Anara Kourbanova : de la discrimination à l’exil, le combat d’une Ouïghoure

Anara Kourbanova, une femme ouïghoure de 39 ans raconte son histoire et son arrivée du Kazakhstan en Belgique en 1999 alors âgée de 14 ans. Entre discrimination systémique, exil clandestin et intégration douloureuse, elle évoque son combat pour exister dans un monde injuste qui l’a longtemps tenue à l’écart.
Anara, aujourd’hui jeune femme souriante raconte son histoire difficile de petite fille exilée. Née au Kazakhstan d’une mère ouïghoure et d’un père ouzbek, les discriminations étaient son quotidien. « Le droit du sang prime dans ce pays », confie-t-elle. Le Kazakhstan applique le droit du sang dans sa législation.
Ce concept signifie qu’un enfant né d’au moins un parent kazakh obtient généralement cette citoyenneté. L’origine ethnique a une grande importance au Kazakhstan, celle-ci détermine tout.
« Si tu n’es pas pur-sang, tu iras vendre des chaussettes au marché. »
Son rêve d’entrer au conservatoire est brisé net. « Ils prenaient d’abord les enfants kazakhs », s’indigne-t-elle avec une frustration palpable. Sa famille, malgré des diplômes universitaires, n’a jamais eu accès à des postes de travail élevés. « Même si tu fais de belles études, si tu n’es pas pur-sang, tu iras vendre des chaussettes au marché », ajoute-t-elle en précisant que là-bas, tout n’est que corruption et pistonnage.
Dès son plus jeune âge, Anara est confrontée à du racisme basé sur ses origines ouïghours qui se voyaient sur son visage. « Sur le chemin de l’école, il y avait des gangs de garçons qui étaient contre les Ouïghours, j’avais la boule au ventre », déplore-t-elle.
Elle explique alors que c’est à la suite de toutes ces discriminations systémiques vécues de génération en génération par sa famille que ses parents prennent la décision de quitter le pays. Ils ne voulaient pas que des opportunités soient refusées à leur fille sur base de ses origines.
Voyage dangereux et nouvelle vie incertaine
Lorsqu’elle apprend la décision de ses parents, Anara ressent d’abord de la colère. Un regard rempli de tristesse transparaît lorsqu’elle se rappelle cette époque. « Je quittais ma maison, mes amis et mon chien, c’était comme un frère pour moi », regrette-t-elle. Elle ne réalise pas la nécessité de partir si elle veut vivre librement.
C’est l’agence de passeurs qui décide de la destination et qui fournit tous les papiers nécessaires à leur exil. Les démarches coûtent excessivement cher et les risques sont très élevés. Ils partent durant le mois d’aout 1999 en laissant tout derrière eux, ils n’ont emporté qu’un sac à dos contenant le strict nécessaire. Anara pleure beaucoup.
« Je me souviens très peu du voyage, c’est comme si nous étions dans un état second constant. »
L’exil dure environ deux semaines. Kazakhstan, Tadjikistan, Russie, Italie, Allemagne, et enfin la Belgique. Un enchaînement de trajets éprouvants, l’angoisse ne quittant jamais son esprit. « Je me souviens très peu du voyage, c’est comme si nous étions dans un état second constant », précise-t-elle. Un de ses souvenirs marquants est sa colère envers le passeur qui les arnaquait en exigeant toujours plus d’argent.
Arrivés en Belgique, ils sont déposés au Commissariat général aux réfugiés de Bruxelles, où ils restent dix heures sans nourriture, sans eau ni toilettes, subissant des entretiens visant à invalider leur demande d’asile et à les renvoyer au Kazakhstan.
Après trois jours passés dans la rue, un homme d’origine turque les recueille. Une semaine plus tard, grâce au CPAS, ils trouvent un logement à Huy. Pendant deux ans, elle vit dans la peur de l’expulsion, se cachant lors des contrôles. Son salut viendra de ses professeurs et amis, qui la soutiendront etse mobiliseront pour elle.
Racisme et résilience
Elle intègre l’école en octobre 1999, en sixième primaire, à 14 ans, car elle ne parle pas le français. Elle subit des discriminations et du racisme et ne parvient pas à s’intégrer. Mais en décembre, elle parlait déjà le français : « Je lisais le dictionnaire. Je voulais apprendre le plus vite possible, c’était un mécanisme de défense face au racisme », déclare-t-elle. Ce moment de sa vie démontre sa détermination qui l’accompagne encore aujourd’hui dans chaque épreuve de la vie.
« Le racisme que j’ai subi à l’école m’a longtemps empêchée d’accepter mon apparence et mes traits asiatiques. »
À 21 ans, elle entre à l’université de Namur et obtient son diplôme en gestion des ressources humaines trois ans plus tard. Peu de temps après avoir trouvé un premier emploi, elle décide de voyager à travers le monde, parcourant notamment la Suède et l’Australie. « Je ne me sentais pas chez moi en Belgique, j’ai été mal accueillie », confie-t-elle avec une pointe de déception dans la voix.
Elle n’acceptait pas la façon dont elle et ses parents avaient été traités à leur arrivée. De plus, son processus d’intégration difficile lui a causé des problèmes d’acceptation : « Le racisme que j’ai subi à l’école m’a longtemps empêchée d’accepter mon apparence et mes traits asiatiques », s’émeut-elle.
Trouver sa place sans oublier les siens
Vingt-cinq ans après son arrivée, son regard sur la Belgique reste amer : « J’ai mis des années à comprendre que j’étais bien ici. »
Après avoir exploré le monde pendant treize ans, elle réalise que malgré tout, la Belgique lui offre une stabilité qu’elle n’a jamais eue. Également, elle a appris à raconter son histoire avec sagesse et douceur. Elle a su faire de son parcours un moteur de son évolution personnelle. Elle sait aussi faire preuve d’humour lors du récit de certaines anecdotes.
Malgré sa force, certains souvenirs restent douloureux et une profonde tristesse se lit encore dans ses grands yeux.
« Pourquoi l’Ukraine mobilise tant d’émotions, et pas nous ? »
Elle suit à présent de près la situation des Ouïghours dans son pays d’origine. Sa famille, restée au Kazakhstan, subit encore des discriminations. L’injustice lui pèse, d’autant plus qu’elle constate le silence du monde sur la question ouïghoure. « Pourquoi l’Ukraine mobilise tant d’émotions, et pas nous ? », interroge-t-elle, résignée.
Note : cet article a été rédigé par une étudiante en 2e année de l’option Information et Communication de l’UMons, dans le cadre d’un atelier coordonné par Lorrie D’Addario et Manon Libert.