Burundi : la presse à genoux à la veille des élections

Au Burundi, les élections de juin 2025 approchent à grands pas. Les préparatifs continuent dans un climat politique tendu. La Commission électorale nationale indépendante (CENI) est accusée par l’opposition d'être partiale. Cependant, le débat politique n’existe presque pas. Les médias, qui devaient jouer un important rôle dans l’aide à la population à connaître et choisir les futurs leaders sur leurs projets de société, sont fragilisés.
Ces élections législatives s’annoncent dans un contexte tendu avec les médias se montrent réticents quant au traitement de l’information politique. La qualité dans le traitement des informations a fortement baissé les depuis la crise sociopolitique amorcée en 2015.
Selon les observateurs, la majorité des médias se transforme progressivement en de simples agences de communication. « Certains ne servent plus que de relais de communication pour le pouvoir. D’autres préfèrent diffuser uniquement des informations d’actualité sans pertinence ou se focalisent sur le divertissement », déplore un jeune enseignant d’université sous couvert d’anonymat, qui affirme ne plus avoir envie de suivre les informations diffusées par les médias burundais.
À la veille des élections, nombre de médias sombrent dans l’autocensure pour éviter la répression.
Le récent ultimatum du Conseil national de la communication (CNC) au journal Iwacu, un seul journal qui a encore l’audace de traiter des sujets politiques, de retirer une publication sur la présence des militaires burundais à l’Est de la RDC sonne comme un avertissement adressé aux récalcitrants.
En décembre 2024, le CNC impose aux médias un Code de conduite des médias en période électorale. Ce qui est vu par beaucoup comme une sorte de pression exercée sur les médias pour les limiter dans leur action pendant cette période.
Entre critiques et incompréhension
« Ils ne restent plus que des médias de nom », lance un jeune homme résident un des quartiers de la zone Gihosha en mairie de Bujumbura. Pour lui qui affirme suivre régulièrement l’actualité sur les réseaux sociaux, « l’information diffusée par les médias traditionnels est très fade et inintéressante. »
Landry, nom d’emprunt, pense que la plupart des médias s’en sont remis à la volonté du pouvoir « de leur fermer la bouche sur des sujets qui fâchent. » À propos de la contribution des médias à la préparation et au déroulement des élections, cet homme se montre très sceptique. « Mais si on essaie de suivre les médias, on dirait qu’il n’y a pas d’élections », réagi t-il, spontané.
« Le reste des médias privés considère qu’il n’y a pas d’élections. »
Les propos de Léonce Ndikumana, ancien président du parti d’opposition Sahwanya Frodebu et un des visages connus de la politique burundaise, sont plus analytiques: les professionnels des médias sont divisés en deux principaux groupes: « Les médias publics et privés proches du pouvoir diffusent les propos du pouvoir ou de la CENI. Quand ces deux groupes n’ont pas communiqué sur les élections, ils se taisent.» Il ajoute que « le reste des médias privés considère qu’il n’y a pas d’élections. »
Pour lui, le problème ne se limite pas a l’effacement des médias. « L’action conjointe de la CENI et du gouvernement en ce qui concerne la préparation des élections a démoralisé la population et les politiciens. Cela justifie ce silence », tente-t-il d’expliquer. Connu pour ses positions tranchées, cet opposant historique rappelle que cette situation constitue une menace sérieuse pour la démocratie.
Menacés d’extinction
Simon Kururu, ancien journaliste et expert des médias brosse un tableau plutôt sombre pour décrire le monde médiatique actuel. Selon lui, les médias burundais ont amorcé une descente aux enfers il y a 10 ans et sont toujours à terre.
Ce témoin de l’histoire de l’industrie médiatique burundaise affirme que les médias ne joueront aucun rôle dans le processus électoral en cours. « Les médias ne vont jouer aucun rôle », affirme-t-il. Il pointe également du doigt le gouvernement qu’il accuse de ne pas garantir la liberté des journalistes dans l’exercice de leur profession.
« Ils vont désormais là où ils espèrent être payés. »
Rejoignant Léonce Ngendakumana, Kururu indique que certains médias, quand ils traitent des sujets en rapport avec la politique, jouent un rôle de simples communicants et se limitent là. « Ils vont désormais là où ils espèrent être payés ou toucher un per diem tout simplement. Et cela est très grave », lâche-t-il, critique.
Dans ses explications, Simon Kururu ne se limite pas à la seule problématique professionnelle. Il rappelle que les médias traditionnels sont menacés d’extinction alors que la main d’œuvre qualifiée se raréfie sur le marché.
Ironie du sort
Cependant, il ne s’empêche pas de pointer du doigt les responsables des médias. Pour lui, les responsables de médias ont peur de traiter les sujets pertinents alors que c’est cela qui justifie le dégoût que manifeste la population envers les médias.
À son accession au pouvoir en 2020, Evariste Ndayishimiye, avec son fameux slogan “jamais sans les médias”, avait inspiré espoir aux professionnels des médias. Plus d’un pensait qu’après 5 ans, le paysage médiatique fortement touché par les événements de 2015 allaient se relever. Ironie du sort.
Malgré la réouverture de quelques médias, la liberté d’expression reste toujours à conquérir. Ce qui coûte cher au processus démocratique, surtout pendant la période électorale dans un pays où le niveau de l’éducation citoyenne est très bas.