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Burundi: les classes se vident au profit du travail manuel en Tanzanie

- 18 juin 2025
Séance de sensibilisation des enfants de la commune de Gisuru contre les départs en Tanzanie. © Léonidas Ndayizeye

Les acteurs engagés dans le développement du secteur de l'éducation en province de Ruyigi, à l'Est du Burundi, expriment leur profonde préoccupation face à l'exode massif d'enfants vers la Tanzanie. Ces jeunes, attirés par des promesses d'un avenir meilleur, sont souvent manipulés par des adultes vivant en Tanzanie depuis plusieurs années, qui leur font miroiter un eldorado. De plus, des groupes de passeurs, facilitant le déplacement de ces enfants, sont également tenus responsables de cette situation alarmante.

La province de Ruyigi fait face à un départ massif d’écoliers et d’élèves vers la République Unie de Tanzanie, à la recherche d’une vie meilleure. Selon un rapport de la direction provinciale de l’enseignement (DPE) de Ruyigi, plus de 500 élèves ont déjà abandonné les bancs de l’école pour l’année scolaire 2024-2025. La majorité d’entre eux proviennent des trois communes frontalières avec la Tanzanie : Gisuru, Kinyinya et Nyabitsinda.

L’année précédente, cette même direction provinciale avait enregistré plus de 16 000 cas d’abandons scolaires parmi 137.110 élèves inscrits au premier cycle de l’école fondamentale (de la 1ère à la 9e année). Au cours de la même période, il y avait eu plus de 600 abandons parmi près de 5.700 élèves inscrits au second cycle de l’école fondamentale.

« Nous devons tout mettre en œuvre pour stopper le mouvement de nos enfants. »

« C’est inacceptable. Nous devons tout mettre en œuvre pour stopper le mouvement de nos enfants qui abandonnent l’école pour la Tanzanie sous prétexte de chercher un emploi. La place d’un enfant en âge de scolarisation est à l’école. Nous sollicitons l’implication de chacun pour mettre fin à ce phénomène », a déclaré le gouverneur de la province de Ruyigi, Emerencienne Tabu. Cette déclaration a été faite le 1er mars 2025 lors d’échanges entre les acteurs impliqués dans le développement du secteur de l’éducation.

La plupart des enfants qui abandonnent l’école se retrouvent à travailler dans les champs de diverses cultures dans le district de Kibondo, dans la province de Kigoma, en Tanzanie. Ceux qui ne parviennent pas à se faire embaucher se dirigent vers les camps de réfugiés de Nyarugusu et Nduta, espérant y trouver une assistance en vivres et autres biens de la part du Haut-commissariat aux réfugiés (HCR). Les personnes qui entraînent ces enfants dans ce mouvement sont des Burundais vivant en Tanzanie depuis des années.

Les élèves des classes de la 5e à la 9e année (premier cycle de l’école fondamentale) sont particulièrement touchés, et près de la moitié d’entre eux sont des rapatriés des camps de réfugiés en Tanzanie.

50 à 100 euros pour chaque enfant recruté

La Fondation STAMM, une organisation non gouvernementale d’origine allemande qui se consacre à la promotion de l’éducation, de la culture et du développement social, dénonce le comportement des adultes agissant en tant que passeurs. « Ils font traverser les enfants par des voies non officielles la nuit », révèle Floris Nzambimana, représentant de l’organisation à Ruyigi. Selon ses témoignages, ces passeurs perçoivent entre 150.000 et 300.000 shillings tanzaniens, soit environ 50 à 100 euros, pour chaque enfant recruté et amené en Tanzanie.

« Les agriculteurs tanzaniens paient ces passeurs pour exploiter ces enfants comme bon leur semble. »

« Il ne s’agit ni plus ni moins d’un trafic d’enfants, effectué en complicité avec des trafiquants burundais. Les agriculteurs tanzaniens paient ces passeurs pour exploiter ces enfants comme bon leur semble, surtout durant la saison des cultures », déplore Floris Nzambimana.

Après la période des récoltes, certains enfants sont refoulés par l’administration tanzanienne. La Fondation STAMM, en collaboration avec la Fédération nationale des organisations engagées dans le domaine de l’enfance (FENADEB), a déjà assisté plus de 20 enfants refoulés de Tanzanie entre 2024 et le 1er mars 2025. Ces bénéficiaires, originaires des communes de Butaganzwa et de Nyabitsinda, ont reçu des kits de démarrage et de matériel pour commencer leurs propres ateliers. Sur ces 20 enfants, 16 ont regagné l’école, tandis que sept ont choisi d’apprendre des métiers tels que la soudure, la menuiserie et l’électricité.

Capturés en cours de route

Le rapport de la DPE de Ruyigi révèle que presque tous les élèves qui abandonnent l’école pour se rendre en Tanzanie sont de sexe masculin et que certains d’entre eux ont moins de 18 ans, l’âge minimum requis pour être admis à l’emploi selon la convention de l’OIT adoptée le 1er juin 1999.

De plus, l’article 32 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, ratifiée par la Tanzanie et le Burundi respectivement en mai 1991 et octobre 1990, stipule que « les États parties reconnaissent le droit de l’enfant d’être protégé contre l’exploitation économique ». Ces enfants, qui empruntent des voies non officielles sans passeport ou laisser-passer, sont souvent capturés par la police tanzanienne en cours de route.

Même s’ils se rendent en Tanzanie avec l’espoir d’obtenir un emploi rémunéré, des sources concordantes indiquent que certains de ces enfants rentrent bredouilles. Certains ne sont pas rémunérés, tandis que d’autres se font dépouiller de leur argent et de leurs biens par des policiers ou des groupes de jeunes appelés « Wanamugambo » ou « Wasungusungu », affiliés au parti au pouvoir, le CHAMA CHA MAPINDUZI (CCM). D’autres sont même torturés et renvoyés au Burundi dans un état critique, ou incarcérés dans des prisons tanzaniennes, parfois dans des conditions inhumaines, les exposant à diverses maladies.

« Ceux qui entraînent nos enfants dans ce mouvement vers la Tanzanie sont des Burundais vivant là-bas. »

Hassan Ndabaniwe, de la colline Kabuyenge en commune de Gisuru, témoigne : « C’est triste. Ceux qui entraînent nos enfants dans ce mouvement vers la Tanzanie sont des Burundais vivant là-bas. Ils leur promettent une vie meilleure alors qu’ils finissent par travailler dans les champs, sans tenir compte de leur âge. Mon fils qui est parti en 2023 à l’âge de 15 ans, a été employé par une famille où il s’occupait des travaux agricoles et de l’élevage de porcs. Bien qu’il devait percevoir 15.000 shillings, soit moins de 50 euros par mois, il est rentré bredouille après deux mois de travail, à peine nourri. À son retour, il a été arrêté, accusé de tentative de vol et a été conduit à la prison centrale de Nyamisivya  (en Tanzanie), où il a passé plus d’un an. »

Hassan Ndabaniwe conseille aux parents de surveiller de près leurs enfants pour éviter qu’ils ne subissent le même sort que son fils.

Sensibiliser pour réduire le mouvement

Certaines ONG œuvrant dans le secteur de l’éducation apportent déjà leur soutien à l’administration pour lutter contre ce mouvement migratoire des enfants, qui contribue à l’abandon scolaire. Parmi elles, le Catholic Relief Service (CRS), avec son projet « Bigebose » (Tous à l’école), collaborant avec CARITAS et la Solidarité pour la Promotion du Développement (SOPRAD Ruyigi). Ces organisations ont initié, depuis 2022, un projet de cantines scolaires et interviennent dans 100 écoles des sept communes de la province de Ruyigi.

La directrice adjointe du « Projet Bigebose », Madame Diane Mvuyekure, note une augmentation significative du nombre d’enfants intégrant l’école grâce à cette initiative.

M. Paul Hakizimana de l’International Rescue Committee (IRC), en collaboration avec le HCR Burundi et Tanzanie, le Danish Refugee Council (DRC), et Icirore c’Amahoro (ICCA), a également souligné les efforts déployés à travers le projet « Cross border », financé par l’Union Européenne. Ce projet vise à suivre les écoles de la commune de Gisuru, qui a enregistré le plus grand nombre d’élèves rapatriés, totalisant plus de 1.600 élèves répartis dans 13 établissements scolaires durant l’année scolaire 2023-2024. Malheureusement, plus de 90 d’entre eux ont fini par abandonner l’école, représentant un taux d’abandon de 6,17 %.

Ces organisations soutiennent également les responsables de l’éducation et de l’administration territoriale dans la sensibilisation de la population contre les départs d’enfants vers la Tanzanie. En janvier 2025, des responsables de ces ONG se sont réunis dans la commune de Gisuru pour discuter de ces problématiques.

Au-delà de la province de Ruyigi, le mouvement migratoire d’enfants vers la Tanzanie touche presque toutes les provinces orientales, telles que Makamba, Cankuzo, Muyinga, ainsi que Gitega et Karusi au centre du pays. Selon les statistiques établies par la FENADEB, la province de Karusi est la plus touchée par ce phénomène, totalisant 80 % des enfants victimes de la traite, suivie par la province de Gitega.