La réponse inefficace et insuffisante des talibans face aux terribles séismes à Hérat
Plus de 2 000 personnes ont perdu la vie et une douzaine de villages ont été complètement détruits.
En octobre 2023, une série de tremblements de terre dévastateurs dans la province d’Hérat, en Afghanistan, a laissé derrière elle un champ de ruines. La situation appelait une réponse rapide et efficace pour sauver des vies et venir en aide aux survivants. La réaction du gouvernement taliban a toutefois démontré qu’il ne savait ni prévoir des protocoles en cas de catastrophes naturelles ni coordonner des opérations de secours.
Des phénomènes soudains et imprévisibles
Les catastrophes naturelles font indéniablement partie des enjeux les plus complexes auxquels l’humanité fait face depuis le début de son histoire, notamment en raison de leur caractère soudain et imprévisible. Les séismes sont l’un des phénomènes les plus destructeurs : ils peuvent en quelques instants détruire des infrastructures construites par les sociétés sur plusieurs générations. Dans les pays en développement, une série de catastrophes naturelles entraîne toujours un lourd bilan humain et matériel. Le nombre de victimes est d’autant plus élevé quand le pays dispose de peu de ressources humaines ou de faibles capacités techniques, technologiques et de gestion.
Lorsque le gouvernement est isolé tant sur le plan politique qu’économique, et n’a pas de connaissances suffisantes dans les domaines de la gestion de crises et de la réduction des risques, c’est la population qui en paye le prix, comme l’illustre parfaitement le séisme mortel de magnitude 6,3 dans le district de Zindajan, à 40 kilomètres de la ville d’Hérat. Selon les derniers chiffres, plus de 2 000 personnes ont perdu la vie et une douzaine de villages ont été détruits. Ce tremblement de terre est l’un des plus meurtriers de ces dernières années en Afghanistan. En juin dernier, dans les provinces de Paktika et de Khost, qui partagent une frontière avec le Pakistan, un séisme de magnitude 5,9 a fait plus de 1 000 morts.
« C’est une tragédie colossale, nous ne pouvons pas la décrire en des termes simples. »
En raison du manque d’équipes de sauvetage et de recherche, d’interventions de premiers secours, d’équipements et d’outils, le nombre de victimes s’est accru en quelques jours à peine. « C’est une tragédie colossale, nous ne pouvons pas la décrire en des termes simples. Des gens sont toujours coincés sous les décombres, ils sont vivants, mais nous ne pouvons pas les secourir », a relaté un survivant auprès d’une chaîne de télévision.
Une autre victime, Samira, a expliqué dans une interview que son logement avait été détruit et qu’elle et sa famille vivaient toujours dans leur jardin, de peur que le bâtiment s’effondre : « Nos maisons sont complètement détruites et nous ne pouvons plus y vivre. Nous restons dehors, nous avons un jardin, mais pas de tente, et nous dormons en plein air. Cela fait maintenant quinze jours, et personne ne nous a aidés. »
Haji Ghafoor, un autre habitant d’Hérat qui a pu rentrer chez lui, avoue qu’il redoute encore toujours les prochains séismes : « Nous avons vécu à l’extérieur dans une tente pendant 23 jours, nous avions très froid et nous n’avons reçu aucune aide. Nous sommes rentrés chez nous il y a cinq jours, nous sommes très tristes et inquiets. »
Le gouvernement afghan, aux mains des talibans, n’a qu’une compréhension immature de la gestion des risques en cas de catastrophe naturelle. En effet, des personnes sans instructions et sans compétences occupent des postes à responsabilités, y compris dans le département de gestion des catastrophes. En réponse aux évènements, ils envoient des semaines plus tard de la farine et de l’huile sur les sites touchés. Or, il faudrait plutôt un plan efficace pour coordonner les opérations des organisations humanitaires, en priorisant les actions essentielles avant, pendant et après la catastrophe, ce qui jouerait un rôle fondamental dans la réduction du nombre de décès.
Dans le domaine de la gestion des risques, il existe cinq étapes cruciales : la prévention, l’atténuation, la préparation, la réaction et le redressement. Quand ces étapes ne sont pas suffisamment bien connues ou gérées, le risque de voir la catastrophe devenir une tragédie est bien plus grand.
Une aide humanitaire interdite
Si des équipes de recherche et de sauvetage avaient rapidement été déployées, munies des bons outils, de l’équipement nécessaire, de trousses de premiers secours et de compétences tout en étant encadrées par des professionnels compétents, le nombre de victimes n’aurait pas été aussi élevé. Non seulement les talibans n’étaient pas en mesure d’anticiper ou de répondre à la catastrophe eux-mêmes mais, en dehors de l’Organisation internationale pour les Migrations (OIM), ils n’ont pendant plusieurs jours autorisé aucun travailleur humanitaire à pénétrer dans la zone.
Les humanitaires sur le terrain ont réaffirmé que les talibans n’étaient pas préparés à faire face à un tel drame. Selon certains d’entre eux, les opérations de sauvetage ont été davantage entravées par l’isolation de l’Afghanistan sur la scène internationale, conséquence de la prise de pouvoir des talibans en 2021, ainsi que la décision de bannir les femmes des organisations humanitaires.
L’autorité nationale afghane de gestion des catastrophes (ANDMA) souffre de nombreuses faiblesses en matière de structure, de politiques, de planification, de logistique et surtout de ressources humaines et d’expertise en matière de gestion des catastrophes.
Dans les faits, les organisations humanitaires et les autres pays ont mené la majorité des actions qui ont permis de sauver des vies, par exemple :
- Une dizaine de camions transportant des tentes familiales, des couvertures, des vêtements, des caisses à outils pour la réparation et la reconstruction des abris, ainsi que de quoi faciliter l’accès à de l’eau propre ont été déployés dans tout le pays depuis les entrepôts de l’OIM. Fait exceptionnel, les camions sont arrivés quelques heures après le séisme, après de longues négociations avec les talibans pour autoriser leur entrée sur le territoire.
- Des médecins, des infirmiers, des sages-femmes et des conseillers en soutien psychosocial équipés de matériel médical ont été déployés dans les zones sinistrées.
- L’UNICEF a envoyé 10 000 kits d’hygiène, 5 000 kits à destination des familles, 1 500 jeux de vêtements d’hiver et de couvertures, 1 000 bâches, ainsi que des objets du quotidien pour soutenir les actions humanitaires en cours sur le terrain.
Des milliers de survivants ont été déplacés par les destructions. Le centre de transit de Gazarga à Hérat héberge au moins 380 survivants du district de Zindajan (122 femmes, 14 hommes et 244 enfants), ainsi que des sinistrés venus de villages voisins. Ces survivants vivent dans des abris temporaires, où des volontaires et des partenaires ne fournissent que des quantités limitées d’eau et de nourriture. La réponse insuffisante des talibans face aux séismes mortels a mis en lumière la déficience et l’inefficacité de ce gouvernement.
Une enquête de l’International Rescue Committee (IRC), qui a porté sur 5 181 foyers dans cinq districts, a montré que :
- 96 % des abris ont été détruits.
- 80 % des animaux d’élevage sont morts.
- 100 % des filles et 96 % des femmes courent des risques en matière de protection, dont celui d’être victimes de violences.
- 47 % des personnes interrogées n’ont pas accès à de l’eau potable.
- 89 % des personnes interrogées n’ont pas assez de lait et de lait maternisé pour nourrir les bébés et enfants en bas âge.
Sans aide humanitaire étrangère, la catastrophe aurait eu des conséquences encore plus dramatiques, car les talibans sont incapables de gérer les situations critiques. Les responsables et les experts en gestion des catastrophes ont presque tous été renvoyés par les talibans ou ont fui le pays. Les mollahs (des chefs religieux) occupent désormais les postes clés, tandis que les soldats talibans ne savent que manier le fusil, et non réduire ou contrôler les risques posés par les catastrophes naturelles.
En tant qu’autorité souveraine en Afghanistan, les talibans ont offert une réponse extrêmement faible et inefficace face à ce genre d’urgences.
Cet article a été traduit de l’anglais vers le français par Apolline DESCY, étudiante en MA2, Ecole de traduction et d’interprétation de l’ULB.




