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« La Vierge à l’Enfant », un film belge primé sur la vie d’une femme yazidi

- 30 avril 2025

Le sujet du premier long métrage de la réalisatrice kurde Berivan Binevsa, “La Vierge à l’Enfant”, est assez choquant. Il s’agit de la vie d’Avesta, une jeune femme yazidi tombée enceinte à la suite du viol perpétré par un membre du groupe Etat islamique.

Se déroulant en Belgique, le film porte sur le grand écran également les sentiments de maternité et l’innocence au milieu de la guerre.

Berivan Binevsa a répondu à nos questions sur son film qui a remporté des prix au Festival cinéma méditerranéen de Montpellier et au Festival international du film de Duhok (Irak).

Dans son premier long métrage, la réalisatrice kurde Berivan Binevsa aborde également les sentiments de maternité et l’innocence au milieu de la guerre. © Playtime Films.

Pourquoi avoir choisi ce titre « La Vierge à l’Enfant »?

« Ce nom est basé sur les représentations de la Vierge Marie dans l’histoire de l’art, en particulier dans la peinture. Cependant, pour moi, il ne s’agit pas seulement d’une référence religieuse ou artistique, c’est un symbole puissant qui touche à des émotions universelles telles que la maternité, l’innocence et la douleur, et qui est ancré dans la mémoire commune de l’humanité.

« L’enfant n’est pas seulement un être à protéger, il est aussi un témoin. »

C’est exactement ce que j’ai voulu raconter avec l’histoire d’Avesta dans mon film: en pleine guerre, elle prend la responsabilité de protéger la vie d’un enfant. Mais l’enfant n’est pas seulement un être à protéger, il est aussi un témoin, un rappel du passé et une lueur d’espoir pour l’avenir.

Ce film n’est pas seulement une histoire individuelle, c’est un récit qui s’inscrit dans un contexte historique et politique et qui s’adresse à la mémoire collective. La montée du groupe Etat islamique et la persécution des Yazidis ne relèvent pas seulement de la responsabilité du Moyen-Orient, mais aussi de celle de l’Europe. Par conséquent, si le film vise à créer un lien émotionnel, il soulève également des questions inévitables. »

Comment est née l’histoire du film et comment avez-vous préparé le scénario ?

« L’écriture du scénario a été un processus qui a exigé à la fois rigueur et responsabilité. J’étais consciente du poids que représentait le fait de traiter du génocide des Yazidis par le biais d’une fiction, c’est pourquoi nous avons effectué des recherches approfondies pour rendre l’histoire d’Avesta aussi réaliste que possible. Nous avons analysé les aspects juridiques, les effets psychologiques, interrogé des experts, lu les témoignages des femmes survivantes et réfléchi à la manière d’obtenir justice et à la signification du processus de reconstruction.

Mais notre inspiration n’est pas venue uniquement de documents. J’ai rencontré un groupe de femmes yazidies en Allemagne et leur courage, leur solidarité et leurs expériences ont imprégné chaque ligne du scénario. Car il ne s’agit pas seulement de transmettre des faits historiques, mais aussi de saisir la dimension individuelle et émotionnelle de ce film.

Le viol comme arme

Dans les camps de réfugiés yazidis à la frontière turco-syrienne, j’ai interrogé la plus grande communauté yazidie d’Europe occidentale en Allemagne. Je me suis entretenue avec des avocats et des psychiatres pour comprendre le fonctionnement des marchés aux esclaves du groupe Etat islamique et la façon dont le viol est utilisé comme une arme.

Mais la véritable étincelle qui a transformé l’idée du film en un véritable récit est venue d’un endroit complètement différent. Ma sœur travaille dans un hôpital à Bruxelles. Un jour, une femme kurde syrienne qui venait d’accoucher a été horrifiée par le nom donné à son bébé par une mère belge musulmane d’origine marocaine qui partageait sa chambre. Car ce prénom est celui d’Abu Bakr, le chef du groupe Etat islamique. La femme exige que sa chambre soit changée. Cette scène m’a profondément bouleversée. Elle a montré comment le traumatisme de la guerre peut se manifester même dans les moments les plus vulnérables. Cet incident m’a fait sentir que je devais raconter non seulement la souffrance des Yazidis dans le film, mais aussi comment cette souffrance résonne en Europe. »

Il y a beaucoup d’émotion dans ce film. De quoi s’agit-il précisément ? De la vengeance, de la quête de justice ou de l’innocence de la jeune femme qui a accouché et de l’enfant qu’elle a mis au monde ?

« Le film aborde plusieurs émotions fondamentales: la quête de justice, le poids des traumatismes et la complexité du lien maternel.

L’histoire d’Avesta n’est pas seulement un récit de vengeance. Elle veut que les crimes soient reconnus et non oubliés. Le cri « Je ne suis pas folle » lancé au tribunal belge est en fait un acte de résistance, une rébellion contre l’indifférence et l’oubli.

« Ces histoires, souvent oubliées ou ignorées, doivent être mises en lumière. »

Le film aborde également le concept de maternité sous un angle douloureux. L’enfant qu’Avesta porte naîtra d’un viol. Il est à la fois le rappel le plus concret de son traumatisme et un être innocent qu’elle ne peut ignorer. Ce dilemme montre que la guerre ne se déroule pas seulement sur les lignes de front, mais qu’elle laisse des cicatrices beaucoup plus profondes et durables.

Qui les défendra ? Qui leur rendra justice ? Ces femmes verront-elles un jour un véritable bilan dans les tribunaux nationaux ou internationaux ? Ces histoires, souvent oubliées ou ignorées, doivent être mises en lumière. C’est ce que tente de faire « La Vierge à l’Enfant » : ouvrir un espace aux voix réduites au silence, rappeler ceux qui ont été oubliés. »

Avesta est muette pendant la majeure partie du film. Quelle était la raison de ce silence ?

« Le silence d’Avesta est le résultat du profond traumatisme qu’elle a subi et un indicateur de son aliénation au monde. Ce type de silence est souvent observé chez les personnes ayant subi de graves traumatismes, mais au fur et à mesure que le film progresse, ce silence commence à se dissoudre grâce au soutien offert par les femmes. Le processus de thérapie obligatoire joue également un rôle important dans ce changement.

Ce silence peut aussi être une protestation, car Avesta refuse le monde qui lui est imposé. Mais surtout, elle retrouve sa voix grâce à la puissance de la solidarité féminine. »

En regardant le film, j’ai souvent pensé à ce qu’Avesta ferait de l’enfant. Pourquoi avez-vous choisi cette fin ?

« Le fait qu’Avesta laisse son enfant en Belgique et revienne à la fin du film est le résultat de son cheminement intérieur. Avesta ne vient pas en Belgique pour se construire une vie meilleure ou un avenir. Son principal objectif est de demander justice. Il y a bien sûr une possibilité d’asile, mais elle sait que cela ne lui apportera pas la vraie paix.

Au départ, Avesta est motivé par la vengeance. Au fil du temps, cependant, elle fait place à une quête de justice plus profonde et plus significative. Elle tente de faire juger le coupable en Belgique, mais lorsqu’elle ne trouve pas ce qu’elle attend dans le système judiciaire, elle se rend compte que rien ne la retient ici.

« Elle choisit de se tenir aux côtés de son peuple plutôt que d’opter pour un salut individuel. »

En fin de compte, elle choisit de se tenir aux côtés de son peuple plutôt que d’opter pour un salut individuel. Elle pense qu’elle serait plus utile d’être là, dans son propre pays, en solidarité avec des survivants comme elle, et d’y faire le véritable bilan.

Quant à l’enfant… Pour Avesta, cet enfant n’est pas un simple bébé. Il est un rappel tangible des traumatismes, de la guerre et de la violence. L’accepter n’est pas seulement une épreuve personnelle, c’est aussi reconnaître la grande tragédie de son peuple. Et Avesta n’est pas prête pour cela.

C’est pourquoi elle retire l’enfant de sa responsabilité et le confie à l’État. Car cet enfant n’est pas seulement l’héritage d’Avesta, mais celui de toute la société, le symbole d’une nouvelle génération née avec les cicatrices d’une guerre.

« Si la migration offre l’espoir d’une nouvelle vie, elle comporte aussi le danger de la perte d’identité et de l’assimilation. »

La scène finale est l’un des épisodes qui était le plus clair dans mon esprit dès le début du scénario. Le retour d’Avesta et la dimension politique de l’enfant sont devenus l’un des thèmes les plus importants du film. L’abandon de l’enfant par Avesta n’est pas une « délivrance », mais plutôt une prise de conscience d’un problème plus large auquel sa société est confrontée.

La solution pour les Yazidis est-elle de se réfugier ? Ou continueront-ils leur combat en défendant leur existence, leur culture et leur histoire ? Chercher l’asile en Europe peut être une solution, mais cela les conduira-t-il à perdre leur identité et à disparaître avec le temps ? Si la migration offre l’espoir d’une nouvelle vie, elle comporte aussi le danger de la perte d’identité et de l’assimilation. Où est donc le véritable salut ? »