Fuir l’excision : le combat d’une mère pour sauver sa fille (1/3)

Fatimetou Sow Deyna, journaliste-présentatice, a fui la Mauritanie pour protéger sa fille de l'excision. Depuis la Belgique, où elle a trouvé refuge en 2018, elle porte encore son combat haut et fort contre les Mutilations Génitales Féminines (MGF). Témoignage.
Il est des combats qui marquent à vie, des luttes qui se mènent au péril de sa propre existence, tout cela pour sauver ce que l’on aime le plus au monde. Le combat que j’ai mené pour sauver ma fille – alors âgée de 9 ans – de l’excision, est l’un de ces combats. C’est un combat que je porte en moi chaque jour, avec la détermination d’une mère prête à tout pour protéger son enfant. Mais c’est aussi l’histoire d’une injustice, d’une souffrance inouïe infligée à des milliers de jeunes filles dans le monde. Un fléau qu’il est urgent de combattre.
« L’excision reste une réalité tragique qui touche, chaque année, des millions de jeunes filles. »
Je suis journaliste, présentatrice et activiste, engagée dans la défense des droits des enfants. Mais il y a un aspect de ma vie que je ne partage que rarement : l’histoire de l’excision, cette pratique barbare qui continue de détruire des vies. C’est une pratique ancestrale qui perdure encore aujourd’hui, notamment dans de nombreux pays d’Afrique. Et, malgré les nombreuses campagnes de sensibilisation, l’excision reste une réalité tragique qui touche, chaque année, des millions de jeunes filles.
Un choix de vie forcé
Tout a commencé lorsque j’ai appris que ma fille allait être victime de cette tradition. Elle n’avait que 9 ans. C’était une petite fille pleine de vie, d’innocence et de rêves. Mais, dans ma culture, une fille doit être « prête » à rejoindre son mari et cette préparation passe par l’excision. Un acte censé « purifier » la jeune fille, mais qui, en réalité, la prive de sa dignité, de son intégrité et de son plaisir. Le clitoris, cet organe si précieux, est coupé et, avec lui, une partie de l’identité et de l’autonomie de la jeune fille.
« Rien n’avait plus d’importance que de sauver ma fille. »
C’est à ce moment-là que j’ai pris la décision de fuir. J’ai quitté mon pays, tout en sachant que cela signifierait renoncer à ma famille, à ma terre, à ma culture. Mais rien n’avait plus d’importance que de sauver ma fille. Je l’ai protégée. Je l’ai emmenée loin de cette tragédie qui se préparait, loin d’une tradition aveugle et cruelle. Il fallait que ma fille échappe à ce destin. Et pour cela, il fallait fuir.
Une souffrance inouïe
Ce n’est pas seulement un acte qui cause des douleurs physiques atroces, mais aussi un traumatisme psychologique qui peut durer toute une vie. J’ai vu de mes propres yeux des jeunes filles mourir sous les coups de la douleur. Se vider de leur sang dans un silence accablant ou sombrer dans des souffrances interminables. Il n’y a pas de mots pour décrire l’horreur que j’ai vue.
« Elles sont condamnées à vivre avec un passé qui les marquera à vie. »
J’ai été témoin de la souffrance de ces filles, mais j’ai aussi observé l’indifférence de ceux qui perpétuent cette pratique. Cette indifférence est peut-être le pire des crimes. Car l’excision n’est pas seulement une mutilation physique. C’est aussi une privation totale de l’autonomie des jeunes filles. Ces enfants, souvent impuissantes face à la tradition, sont réduites à des objets sans voix, ni choix. Elles sont condamnées à vivre avec un passé qui les marquera à vie.
En tant qu’activiste, j’ai mis toute mon énergie pour dénoncer cette pratique, pour élever la voix contre un système patriarcal qui prive les filles de leur liberté. Mais, au-delà des mots et des actions, il y a cette douleur sourde, cette peur qui ne m’a jamais quittée : la peur que ma fille, comme tant d’autres, ne tombe dans ce piège infernal.
Le témoignage de ma fille
Aujourd’hui, ma fille a 16 ans. Elle est loin de tout cela, loin de cette tradition dévastatrice qui aurait dû la définir, mais elle n’a pas oublié. Elle grandit dans un environnement libre, épanouie et consciente de son droit à disposer de son corps.
« Ce ne sont pas les traditions qui doivent décider de ce que nous sommes. »
Plus que jamais, elle se bat, elle aussi, pour faire savoir au monde entier que l’excision est une pratique qui ne doit pas avoir sa place dans notre époque. Elle défend, à son tour, les droits des filles, des enfants, pour que jamais plus une jeune fille ne soit privée de sa dignité. Elle prend la parole, elle s’engage. « Ce ne sont pas les traditions qui doivent décider de ce que nous sommes. Nous devons choisir notre destin », me dit-elle souvent.
Un appel à l’action
L’excision, même si elle est interdite dans certains pays, continue de toucher des millions de jeunes filles chaque année. L’Organisation des Nations unies (Onu) estime qu’environ 200 millions de femmes et de filles dans le monde ont été excisées. Cette pratique est responsable de nombreuses complications de santé, de l’infertilité, de traumatismes psychologiques et, dans le pire des cas, de la mort. Il est grand temps que les sociétés se lèvent pour mettre fin à ce fléau. Il est urgent d’amplifier les actions de prévention, d’éduquer, de sensibiliser. Chaque voix compte. Chaque combat a son importance. Et si cette guerre contre l’excision ne se gagne pas du jour au lendemain, nous devons, tous ensemble, en faire une priorité.
« Ma fille est mon combat, et je sais qu’elle portera, un jour, le flambeau de cette lutte. »
Je témoigne aujourd’hui pour que d’autres mères n’aient pas à fuir, pour que d’autres filles ne soient pas condamnées à vivre ce que j’ai vécu. Je témoigne pour que le monde sache qu’il est encore possible de changer les choses. Ma fille est mon combat, et je sais qu’elle portera, un jour, le flambeau de cette lutte, pour un monde où l’excision sera reléguée au passé. L’excision ne doit plus avoir de place dans le présent. Il est temps de dire non, une fois pour toutes.
Je suis fière de voir que ma fille prend la relève de cette lutte. Elle est plus que jamais déterminée à faire savoir au monde que chaque fille mérite d’être libre de choisir son propre destin. Tout ce que j’ai sacrifié a été pour elle, pour son avenir. Et, aujourd’hui, je peux dire que cela en valait la peine. Ma fille est libre. Et c’est la plus grande victoire.