Enseignement supérieur : la Belgique durcit l’accès aux étudiants étrangers

Le gouvernement Azur de la Fédération Wallonie - Bruxelles (FDW) a voté en décembre 2024 une réduction de 6,5 millions d'euros sur l'enveloppe de l'enseignement supérieur. Pour combler cette économie, ce sont les étudiants hors Europe qui vont en payer le prix.
Ces étudiants devront payer 4.175 euros en plus du prix du minerval, et ce, chaque année, pour avoir accès à leurs études. Une augmentation de 1.670 euros par rapport aux années précédentes. Mais ce n’est pas tout, l’équivalence de diplôme voit, elle aussi, son prix changer, elle passe de 200 à 400 euros.
Un avenir qui pourrait être bouleversé
Cette mesure angoisse les étudiants étrangers, pour qui la perspective d’avenir est incertaine.
« Je dois vraiment valider mes crédits, je n’ai pas le droit à l’erreur. […] Cela me stresse beaucoup, car sortir 5 000 euros d’un coup comme ça, ça fait mal. J’espère ne pas devoir les payer, ça peut devenir une vraie difficulté pour continuer mes études. »
Riad a 23 ans, il est venu d’Algérie pour étudier l’architecture. En première année de master, il paye pour le moment 2.505 euros de frais d’inscription par an. S’il réussit tous ses cours cette année, il continuera à payer le même prix, mais s’il rate ne serait-ce qu’un seul crédit, il sera soumis à la nouvelle mesure.
Une mesure qui préoccupe énormément l’étudiant, car il est entièrement à la charge de ses parents, sa maman étant indépendante et son papa à la retraite. « Je n’écarte pas la possibilité de devoir arrêter mes études. S’il arrive quelque chose à mes parents, que ma maman arrête de travailler et donc n’a plus d’argent, je vais devoir arrêter. » Riad estime qu’il est très chanceux, car il peut se concentrer essentiellement sur ses études. Il a déjà essayé de concilier étude et travail, mais il estime que cela n’est pas compatible avec son cursus.
Il n’a pas encore annoncé à ses parents qu’il serait peut-être sujet à cette augmentation, il ne veut pas les inquiéter.
« Je me sens impuissant parce qu’il n’y a pas vraiment de solution, je ne peux pas arrêter mes études au milieu, mais en même temps ça ne fait qu’augmenter et je n’ai pas le temps de bosser à côté. », indique Riad. Il sait que d’ici deux ans, il ne pourra plus avoir le même train de vie que maintenant.
Une autre étudiante s’est confiée au Comac sur le sujet « Je constate déjà les nombreuses difficultés financières liées au coût de la vie, notamment pour payer le logement, la nourriture et les autres besoins essentiels. Avec l’augmentation des frais de minerval, la situation devient encore plus compliquée […]. Cette hausse ne fait qu’accentuer les inégalités et met une pression supplémentaire sur les étudiants étrangers. »
Il n’a pas été facile de rentrer en contact avec des étudiants soumis à cette nouvelle mesure. Malgré plusieurs demandes, seul Riad a bien voulu répondre à mes questions.
Une précarité étudiante qui pourrait s’accroitre
Pour Adam Assaoui, président de la Fédération des Étudiants Francophones (FEF), cette mesure ne ferait que renforcer la précarité étudiante déjà bien présente pour ces étudiants. « Le coût de la vie pour un étudiant hors Europe est déjà assez élevé comme cela […], les frais d’inscriptions sont plus chers, il faut payer un kot, on ne peut pas rentrer chez ses parents pour ramener un petit plat ou faire sa lessive. »
À l’annonce de ce projet de modification de décret, l’Académie de recherche et d’enseignement supérieur (l’Ares) ainsi que le Conseil des rectrices et recteurs francophones (Cref) se sont montrés défavorables à l’adoption de cette mesure. Ils soulignent que les étudiants étrangers qui payent déjà des frais d’inscription majorés ont déjà un profil socio-économique fragile, et qu’ « augmenter les droits d’inscription entraînera un risque majeur d’accroissement de leur précarité.«
Une question de prestige
Le gouvernement a deux gros arguments pour adopter cette mesure. L’une d’elles est que les études en Belgique sont considérées comme trop accessibles, et cela ne donnerait pas une bonne réputation à l’enseignement belge.
Elisabeth Degryse, la Ministre-Présidente de la Fédération Wallonie-Bruxelles chargée, entre autres, de l’enseignement supérieur, l’avait confirmé lorsqu’elle a été interrogée par l’opposition « Le montant de notre minerval est parfois vu à l’étranger comme risible et comme un signe de moindre qualité. » Elle rappelle malgré tout « Il n’y a pas que le coût d’inscription qui définit la qualité, mais il y contribue. Il y a donc fort à parier que, dans les années à venir, le retour financier pour les établissements soit plus important que les 6,5 millions. »
Adam Assaoui ne partage pas l’espoir de la Ministre-Présidente.
« Il y a un gros risque au niveau des établissements, car faire le pari d’enlever 6,5 millions d’argent public et demander aux étudiants étrangers de payer, ça ne marche que si ceux-ci s’inscrivent. »
Pour le président de la FEF, cette réduction du budget aura un impact sur tous les étudiants et pas seulement ceux concernés par cette nouvelle mesure. En effet, il estime que celle-ci va entraîner une perte de qualité de l’enseignement, « Il y aura des professeurs en moins, des classes en moins aussi. Et ce sont tous les étudiants de l’enseignement supérieur qui seront impactés.«
Une mesure déjà adoptée chez nos voisins
Le Royaume-Uni ainsi que la France ont déjà adopté des prix différentiels pour les étudiants étrangers. Pour le premier, l’augmentation concernait d’abord les étudiants étrangers pour ensuite s’étendre à tous les étudiants du pays. À l’heure actuelle, si on veut étudier au Royaume-Uni, il faut débourser environ 30.000 euros par an.
Et si Elisabeth Degryse voit cette mesure comme un potentiel retour sur investissement, pour la Grande-Bretagne, cela n’a pas été le cas. Le nombre de candidatures internationales a baissé de 37% en janvier 2024, par rapport à janvier de l’année précédente.
Néanmoins, la France donne en partie raison à la Ministre-Présidente. La fréquentation d’étudiants étrangers a augmenté de près de 36% entre 2021 et 2022, bien que ceux-ci doivent débourser – pour l’équivalent d’un bachelier – 2.770 euros (contre 170 euros pour un étudiant européen) et 3.770 euros (contre 243 euros) pour un master.
Des étudiants bien choisis
Pour le président de la FEF, Adam Assoui, c’est une logique élitiste de la part du gouvernement. « Je pense que le gouvernement est dans une optique où il ne veut pas d’étudiants étrangers, de classe moyenne. Il veut des étudiants qui ont de l’argent, des fils de ministres et d’industriels. »
La Fédération des Étudiants Francophones étudie toutes les options, une pétition va bientôt être lancée contre la précarité étudiante, avec un volet pour les étudiants hors Europe. La FEF compte plaider pour une baisse des coûts. Pour Adam Assaoui, « il n’est jamais trop tard. »