Côte d’Ivoire 2025 : face au quatrième mandat, que disent les voix exilées ?

À quelques jours de l’élection présidentielle d’octobre 2025, l’annonce de la candidature d’Alassane Ouattara pour un quatrième mandat suscite des réactions contrastées au sein de la diaspora ivoirienne. Tour de table.
L’annonce de la candidature à l’élection présidentielle d’octobre 2025 d’Alassane Ouattara pour un quatrième mandat suscite des réactions contrastées au sein de la diaspora ivoirienne.
Entre attachement à la stabilité et inquiétudes quant à l’avenir démocratique du pays, les voix des exilés oscillent entre prudence, soutien et critiques, souvent exprimées à voix basse.
Une parole bridée par la peur
« Je suis en procédure d’asile, je ne sais même pas si je suis protégée par la Belgique ou non. Je ne vais pas risquer un rapatriement à cause de la politique, parce que j’ai moi-même échappé à un enlèvement à cause de mon opinion politique au pays. », confie S., 36 ans, auparavant commercial Lightning, actuellement en quête d’emplois, installée en Belgique depuis trois mois. Comme elle, plusieurs exilé.es rencontré.es évoquent la peur de représailles contre eux, ou contre leurs proches restés en Côte d’Ivoire.
« Je ne veux pas me créer d’ennui même ici, je me censure moi- même. »
Christian, 24 ans, étudiant à Louvain-la-Neuve, résume ce sentiment : « Je suis là que pour mes études, mes parents me le répètent sans cesse, je ne veux pas me créer d’ennui même ici, je me censure moi- même. »
Cette retenue rend difficile la prise de parole publique : beaucoup de débats se tiennent dans des cercles restreints, lors de réunions communautaires ou à travers des groupes privés sur les réseaux sociaux.
Les partisans de la continuité
Du côté des soutiens au président sortant, l’argument majeur reste celui de la stabilité.
« Depuis quinze ans, il n’y a plus de bruits d’armes et les infrastructures poussent de partout. Pourquoi le changer ? Qu’on le laisse terminer ce qu’il a commencé », estime Bintou Touré, entrepreneuse installée à Bruxelles.
« Ce n’est pas un mandat de trop pour moi parce qu’il travaille bien. »
Mamadou, commerçant à Paris, insiste de son côté sur l’importance de la crédibilité économique du pays :
« La stabilité attire des investisseurs en Côte d’Ivoire, et ça profite aussi à nous, la diaspora. J’arrive à développer des affaires avec mes partenaires grâce à ce climat. Il faut aussi tenir compte de l’expérience dans la gestion de l’économie, et le Président Alassane le fait bien, en tout cas, ce n’est pas un mandat de trop pour moi parce qu’il travaille bien. »
Ces points de vue rejoignent les justifications officielles avancées par le RHDP (parti au pouvoir), qui met en avant la continuité des chantiers économiques et la nécessité d’un scrutin « apaisé ».
Des voix critiques qui alertent
Pour d’autres exilés, la candidature d’un quatrième mandat représente au contraire une inquiétude.
« Ce n’est pas seulement une question de nom. C’est la possibilité même d’une alternance pacifique qui est en jeu », analyse Mr T. R, membre d’un collectif citoyen basé en Belgique.
Un ancien militaire, aujourd’hui réfugié en Europe, confie sous pseudonyme (Franck) : « Nous avons vécu des années difficiles, et pour moi, la priorité doit être la sécurité des citoyens, parce que les années 2011-2012 nous ont démontré que la stabilité est précieuse. Mais elle doit être garantie par des institutions neutres. Si l’armée ou ses anciens soutiens prennent parti, cela fragilise la cohésion nationale. Je pense pour ma part que l’alternance est un gage de sérénité à long terme. Il faut que l’État écoute aussi les citoyens, il doit aussi tenir compte des critiques, parce que la révision constitutionnelle de 2016 avait permis au président Ouattara de briguer un troisième mandat en 2020, et nous avons vu ce que cela a créé malgré les interpellations et les critiques. C’est ce qu’on doit éviter en 2025. »
Dans le même sens,P., exilée en Europe qui a accepté de témoigner anonymement, déplore la marginalisation de la diaspora : « La voix des exilé·es est marginalisée : ni l’opinion internationale ni même notre propre peuple ne l’entendent vraiment. Pourtant, ces voix pourraient servir à dénoncer les réalités du pays. Avec cette nouvelle loi annoncée par le Procureur de la république, et ces menaces d’arrestations, d’extraditions de certains cybers activistes installés en Europe, on commence à ne plus dénoncer. Ici en Europe, on peut encore se le permettre. »
« Un quatrième mandat serait une insulte au peuple ivoirien. »
Et d’ajouter : « Je comprends la peur des Ivoiriens restés au pays, peur d’être kidnappés, intimidés, de perdre leur emploi, leur maison, leurs biens. Mais pour moi, un quatrième mandat serait une insulte au peuple ivoirien, un manque de respect pour nos intellectuels et nos futurs cadres. Nul n’a le monopole de diriger un pays, surtout contre son gré. »
René Titilo, 62 ans enseignant-encadreur à Bruxelles (Schoolopbouwwerk), fonctionnaire au ministère de la Justice (encadrement psychologique des prisonniers) qui a autorisé la publication de son nom, pointe pour sa part un autre facteur : « Selon moi, la Côte d’Ivoire vit sous un état de répression permanente et c’est ce qui rend impossible l’idée d’un quatrième mandat, ce n’est pas une question d’un homme. Le problème, ce n’est pas Ouattara lui-même. Ce que je vois, c’est une France qui cherche à maintenir sa mainmise économique et militaire sur la Côte d’Ivoire. Et c’est cette influence étrangère qui engendre tout ce que nous voyons en Côte d’Ivoire aujourd’hui, qui rend difficile l’acceptation d’un mandat de plus pour Mr Ouattara. Mais je n’ai pas peur d’en parler, C’est de mon pays de naissance qu’il s’agit ! Je suis en retraite anticipée à cause de mon état de santé, mais je publie sur les réseaux sociaux, je ne crains rien seulement qu’on met souvent nos proches au pays en danger. »
Il s’insurge aussi contre ce qu’il considère comme une répression ciblée : arrestations d’opposants, persécution des partisans de Gbagbo, tout cela jugé incompatible avec un scrutin vraiment libre.
Témoignages discrets au sein des institutions
Si les soutiens affichés au RHDP dominent dans l’espace public, certains fonctionnaires confient en privé leur malaise. Un ancien employé de l’ambassade de Côte d’Ivoire à Bruxelles, aujourd’hui installé en Europe raconte : « Beaucoup dans ces institutions ne partagent pas forcément toutes les décisions politiques, mais parler, c’est risquer son poste. Alors on se tait. Mais moi ici, je ne veux pas trop me prononcer sur la question parce que la politique en Côte d’Ivoire est très tendue surtout à l’approche des élections avec tout ce qu’on entend sur les réseaux sociaux. Moi je n’ai rien contre le gouvernement en place, je reconnais leur bravoure, mais il y a quand même beaucoup de chose encore à revoir pour le bien de tous. »
« C’est parce que les lois sont respectées que le quatrième mandant est légitime et légal. »
Un autre fonctionnaire en fonction, joint sous couvert d’anonymat, ajoute : « Nous savons que nous devons tous.tes respecter les lois, et c’est parce que les lois sont respectées que le quatrième mandant du Président Alassane Ouattara est légitime et légal, car ce sera le deuxième mandant de la deuxième république. En même temps, cela pose problème, donc il faut des décisions sages pour éviter de plonger à nouveau le pays dans le chaos. Moi, je fais seulement mon travail ici et c’est tout. »
Une diaspora divisée mais attentive
Entre la peur de représailles, l’attachement aux acquis économiques et la revendication d’un espace démocratique, la diaspora ivoirienne se trouve dans une position délicate. Si beaucoup choisissent la prudence, la discussion reste vive dans les cercles privés.
Au-delà de la personne du président, c’est la crédibilité des institutions et la possibilité d’une alternance qui cristallisent les débats. Comme le résume un étudiant Ivoirien interrogé en France: « Ce qu’on attend de l’élection, ce n’est pas seulement un vainqueur, c’est la preuve que la Côte d’Ivoire peut inspirer confiance à ses propres citoyens, qu’ils soient au pays ou à l’étranger. »