers mensonges, première fois qu’Adam mène une double-vie. Le jeune homme connaît les risques d’être homosexuel dans un pays comme le sien. Le Code pénal et son article 489 punissent de six mois à trois ans d’emprisonnement pour tout « acte impudique ou contre-nature avec un individu du même sexe ». « Mais je craignais quand même plus la population que la police », dit-il. Ces fichues normes sociales. Avant la société, c’est dans sa famille qu’il est démasqué. Les apparences ne sont plus trompeuses, et tout s’écroule. Une dispute éclate, ses proches menacent d’appeler la police, il doit prendre la porte. « J’avais 17 ans et je n’ai pas pu finir mon baccalauréat à cause de ça. J’étais dans la période des examens ».
Découvrir son monde
Adam prend la route de Casablanca, la capitale économique du royaume où se mêlent riches et pauvres, athées et croyants, Marocains et étrangers, halal et haram. Il y rencontre d’autres homosexuels mais aussi des personnes transgenres. « Au début, j’étais un peu choqué. Je ne savais pas que ça existait », avoue-t-il. Mais il peut enfin être lui. Ici, les normes sociales sont moins pressantes, « selon le quartier où tu vas ». Illusion. « Un jour, j’ai rencontré quelqu’un et il m’a filmé pendant notre acte sexuel. Puis il m’a fait du chantage. Ça a été la période la plus difficile de ma vie. Elle a duré trois ans ». À côté, il y a aussi la menace de faux profils sur les applications de rencontre. On se dénonce. Des membres de la communauté LGBTQIA+ qui risquent, eux aussi, de finir en prison pour leur orientation sexuelle, deviennent ses pires ennemis. Vers qui, alors, se tourner ? La police, impossible. Il finirait en prison même si c’est lui la victime. Un psychologue ? Non plus, « s’il est croyant, il peut me dénoncer ». Ses amis ? Il a tout laissé quand il a quitté ses proches, sa ville, son ancienne vie. Alors Adam garde tout pour lui et il prend la décision de partir. Melilla, la Turquie, un visa touristique pour l’Europe… Le jeune homme prend la troisième option et s’envole pour la Belgique. Le deuxième pays le plus gay-friendly au monde. « J’étais en prison. Je ne pouvais pas rester toute ma vie au Maroc ».
La reconstruction
Aujourd’hui, il se fait sa place petit à petit dans son pays d’accueil. Il suit des cours de néerlandais, a fait l’équivalence de son diplôme et surtout, il a commencé à se reconstruire. « Pendant trois ans, je n’ai pas réussi à raconter mon histoire à quelqu’un. J’ai passé presque un an avec une psychologue, j’y allais chaque semaine. Maintenant, je recommence à faire confiance aux gens ». Adam avance et son changement d’identité l’a beaucoup aidé. Mais les souvenirs de sa famille et de Casablanca ne sont jamais loin. Malgré de nouvelles rencontres, il craint toujours l’amour, il craint qu’on l’abandonne. « Je ne peux pas tout oublier. Mais aujourd’hui, je pense à moi et le passé c’est le passé. Il y a les souvenirs, des bons, des mauvais, mais je suis désormais plus fort qu’avant ».