Afghanistan et Ukraine : inégalités et différences face à la guerre
Le 15 août dernier, alors que le peuple afghan portait une attention particulière à l’anniversaire de la prise du pouvoir du pays par les talibans, le monde occidental se concentrait principalement sur la guerre entre l’Ukraine et la Russie.
La guerre en Ukraine a des conséquences sur la situation en Afghanistan. En effet, la population afghane a soulevé de nombreuses questions sur la manière dont les communautés internationales réagissent à sa détresse. Alors que l’ONU, l’UE, l’OTAN, les États-Unis et d’autres pays ont vivement réagi à la situation en Ukraine, soit en fournissant un soutien direct et officiel par le biais de financements, d’équipements et de formations, soit en témoignant de leur soutien moral et en appliquant des sanctions économiques, aucune mesure ferme ou significative n’a été prise pour lutter contre la crise humanitaire en Afghanistan.
Bien que les Afghans comprennent et partagent la souffrance des Ukrainiens, cette nouvelle crise en Occident entraîne également des conséquences directes sur la situation en Afghanistan. En effet, un nouveau drame ne doit pas occulter un drame déjà existant.
Un an après la chute du régime, le terrorisme de masse qui règne en Afghanistan a déjà causé plus de 1.000 décès confirmés. De plus, des milliers de personnes ont été arrêtées, emprisonnées, torturées, accusées de crimes non avérés et condamnées à mort par les talibans. Certaines d’entre-elles eux ont tout simplement disparu sans laisser de traces.
Privées de liberté d’expression
Selon les rapports publiés par les organisations internationales et les témoignages confidentiels recueillis auprès des Afghans sur le terrain au cours des derniers mois, les femmes sont non seulement privées d’écoles, d’universités et de travail, mais également de leur liberté d’expression.
Le peuple afghan se montre très critique à l’égard de la communauté internationale. En effet, des centaines de milliers de citoyens ont été déplacés vers les pays voisins ainsi que vers les pays européens. Souvent, ceux-ci ne bénéficiaient ni d’une réelle aide, ni de nourriture. En outre, des pays comme l’Iran et le Pakistan leur ont fermé leurs frontières.
À nouveau, la rupture avec l’aide apportée aux réfugiés ukrainiens est flagrante. En effet, tant les pays européens que les pays étrangers ont ouvert leurs portes et ont apporté un soutien considérable aux victimes de cette guerre, qui est tout aussi injuste que celle menée par les talibans contre le peuple légitime d’Afghanistan. Les expatriés ukrainiens ont été soutenus par la communauté internationale à différents niveaux : transport, logement, aide administrative ou médicale, intégration rapide dans le système éducatif et autres aspects essentiels.
Bien que la crise ukrainienne ait clairement nécessité une réaction forte et rapide, la manière dont les politiques étrangères varient du tout au tout en fonction de l’origine ethnique des réfugiés est terriblement décevante.
À ma question sur les réfugiés afghans en Belgique, Nasiba Jan, évacuée l’année dernière de son pays par la Belgique, a répondu : « Je partage ma profonde compassion avec les Ukrainiens. Toutefois, n’oubliez pas que nous avons également besoin d’un grand soutien ici et en Afghanistan. Notre pays et le monde entier sont confrontés à des agressions. Cette situation est très douloureuse. Les institutions internationales, quant à elles, pensent que l’Afghanistan est un lieu sûr et pacifique. Or, ce n’est pas la réalité. »
« Nous souffrons tous les jours »
Après les attentats du 11 septembre, la coalition internationale, représentée par l’OTAN, est intervenue en Afghanistan pour vaincre le terrorisme.
Pendant les 20 années qui ont suivi cette date, plusieurs milliards de dollars ont été dépensés, des milliers de soldats étrangers ainsi que des dizaines de milliers de membres de l’armée et de civils afghans ont été tués. Dans la même période, combien d’attentats suicides ont été commis dans des écoles, des hôpitaux, des fêtes de mariage, des cours et même des mosquées en Afghanistan ?
Benafsha Mobariz, une journaliste afghane installée au Pakistan (sous un pseudonyme), a qualifié cette situation de très injuste et a déclaré que la discrimination était très visible dans le monde actuel. Elle a ajouté : « Nous sommes humains et nous souffrons tous les jours. » Critiquant les organisations internationales, elle a expliqué : « Je ne suis pas de ceux qui traitent de la politique. Cependant, je considère que les citoyens devraient entamer des actions et arrêter la guerre dans le monde entier. Les citoyens ont besoin d’une unité plus forte et davantage d’initiatives. »
Solidaire avec le peuple ukrainien, la journaliste dénonce la perte de droits des Afghans et ajoute : « Le monde entier est plongé dans le chaos ; nous sommes lassés de la guerre. Tout le monde souffre au même titre que nous. Cependant, l’Occident et les États-Unis semblent oublier l’Afghanistan et fermer les yeux sur les génocides des Tadjiks et des Hazaras. »
La planète entière sous le choc
Le 24 février 2022, l’invasion russe en Ukraine, menée par le président Vladimir Poutine, a été lancée en force. Elle est considérée comme la plus grande attaque militaire conventionnelle en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale et comme une tentative de s’emparer de la souveraineté d’un État. La planète entière s’est réveillée sous le choc.
Un an plus tard et en tant que journaliste en exil travaillant pour Brussels Morning et Latitudes, j’ai pu poser des questions au Secrétaire général de l’OTAN :
« L’OTAN est l’organisation militaire la plus puissante du monde. Cependant, selon mes informations, certains alliés de l’OTAN tentent d’entamer des négociations avec les talibans. Considérez-vous que le moment soit adéquat pour nouer le contact avec des personnes qui n’ont toujours pas coupé leurs liens avec Al-Qaeda. Allez-vous faire pression sur les talibans pour qu’ils respectent les droits des femmes, qu’ils accordent la liberté au peuple et qu’ils mettent fin au génocide en Afghanistan ? »
« Nous exerçons une pression importante sur le régime des talibans »
Jens Stoltenberg, Secrétaire général de l’OTAN, a répondu : « Les événements actuels en Afghanistan sont tragiques pour les citoyens, et plus particulièrement pour les femmes afghanes. La date du premier anniversaire de la prise du pouvoir par les talibans à Kaboul constitue un rappel douloureux de la brutalité du régime taliban. En outre, il représente un souvenir amer pour tous ceux qui ont travaillé pendant tant d’années en faveur d’un Afghanistan libre et démocratique où les droits des hommes et des femmes sont respectés. Les alliés de l’OTAN renforcent leur aide humanitaire, leur soutien aux groupes de défense des droits humains et aux communautés internationales dans le pays. »
Jens Stoltenberg a ajouté : « Nous exerçons une pression importante sur le régime des talibans, notamment en imposant des sanctions sévères à ce régime. Je voudrais ajouter que nous sommes, bien sûr, conscients que des leçons importantes doivent être tirées après toutes ces années sur le terrain. À mon sens, la leçon la plus importante… est la lutte contre le terrorisme, qui était la principale raison de notre présence dans le pays. Dans le cadre de cette lutte, nous avons beaucoup progressé. Nos alliés et partenaires ont travaillé très dur pour créer un Afghanistan plus pacifique et plus démocratique. À présent, nous devons également soutenir l’Ukraine pour que ce pays reste libre et en paix. »
Toujours selon le Secrétaire général, la guerre en Ukraine entre dans une phase critique, tandis que l’OTAN est plus forte et plus unie que jamais. Il ajoute : « Nous soutenons les Ukrainiens. Alors que le prix que nous versons se mesure en dollars, le prix que paient les Ukrainiens se mesure en vies. Chaque jour, des vies sont perdues et nous paierons tous un prix bien plus lourd si la Russie et d’autres régimes autoritaires voient leurs actes d’agression récompensés. Nous définirons, non seulement, un nouveau programme exhaustif d’aide à l’Ukraine à long terme, composé de projets concrets, mais aussi un programme à court terme, avec notamment des équipements anti-drones, des communications sécurisées et du carburant. »
Jens Stoltenberg a déclaré que le début de la guerre en Ukraine ne remonte pas au mois de février, mais à 2014. Les événements de cette année représentent une deuxième invasion très puissante par les forces russes. Au début de cette invasion, l’OTAN était très bien préparée. En effet, depuis 2014 et pour la première fois depuis sa création, l’alliance a déployé des troupes prêtes au combat sur son flanc oriental, dans les pays baltes et en Pologne, et a augmenté la préparation des forces ainsi que les dépenses en matière de défense.
Depuis février, l’OTAN a doublé le nombre de groupements tactiques, qui sont passés de quatre à huit, ainsi que leur taille, par exemple en Lituanie, en Estonie et en Lettonie. En outre, les États-Unis ont multiplié le nombre de troupes en Europe, qui sont passées d’environ 70.000 à plus de 100.000 au cours des derniers mois. Enfin, plus de 40.000 soldats sont désormais placés sous le commandement direct de l’OTAN dans la partie orientale de l’Alliance.
Selon une comparaison des chiffres publiée sur le site de l’OTAN, le nombre de troupes déployées en Afghanistan était très élevé par rapport au nombre total de troupes déployées en Europe. Entre 2010 et 2012, la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) comptait 400 bases militaires dans tout l’Afghanistan et environ 130.000 soldats. Les 30 pays membres de l’OTAN et 42 autres pays ont déployé des troupes au sein de la FIAS. La mission Soutien déterminé (RSM) dirigée par l’OTAN en Afghanistan a été lancée le 1er janvier 2015, à la fin de la mission de la FIAS. Elle visait à fournir une formation, des conseils et une assistance supplémentaire aux forces et institutions de sécurité afghanes.
En avril 2017, les forces américaines ont largué la GBU-43/B Massive Ordinance Air Blast (MOAB) dans la région de Nangarhar en Afghanistan. Cette bombe à effet de souffle massif, qui est la plus puissante à ce jour, a eu des effets à long terme sur les habitants du village de Mohmand Dara.
Enfin, après que l’OTAN ait été présente en Afghanistan pendant 20 ans, que des milliers de soldats aient été tués et que des milliards de dollars aient été dépensés, les troupes ont été retirées du pays sous l’impulsion des États-Unis. Peu après le retrait des forces armées internationales, obtenu par de fausses promesses, les talibans ont repris le pouvoir.
Ainsi, le peuple afghan a perdu la plus grande partie de sa vie et tente de survivre sous ce régime totalitaire.