—  Censuré  —

Djibouti : « Tant que la presse sera muselée, le peuple restera dans l’ombre »

- 3 décembre 2025
À l’intérieur du pays, rares sont ceux qui osent prendre la plume pour dénoncer les abus du pouvoir. © Pixabay.

À Djibouti, parler trop fort peut coûter cher. Dans ce petit pays coincé entre la mer Rouge et la Corne de l’Afrique, être journaliste est devenu un exercice à haut risque, entre vérité et survie. Analyse.

À Djibouti, petit pays coincé entre la mer Rouge et la Corne de l’Afrique, la liberté de la presse se résume souvent à un équilibre fragile entre vérité et survie. Arrestations, intimidations, censure sont légion.

La Radiotélévision de Djibouti (RTD) règne, par exemple, sans partage sur le paysage médiatique. Les journaux indépendants, eux, ont quasiment disparu. Les seuls médias critiques encore actifs, La Voix de Djibouti et Radio Boukao, émettent depuis l’étranger.

“Si tu poses une question qui dérange, tu deviens une cible.”

À l’intérieur du pays, rares sont ceux qui osent prendre la plume pour dénoncer les abus du pouvoir. “Le gouvernement contrôle tout, même les mots”, confie un ancien journaliste djiboutien aujourd’hui exilé en Europe. “Si tu poses une question qui dérange, tu deviens une cible.”

Selon Reporters sans frontières qui classe le pays 168e (sur 180) dans son classement, Djibouti reste l’un des États les plus fermés d’Afrique en matière de liberté de la presse. Les journalistes y travaillent sous surveillance constante.

Menaces et autocensure

Les exemples d’intimidations ne manquent pas. En 2022, deux reporters ont été arrêtés après avoir couvert une manifestation d’enseignants. D’autres ont été convoqués par la police, menacés de poursuites ou poussés à quitter leur poste.

“On apprend à se taire pour ne pas disparaître.”

“La peur est devenue notre principale compagne de travail,” raconte une journaliste locale. “On apprend à se taire pour ne pas disparaître.”

Résultat, l’autocensure gagne du terrain. Les sujets sensibles (corruption, droits humains, opposition politique…) sont presque absents des médias officiels.

La population, elle, n’a souvent accès qu’à une information contrôlée et uniformisée RTD, le média de service public.

Des lois taillées pour le silence

Officiellement, la constitution garantit la liberté d’expression. Dans les faits, les lois sur la communication restent floues et répressives. Diffamation, atteinte à la sécurité de l’État, propagation de rumeurs sont souvent utilisés comme chefs d’accusation pour réduire les journalistes au silence.

Les correspondants étrangers sont rares, les autorisations de tournage presque impossibles à obtenir.

Les ONG locales, quand elles existent, peinent à défendre les reporters pris pour cible.

La résistance continue

Malgré les risques, certains refusent de se taire.

En 2018, j’ai personnellement été poursuivi jusqu’à la mort pour avoir documenté des faits qui dérangeaient le gouvernement. Depuis l’étranger, Radio Boukao” continue de diffuser ses enquêtes en ligne en Europe. Ses correspondants sur le terrain travaillent dans l’anonymat, changeant régulièrement de téléphone et de lieux d’interview pour éviter d’être repérés.

Des organisations internationales, comme Reporters sans frontières et Amnesty International, multiplient les appels à la libération des journalistes détenus. Mais à Djibouti, le silence reste la règle, la parole l’exception.

Informer, un acte de courage

Dans un pays où la vérité dérange, informer devient un acte de résistance. Chaque article publié, chaque vidéo diffusée, chaque témoignage relayé est une victoire sur la peur.

“Tant que la presse sera muselée, le peuple restera dans l’ombre”, estime un défenseur des droits humains de la région.

Pour beaucoup de journalistes djiboutiens, écrire, filmer ou témoigner n’est plus seulement un métier. C’est un combat pour le droit d’exister, et pour que la vérité, un jour, puisse de nouveau s’exprimer librement.

Note : pour des raisons de sécurité, l’auteur de cet article a tenu à respecter l’anonymat de ses intervenants.