Passé colonial : pas d’« excuses » pour la Belgique
Une commission parlementaire belge chargée de se pencher sur son passé colonial n’a débouché sur aucun accord politique à la date butoire du 31 décembre 2022 en raison d’un désaccord sur la présentation des excuses officielles. Déçus, les membres de la société civile espèrent néanmoins que cette commission aura eu le mérite de faire avancer la réflexion sur le passé colonial belge.
Un constat d’échec. C’est le sentiment qui prédomine après deux ans de travaux parlementaires portant sur le passé colonial de la Belgique. Cette «commission spéciale passé colonial» devait accoucher d’un rapport le 31 décembre 2022, mais les parlementaires se sont divisés jusqu’au bout sur la question de savoir si la Belgique devait présenter, ou non, ses excuses aux pays qu’elle a colonisés dans le passé : le Congo, le Rwanda et le Burundi. Les partis de gauche – Parti socialiste (PS), Ecolo et Parti du travail de Belgique (PTB) – voulaient une déclaration officielle d’excuses de la part des institutions belges. La droite s’y est farouchement opposée.
Personne n’a, donc, voulu céder entraînant, ainsi, le blocage d’une déclaration finale après deux ans de travaux. Le président de cette commission, Wouter De Vriendt, membre du parti Ecolo, favorable aux excuses officielles, ne cache pas sa déception. «Les esprits n’étaient pas mûrs aujourd’hui. Il appartiendra à d’autres de reprendre le fil», a-t-il amèrement déclaré à la VRT.
Ce dernier avait pourtant cru tenir un accord. En effet, selon Marco Van Hees (PTB) et Guillaume Defossé (Ecolo), deux députés membres de la commission parlementaire que nous avons interrogés, un accord avait été trouvé entre la majorité des parlementaires. Le président de la Commission, Wouter De Vriendt évoque alors l’intervention du Palais royal dans les travaux de la commission. « Il y a eu un message du Palais royal dans ce processus. Je n’ai pas reçu ce message mais il portait sur les excuses, les compensations et quelques autres points sensibles » a-t-il déclaré. Interrogé par la RTBF, le Palais royal a balayé ces accusations d’ingérence.
Un rendez-vous avec l’Histoire
La « commission spéciale passé colonial » a été créée en 2020, dans la foulée du mouvement Black Lives Matter, lancé suite à la mort de Georges Floyd. Pour rappel, cet Afro-Américain est décédé lors de son interpellation par la police le 25 mai 2020 aux Etats-Unis. De nombreuses manifestations avaient eu lieu à travers le monde et notamment à Bruxelles le 7 juin 2020.
La mise en place d’une telle commission parlementaire était historique en Europe. Pour la première fois, des centaines d’historiens, de scientifiques, de membres de la société civile ont été invités à prendre la parole au parlement. Le but : guider les députés belges afin qu’ils prennent des recommandations concrètes sur ce sujet.
Emmanuel Tshimanga, membre de l’asbl Justice et paix, a été invité à témoigner devant les députés. «On était ravi de participer à cette initiative qui était assez innovante dans le monde. Il nous paraissait essentiel de pouvoir mettre en valeur le travail qui est déjà fait par la société civile et ainsi mettre en avant la nécessité de soutenir cette société civile, que ce soit un soutien moral ou financier», explique-t-il.
Outre des centaines d’auditions en Belgique, les membre de la commission se sont également rendus au Congo, au Rwanda et au Burundi afin d’échanger avec des historiens et des chercheurs de ces différents pays. «Ce fut un processus extrêmement intéressant, très riche. On a pu rencontrer 150 personnes ici en Belgique et autant de personnes au Congo, au Rwanda et au Burundi. Il y a des choses qui ont été dites dans le parlement qui n’ont jamais été dites auparavant et c’était extrêmement important», explique Guillaume Defossé, député Ecolo à la Chambre et membre de cette commission. «C’est un pas important même si cela ne s’est pas terminé comme on l’aurait voulu», regrette-t-il.
Avec ou sans « excuses »
Cette demande était d’abord portée par de nombreux membres de la société civile. «Nous avions insisté sur la question des excuses officielles car il était important pour nous que le gouvernement belge ait une position claire sur ce sujet», assure Emmanuel Tshimanga. Pour le Collectif Mémoire Coloniale, un mouvement très actif sur les questions de mémoire coloniale et de lutte contre le racisme en Belgique, les excuses étaient «le minimum» attendu.
Wouter De Vriendt avait décidé d’insérer la recommandation des excuses officielles dans le rapport final. Pour la droite, cette recommandation était inacceptable.
Le Mouvement réformateur (MR), le CD&V et l’Open VLD ont décidé de quitter la commission au moment de voter le texte final, rendant le vote impossible, faute du quorum nécessaire. «Il y avait plus de 120 recommandations sur lesquelles nous étions d’accords à l’exception des excuses car nous, comme l’Open VLD et le CD&V, étions favorables au message que le roi avait délivré l’année dernière qui était «les profonds regrets», explique Benoît Piedboeuf, chef de groupe du MR pour cette commission. Selon lui, «il y a déjà eu plusieurs manifestations d’excuses de la part de la Belgique. Il y a eu Louis Michel par rapport au dossier Lumumba, Guy Verhofstadt par rapport au Rwanda, Herman De Croo qui a renouvelé les excuses par rapport à la famille Lumumba et il y a eu les excuses de Charles Michel par rapport au dossier des métis. Nous pensons que l’essentiel avait été fait.»
Pour Valérie Rosoux, directrice de recherche au FNRS et professeur à l’UCL, qui a assisté de près à ces deux années de commission, cette question des excuses, outre l’aspect symbolique qu’elle représente, est surtout une affaire juridique. «Au sein de plusieurs partis politiques, la peur a été celle-ci : prononcer des excuses explicites allait entraîner un risque de multiplication de procès pour dommages et intérêts et donc le risque de devoir réparer avec des compensations financières», analyse-t-elle au micro de la Deutsche Welle.
« Déçus mais pas abattus »
Si à la sortie de ces deux ans de travaux, «la colère, la déception et l’impression d’avoir travaillé pour rien», régnaient chez Guillaume Defossé. «Le travail qui a été fait dans cette commission peut servir», nuance-t-il avant du recul. «Des choses qui se disaient en dehors du parlement ont été amenées au sein de ce parlement par les membres de la société civile, de la diaspora, qui depuis des années et des années travaillent ce dossier». Selon lui, cette question des excuses n’est qu’une question de temps, une question de génération.
Benoit Piedboeuf (MR) reste, lui aussi, fier du travail accompli, malgré l’échec d’un accord politique. «Tout le travail parlementaire, consigné, écrit, est là, ce n’est pas perdu. Il y a eu des progrès. La volonté que le colonialisme soit mieux enseigné, la nécessité de travailler avec les historiens des quatre pays, ou encore la nécessité de faciliter les procédures en matière de visa d’accueil. Ce sont les fruits de ce travail. Certes, il y a un échec sur le vote des conclusions mais on sait qu’on était d’accord sur ces 125 recommandations», s’enthousiasme-t-il.
Du côté des associations, tout ce travail a fait bouger les choses. «Nous avons été déçus mais pas abattus, c’est important de le souligner. Pour nous, un gros travail a été fait pendant deux ans. Il y a de quoi continuer à travailler et améliorer la situation. On reste optimiste pour l’avenir», conclut Emmanuel Tshimanga.