Burundi : l’Union européenne lève les sanctions, les ONG s’indignent
Les sanctions de l’UE contre le Burundi datent de mars 2016, sous la présidence de feu Pierre Nkurunziza, suite à la violation massive des droits de l’Homme. L’abrogation de la décision fait suite aux progrès enregistrés au Burundi après les élections qui ont porté à la tête du pays le Général Major Evariste Ndayishimiye selon un communiqué du conseil européen. Ce qui ne convainc pas les ONG internationales, notamment Human Right Watch qui affirme que « la répression au Burundi n’a jamais cessé ».
La décision de Bruxelles de lever les sanctions contre le Burundi est intervenue 7 ans après le début d’une crise politique émaillée de violation massive des droits de l’Homme. Déclenchée en avril 2015 par la volonté du président d’alors Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat contraire à la Constitution, la contestation embrase Bujumbura et la répression fait des milliers de victimes. Bruxelles réagit en octobre 2015 : des restrictions en matière de déplacements et un gel des avoirs à l’égard de quatre personnalités du régime burundais sont prises dont l’actuel premier ministre le Général Alain Guillaume Bunyoni. Ils sont ciblés pour avoir commis « des actes de violence, de répression ou d’incitation à la violence, y compris par des actes constituant des atteintes graves aux droits de l’Homme ». Suite à la persistance des violations, l’UE a suspendu l’aide directe en mars 2016.
Depuis, les relations entre l’UE et le Burundi se sont détériorées notamment par l’organisation par le pouvoir « des manifestations anti-colonialistes » dans les rues de la capitale Bujumbura. Depuis, les violations des droits de l’Homme – arrestations arbitraires, tortures, disparitions forcées – n’ont cessé d’être commises par des agents du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD). Chaque fois, elles étaient dénoncées par les ONG locales et internationales ainsi que par la commission d’enquête internationale sur le Burundi. Mise en place en septembre 2016 par le conseil des droits de l’Homme des Nations unies, cette commission était chargée de documenter les violations des droits humains, d’identifier les responsables et de formuler des recommandations.
“Détérioration de la situation des droits de l’Homme”
Dans son dernier rapport, le Conseil des droits de l’Homme déclare : « Depuis l’arrivée au pouvoir du Président Ndayishimiye, l’espace démocratique reste fermé et la tolérance pour des avis critiques demeure limitée même si la dynamique des relations entre le Burundi et la communauté internationale a changé. Malgré certains gestes symboliques isolés dans le domaine des droits de l’Homme, aucune réforme structurelle n’a été engagée pour améliorer durablement la situation. Des violations graves des droits de l’Homme ont continué à être commises par des agents de l’État ou des Imbonerakure [CNDD-FDD Jeunesse, NDLR] avec l’acquiescement des autorités, voire à leur instigation. L’état de droit poursuit son érosion progressive et les facteurs de risque de détérioration de la situation des droits de l’Homme, qui ont certes évolué, demeurent globalement présents. »
Mais pour l’Union européenne, il y a eu depuis les élections de 2020 « des progrès accomplis par le gouvernement burundais en ce qui concerne les droits de l’Homme, la bonne gouvernance et l’état de droit, ainsi que des engagements pris dans sa feuille de route en vue de nouvelles améliorations dans ces domaines ».
« Derrière un semblant de normalisation, de graves violations des droits de l’Homme se poursuivent et l’espace démocratique reste fermé » au Burundi, nuance la commission onusienne.
Des ONG internationales de défense des droits de l’Homme dont Human Rights Watch (HRW) s’inscrivent dans la droite ligne de la commission onusienne. Ainsi Human Right Watch trouve que le gouvernement burundais « n’a pas rompu avec le passé. Il a intimidé et réprimé ses opposants, détenu et torturé ses détracteurs, et, comme l’atteste un nombre grandissant de preuves recueillies par des organisations internationales et burundaises de défense des droits, a tué et fait disparaître un grand nombre de personnes qu’il soupçonne de travailler avec l’opposition politique ou avec des groupes rebelle». Le rapport de HRW signé par Mausi Segun, directrice division Afrique dans cette organisation, fustige la levée des sanctions sans progrès tangibles au regard de la situation des droits humains sur le terrain. Selon l’ONG américaine, cette décision risque de faire apparaître que l’UE ne donne plus la priorité au respect des droits et libertés. Pire, cela pourrait même conforter les auteurs des violations.
“La situation que nous avons fuie reste la même aujourd’hui ”
Même son de cloche du côté des organisations de la société civile burundaise qui travaillent depuis l’exil. Dans une déclaration conjointe, ces organisations n’y vont pas de main morte : « On ne peut pas s’empêcher de penser que la levée des sanctions est contraire aux valeurs sur lesquelles est fondée l’Union européenne », s’indigne Dieudonné Bashirahishize, membre et ancien président du Collectif des avocats pour la défense des victimes (CACIB).
« La situation que nous avons fuie reste la même aujourd’hui », continue-t-il. Six ans plus tard, Dieudonné Bashirahishize constate que « le régime burundais a changé de rhétorique, mais on n’observe pas de changement sur le terrain ». Les organisations de la société civile burundaise qui travaillent depuis l’exil constatent que la situation sécuritaire demeure en effet extrêmement préoccupante. Pacifique Nininahazwe, président du Forum pour la conscience et de développement (FOCODE), explique que le travail de documentation de son organisation permet d’affirmer que « le nombre de disparus a augmenté depuis l’arrivée du nouveau président ». « Je ne vois pas sur quelle base l’Union européenne peut dire qu’il y a eu une amélioration de la situation des droits humains au Burundi», ajoute Pacifique Nininahazwe. Ce sentiment est partagé par les défenseurs des droits de l’Homme burundais en exil, comme Marie-Louise Baricako, présidente du mouvement Inamahoro, qui déclare : « Les sanctions ont été adoptées sur la base de la situation des droits humains et la gouvernance. Ce sont les deux domaines les plus en souffrance aujourd’hui au Burundi. »
« La levée des sanctions risque d’avoir des conséquences très négatives », s’inquiète encore Dieudonné Bashirahishize, craignant qu’elle soit perçue par le gouvernement burundais comme un signal d’approbation de la part de l’Union européenne de sa politique répressive.
La décision de l’Union européenne a suivi celle des Etats-Unis de mettre fin en novembre 2021, au programme de sanctions contre le Burundi et aux restrictions de visa imposées à 11 personnalités burundaises. Selon l’administration de Joe Biden, la situation au Burundi a considérablement été modifiée par différents événements notamment par le transfert de pouvoir à la suite des élections de 2020, une diminution significative de la violence et la poursuite des réformes par le président Evariste Ndayishimiye dans plusieurs secteurs comme la traite des personnes, les réformes économiques et la lutte contre la corruption.
Les Russes et les Chinois y ont trouvé leur compte
La levée des sanctions est une mesure dictée plus par des intérêts de l’Occident et du pays de l’Oncle Sam en Afrique. Avec les sanctions américaines et européennes, le régime burundais s’est tourné du côté des Russes et des Chinois qui y ont trouvé leur compte. Ainsi, depuis 2016, des sociétés minières russes ont obtenu des concessions d’exploitations des minerais. Et les Chinois ont gracieusement offert la construction d’un palais présidentiel à Bujumbura contre la facilitation d’installation d’entreprises chinoises et l’attribution de marchés. En retour, le Burundi était assuré du soutien de ces puissances dans les sphères internationales lors des différents meetings. Le Burundi, à côté du géant minier congolais, devient intéressant surtout qu’il est devenu, depuis, le point de passage de ces minerais pour les pays du Golfe. Il n’est donc pas question de laisser ce pays aux mains des seuls Chinois et Russes. Ce qui explique le revirement de Bruxelles et Washington et la levée des sanctions.
Il est clair que le respect des droits de l’Homme au Burundi a été sacrifié à l’autel des intérêts des Etats. Sinon, il serait illogique que ceux qui commettent des crimes graves, établis par des commissions d’enquêtes des Nations unies, soient ainsi cajolés, tapis rouge déployé au grand dam des victimes de cette barbarie.