Colombie : «19», le visage de la résistance (vidéo)
En 2021, la Colombie a connu l’un des mouvements sociaux les plus importants de son histoire récente : le soulèvement social. Ce qui a commencé comme une protestation contre une réforme fiscale s’est muée en un mécontentement contre les inégalités, la répression étatique et les injustices structurelles. Dans ce contexte a émergé la figure de Sergio Pastor, alias «19», leader de la «Première Ligne», un groupe de jeunes au premier rang durant les manifestations.
Aujourd’hui, après plus de trois ans d’emprisonnement, «19» reste un symbole de résistance, de sacrifice et d’espoir pour ceux qui luttent pour un changement social.
C’est quoi le soulèvement social ?
Le 28 avril 2021, le peuple colombien est descendu dans la rue pour rejeter une réforme fiscale proposée par le gouvernement d’Iván Duque, président entre 2018 au 2022. Cette réforme visait à augmenter les impôts dans un contexte de crise économique aggravée par la pandémie. Rapidement, le mécontentement s’est élargi à des problématiques plus profondes : inégalités, chômage, pauvreté et brutalité policière.
« Nous ne sommes pas des vandales, nous protégeons notre dignité et celle et ceux qui manifestent pacifiquement. »
L’État a répondu par une répression violente. Selon des organisations de défense des droits de l’homme, des dizaines de jeunes ont été tués, des centaines blessés et des milliers arrêtés arbitrairement. Au milieu de cette crise, la « Première Ligne » a émergé comme un groupe de jeunes armés de boucliers improvisés et portés par un fort esprit communautaire, affrontant la police pour protéger les manifestants.
C’est dans ce contexte que «19» est apparu comme un leader. « Nous ne sommes pas des vandales, nous protégeons notre dignité et celle et ceux qui manifestent pacifiquement », a-t-il affirmé à plusieurs reprises.
Prêts à affronter la mort
Le 28 juillet 2021, après des semaines de persécutions, «19» a été arrêté lors d’une opération policière. Selon lui, il savait depuis un mois qu’un mandat d’arrêt avait été émis contre lui. Un ami travaillant au parquet l’avait averti de ce mandat daté du 14 juin. Pourtant, «19» a décidé de rester ferme :
«J’ai averti mes camarades que si nous étions réellement engagés à changer le système, nous devions être prêts à affronter la mort, l’exil, la disparition ou l’emprisonnement.»
Il a finalement été arrêté dans des circonstances qu’il décrit comme irrégulières : «Ils ne m’ont pas arrêté avec un mandat physique, mais avec un document envoyé par WhatsApp.»
«Un capitaine de police m’a dit : ‘Dis-nous qui sont les autres, et nous te sauverons.’ J’ai répondu : ‘Comme tout bon capitaine, je sauve mon équipage et je coule seul’ . »
Une fois en détention, «19» aurait subi, selon lui, un traitement hostile de la part des autorités. Il raconte qu’il a été interrogé intensément et qu’on lui a proposé de négocier sa liberté en échange d’informations sur la « Première Ligne » :
«Un capitaine de police m’a dit : ‘Dis-nous qui sont les autres, et nous te sauverons.’ J’ai répondu : ‘Comme tout bon capitaine, je sauve mon équipage et je coule seul’.»
Actuellement, il fait face à des accusations de torture et d’association de malfaiteurs, qu’il rejette catégoriquement : «Il n’y a jamais eu de preuves, et il n’y en aura jamais. On nous accuse de délits imaginaires, parce qu’ils craignent le changement que nous représentons.»
Sa santé : une nouvelle lutte
En 2022, la trajectoire de «19» a pris un tournant encore plus douloureux. Il s’est fracturé deux vertèbres cervicales, ce qui a nécessité une intervention chirurgicale. Cependant, selon lui, l’opération a été réalisée de manière négligente, et il a été transféré en prison avant d’avoir pu achever sa convalescence.
En prison, il a contracté une infection médullaire qui a nécessité deux autres opérations, mais les dommages étaient déjà irréversibles. Aujourd’hui, «19» est paralysé des jambes. Malgré cela, son esprit reste inébranlable :
«Je sais que le pouvoir de mon esprit est si grand qu’à tout moment, je vais me relever. Ces jambes qui ne fonctionnent pas aujourd’hui fonctionneront mieux qu’avant.»
Un message au président Petro
Avec l’arrivée de Gustavo Petro à la présidence en 2022, de nombreux jeunes de «Première Ligne» ont pensé que justice serait faite. Petro, le premier président de gauche de l’histoire de la Colombie, avait déclaré publiquement dans un point de résistance à Cali : « Moi aussi, je suis Première Ligne ».
«Nous pourrissons dans les prisons, tandis que les rêves et les espoirs des jeunes qui ont lutté pour le changement s’éteignent.»
Depuis sa cellule, «19» interroge cette déclaration et envoie un message direct au président :
«Si le président se considère comme faisant partie de la Première Ligne, pourquoi sommes-nous encore emprisonnés, nous qui étions dans les rues ? Pourquoi nous condamne-t-on à tort ? Le président Petro est au pouvoir grâce au sacrifice de nombreux jeunes, et il le sait.»
«19» reconnaît que le gouvernement subit des pressions, mais insiste, aussi, sur le fait que les prisonniers politiques ne doivent pas être traités comme de simples numéros :
«Nous pourrissons dans les prisons, tandis que les rêves et les espoirs des jeunes qui ont lutté pour le changement s’éteignent.»
Un message au monde entier
Depuis sa cellule, «19» s’adresse non seulement à la Colombie, mais aussi au continent européen et au reste du monde :
«Ne perdez pas l’espoir. Nous sommes frères, bien que nous venions de différentes nations.»
«Aux peuples d’Europe, de Bruxelles, de France, d’Allemagne, d’Ukraine, de Russie, et à tous les pays ouvriers et opprimés : ne cessez jamais de résister. Ne vendez jamais vos rêves ni vos idéaux. Votre liberté est entre vos mains. Vous décidez si vous voulez une vie d’esclavage ou si vous voulez être réellement libres.»
Il conclut par un appel à la fraternité et à l’espoir : «Ne perdez pas l’espoir. Nous sommes frères, bien que nous venions de différentes nations. Luttez avec le cœur, car le changement est possible.»
L’héritage de la résistance
Plus de trois ans se sont écoulés depuis son arrestation, mais la voix de «19» reste un symbole de la lutte pour la justice en Colombie. Son histoire reflète non seulement son sacrifice personnel, mais aussi la force d’un mouvement qui exige plus de justice et de dignité.
Depuis sa prison, «19» continue non seulement de résister, mais aussi d’inspirer d’autres résistants à ne pas abandonner la lutte pour un changement profond. Son message d’espoir et de conviction est un rappel du pouvoir de la résistance collective, même face aux adversités les plus écrasantes.