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Burundi : le yuan, une vraie solution à la crise économique ?

- 19 novembre 2025
Alors que la balance commerciale reste largement déficitaire, il est légitime de se demander comment la Banque centrale du Burundi pourra s’approvisionner en yuan. © D.R.

Dans un contexte de crise économique prolongée, marquée par une pénurie chronique du dollars, la Banque de la République du Burundi (BRB) a récemment pris la décision d’intégrer le yuan (CNY) dans ses réserves pour tenter de contourner la dépendance au dollar américain devenu rare sur le marché local. Mais cette nouvelle stratégie soulève des questions cruciales : comment le Burundi, dont les exportations restent largement marginales sur le marché international, pourra-t-il s’approvisionner en yuan ? S’agirait-il d’une solution prometteuse pour remettre en marche la machine économique qui tourne au ralenti ? Analyse.

Le Burundi endure une tempête économique depuis plusieurs années. L’inflation s’emballe. Le pouvoir d’achat de la population est fragilisé. Sur le marché financier, la pénurie des devises nourrit la crise inédite des carburants et donne du fil à retordre au gouvernement.

Dans une correspondance adressée aux banques commerciales le 31 juillet 2025, la Banque de la République du Burundi (BRB) autorise désormais les paiements en yuan chinois (CNY) dans les transactions d’importation avec la Chine. Cette décision osée est la énième dans une liste des politiques déjà initiées par les autorités burundaises depuis des années pour tenter de maintenir les voiles d’un bateau qui s’affole. Le déséquilibre entre l’offre et la demande nourrit un marché noir qui ne connait pas de concurrence de la part de la banque centrale. Depuis des mois, le taux de change est 2,5 fois plus élevé sur le marché noir devenu indomptable.

Alors que la balance commerciale reste largement déficitaire, il est légitime de se demander comment la Banque centrale du Burundi pourra s’approvisionner en yuan.  Entre l’utilisation du dollar et du yuan dans les échanges entre le Burundi et la Chine, le problème posé reste le même : s’approvisionner en devises étrangères. Il faudra donc, pour la banque centrale, disposer de la devise chinoise.

Cependant, la balance commerciale entre les deux pays est très déficitaire. Selon les données de l’Observatoire de la complexité économique (OEC), les exportations du Burundi vers le géant de l’Asie représentent seulement 9,5 millions de $ en 2023. Ce qui plaçait la Chine en 3è position sur la liste de pays de destination des produits burundais, derrière les Emirats Arabes Unis et l’Ouganda. La situation est de loin inversée en ce qui concerne l’importation. La même année, l’Empire du milieu a exporté vers le Burundi 104 millions de $, penchant la balance commerciale plus loin en sa faveur, créant ainsi un déficit de 95,5 millions de $.  Les Emirats Arabes Unis qui approvisionnent le Burundi en pétrole raffiné, se taillent la part du lion dans les exportations de la capitale Gitega. Les échanges avec la Chine sont très limités.

Coup de projecteur sur les exportations 

La grande question de l’économie burundaise ne porte pas sur le choix des devises à utiliser. La vraie question casse-tête du gouvernement est l’insuffisance des réserves en devises. Les analystes et les autorités politiques répètent à ne pas en finir qu’il faut accroître les exportations. Cependant, le Burundi reste un nain en matières de production et d’exportation. Selon l’Observatoire de la Complexité Economique (OEC), le Burundi n’est pas parvenu à accroître ses exportations vers la Chine pendant plusieurs années. Le solde commercial est resté largement déficitaire entre les deux pays de 2018 à 2023. C’est en 2018 que la balance commerciale a enregistré le déficit le plus faible, à -25,4 millions de $, tandis que le pic a été atteint en 2021, avec un creusement à -199,32 millions de $. Sur l’ensemble de la période 2018-2023, la moyenne du déficit commercial s’établit à -130,32 millions de $.

La balance commerciale du Burundi reste extrêmement déséquilibrée même sur le plan global. De 2018 à 2023, les données de l’OEC permettent d’y voir plus clair. Le Burundi a exporté 1.359 millions de $ alors que ses importations s’élèvent à 4.303 millions de $, soit un déficit de 2.944 millions de $.

Ces statistiques montrent que le vrai problème du Burundi se situe principalement dans son incapacité à trouver les devises étrangères dont il a besoin pour faire tourner sa machine économique.  Alors que le billet vert est devenu une monnaie fantôme au Burundi depuis déjà plusieurs années, les retombés de cette ratification ne se limitent pas à la déstabilisation du marché de change. Le pays n’a plus la capacité d’alimenter vraiment son économie. Tous les secteurs de production tournent au ralenti. Les moyens de production coûtent énormément cher. En effet, le pays se retrouve emprisonné dans un cercle vicieux, entre l’insuffisance des exportations et les difficultés d’importer, en passant par le ralentissement de l’activité économique. De toute façon, le Burundi fait face à une seule réalité : le manque de devises nécessaires pour réanimer son économie.

Regards croisés des observateurs 

Pour Faustin Ndikumana, président du PARCEM, une ONG locale militant pour le changement de mentalités, le sujet mérite une analyse plutôt approfondie. Interrogé sur la plus-value de la décision de la BRB d’adopter le yuan comme monnaie de réserve, cet économiste activiste de la société civile se montre sceptique. Il met également en garde contre les conséquences que cette décision pourrait avoir sur les relations entre le Burundi et ses partenaires traditionnels. Alors que Pékin s’active à imposer sa monnaie dans les échanges internationaux, Ndikumana pense que la nouvelle décision de la BRB pourrait être mal vue par les anciens soutiens du Burundi. Ce qui conduirait vers le contraire du résultat recherché par Gitega. « Les aides étrangères pourraient être compromises si le Burundi s’aligne trop étroitement sur la Chine sans prendre les précautions nécessaires », alerte le président du PARCEM.

Si les autorités de la BRB soutiennent que l’utilisation du yuan permettra de diminuer les dépenses en dollars, Faustin Ndikumana rappelle qu’il y aura également un manque à gagner dans l’entrée des dollars américains. Cela, alors que le billet vert s’impose dans les dépenses du pays. Pour lui, il faudra tout de même songer aux moyens de combler ce manque à gagner.

D’autres experts ont un regard différent.  Pour Innocent Bano, expert en géopolitique et enseignant à l’université, il faut éviter les interprétations simplistes. Pour lui, la Banque centrale a la pleine légitimité de choisir n’importe quelle stratégie pour mener à bien sa mission. Bano indique que la décision de la BRB s’inscrit dans une approche de souveraineté économique, tout en insistant sur le respect de la souveraineté économique du Burundi.

Léonard Misago (nom d’emprunt), propriétaire d’un magasin spécialisé en vente de vêtements dans le centre-ville de Bujumbura, affirme subir les contres coups de l’inflation. « Les prix se sont envolés à cause du coup de transport et les ménages ne peuvent pas maintenir le même rythme de consommation qu’avant », explique ce commerçant quinquagénaire qui dit devoir fixer les prix très haut malgré lui. Dans une conjoncture de commerce international très tendue Misago espère que l’utilisation de la devise chinoise permettrait aux commerçants qui s’approvisionnent en Chine comme lui de respirer. Cependant, il affirme que le dollar reste nécessaire même si on disposait du yuan. « Mais le dollar reste nécessaire. On devra parfois payer d’autres services liés à l’importation en dollars et tout le monde ne peut pas s’approvisionner en Chine », fait-il savoir.

Une mesure à impact très limité

Non, le yuan n’est pas une bouée de secours pour une économie en détresse. Les données montrent que la décision de la Banque centrale du Burundi d’ajouter le yuan à ses réserves de change n’aura pas d’impact significatif sur la crise économique actuelle. Incapable d’accroître ses exportations pour générer des devises étrangères, le pays reste enfermé dans un cercle vicieux de crise financière.

Les propos de l’économiste Jean Ndenzako sont clairs. « Le potentiel du yuan à transformer fondamentalement la situation des réserves de change burundaises demeure limité en l’absence d’une dynamique robuste d’exportations compétitives et d’investissements structurants soutenus par la Chine et d’autres acteurs internationaux », conclut-il lors de son interview qu’il a accordée au journal Iwacu.

La diplomatie une fenêtre de secours qui reste fermée

Il est d’abord important d’avoir un regard rétroactif pour comprendre l’origine de la crise en cours au Burundi. Pendant de longues années, l’économie burundaise est restée économiquement dépendante, adossée à l’appui financier et technique et aux dons jusqu’à la veille de la crise de 2015. En guise d’exemple, l’appui financier s’élevait respectivement à 41,85% et 42,73% du budget, en 2013 et 2015. En 2016, alors que le pays sombrait dans une crise politique majeure, le soutien financier dont le pays bénéficiait de la part de ses partenaires est tombé, creusant un manque à gagner très important dans les caisses de l’État.

L’apport des exportations étant insignifiant dans l’économie, le Burundi sentira plus vite la fragilité de son modèle macroéconomique. Pour l’une des économies les plus structurellement vulnérables au monde, le retrait du soutien financier de ses partenaires avec les sanctions économiques en 2016 a constitué un début de descente en enfer. Le semi-isolement diplomatique doublé d’une mauvaise gestion des finances publiques, puis des décisions politiques maladroites a entraîné des conséquences significatives sur le marché local des devises.

Le récent programme d’appui technique entre le Fonds Monétaire International (FMI) et le Burundi, dans lequel cette institution promettait une facilité de crédit de 261 millions de $, a fini par tomber en caducité après le refus du gouvernement d’appliquer les directives exigées. Cet échec a éloigné l’espoir du gouvernement de Ndayishimiye d’obtenir un soutien financier des institutions de Bretton Woods (NDLR : système monétaire international qui a fait du dollar américain la seule monnaie convertible en or, créant ainsi un cadre de stabilité monétaire après la Seconde Guerre mondiale en instaurant le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale).

Il reste encore du chemin : celui de renouer avec les partenaires financiers traditionnels du Burundi, d’assainir le climat socio-politique pour attirer les Investissements directs étrangers (IDEs) et d’asseoir une politique de bonne gestion dans les finances publiques.