Le retour au pays pour une personne réfugiée : le dilemme impossible
Des réfugiés, la Belgique en accueille du monde entier. Mais qu’en est-il de leurs situations dans leur pays d’accueil ? Qu’en est-il de leur désir de rentrer au pays ou pas ? Est-ce quelque chose qu’ils souhaitent unanimement ? Certains n’ont quasiment plus de perspective dans leur pays natal et voient en la Belgique et l’Europe de l’Ouest bien plus qu’une terre d’accueil, c’est une terre de fertilité et d’opportunités.
Vous êtes-vous déjà réveillés un matin et en descendant au rez-de-chaussée, vous apprenez que votre pays, celui que vous connaissez depuis tout petit, est entré en guerre ? Imaginer sa nation dans un conflit, « comme durant les guerres mondiales », tout le monde l’a fait. Lana et Anastasia, elles, l’ont vécu.
Lana, déjà en Belgique en février 2022 a dû accueillir des membres de sa famille chez elle, tandis qu’Anastasia, en Ukraine à l’époque, s’est exilée en Grèce, afin de pouvoir continuer ses études en toute sécurité. En comparaison avec certains compatriotes, ces deux jeunes femmes sont bien conscientes d’avoir eu « plus de chance », bénéficiant toutes les deux d’une situation plutôt confortable malgré la guerre qui décime, encore actuellement, leur pays.
Lorsque le conflit éclate il y a plus d’un an maintenant, des milliers de personnes doivent, bien malgré eux, plier bagages, quitter l’Ukraine et partir à la recherche de sécurité aux quatre coins de l’Europe… pour ne plus y revenir ?
« Beaucoup ne comprennent pas »
Arrivée en Grèce quelques semaines après le début de la guerre, Anastasia l’expliquait elle-même : « Je ne n’avais aucunement idée de comment la guerre aller se dérouler. J’aime savoir que je ne risque pas d’être bombardée par un missile russe à tout moment, c’est sûr, mais j’ai du mal à réaliser qu’il y a la guerre dans mon pays. »
Un sentiment d’incompréhension tout à fait normal pour Viktoriia Neiland, psychologue ukrainienne, active désormais au sein de l’ASBL Solentra, experte en matière de soins et d’aide psychologiques aux réfugiés. « Beaucoup ne comprennent pas le processus qui leur arrive. Certains ne peuvent pas gérer leurs propres sentiments difficiles, ne savent pas comment réduire leur niveau de stress et comment s’adapter à leur nouvelle réalité. C’est normal qu’ils ressortent touchés d’une telle expérience. »
Les grands-parents de Lana, arrivés en Belgique après le début du conflit, et Anastasia sont dans leur « nouvelle réalité » depuis plusieurs mois désormais. Se voient-ils repartir chez eux lorsque la situation sera calmée ou plutôt rester dans cette vie, loin de leur pays natal ? Les avis divergent.
« Lorsque le problème sera réglé, mes grands-parents n’auront qu’une hâte : rentrer dans le pays dans lequel ils vivent depuis 70 ans. Ils ne parlent pas français, ne connaissent personne en Belgique, ont tout laissé en Ukraine : c’est normal qu’ils aient envie de rentrer chez eux », explique Lana.
Anastasia, plus jeune, dynamique et polyglotte, voit les choses différemment : si elle garde son pays dans son cœur, elle voudrait pouvoir découvrir le monde autrement que par obligation. « J’aime la facilité de la vie normale, sans guerre, j’aime la sécurité que l’étranger me propose. Vivre à l’étranger me plait et j’espère que quand la guerre sera terminée, je pourrai découvrir l’étranger par ma propre volonté, pas parce que je risque de mourir dans mon pays. »
Si la situation en Ukraine a pu toucher beaucoup de personnes sur le continent du fait de la proximité géographique du conflit, de nombreuses autres, hors de nos frontières européennes, ont connu des situations identiques ou presque.
« Plutôt mourir que de repartir »
Chez nous, l’état d’esprit dans lequel arrivent les réfugiés est bien souvent conditionné par ce qu’ils ont vécu juste avant d’arriver en Belgique. « Il y a une ambivalence : les réfugiés sont souvent remplis de gratitude face à l’accueil belge, puisque qu’en général, ils passent d’abord par les pays d’Europe du Sud, comme l’Italie ou la Grèce, qui sont beaucoup moins accueillants« , note Jean Vreux, psychologue travaillant avec des réfugiés du centre Fedasil. « Cependant, le système belge est tellement lent que certains attendent des années avant d’avoir une réponse de l’administration et doivent vivre dans des endroits insalubres pendant cette période. »
Après plusieurs semaines, voire mois passés loin de leur pays, de leur famille dans certains cas, dans quel état d’esprit sont ces personnes réfugiées ? « Les Ukrainiens sont l’exception, mais la tendance générale, c’est « plutôt mourir que de repartir ». En Syrie, en plus du conflit, le contexte économique est catastrophique, et il y a une violence extrême dans le pays. En Afghanistan, il n’y a plus de guerre, mais le pouvoir est aux Talibans et les perspectives de vie ne sont pas très enthousiasmantes. L’espoir général, bien souvent, c’est de pouvoir faire le regroupement familial en Belgique », explique le psychologue.
Au cas par cas
On le voit, si certaines personnes espèrent pouvoir rentrer chez elles le plus vite possible, d’autres n’ont qu’un objectif : rester en Belgique. Et c’est tout à fait normal, selon Jean Vreux. « Lorsqu’un Ukrainien arrive en Belgique, il ne va pas être séduit de la même manière qu’un Syrien puisqu’il jouissait d’un certain confort dans son pays avant le début du conflit. La perspective de pouvoir acheter une voiture, par exemple, ne va pas l’emballer, contrairement au Syrien. »
En ce qui concerne le cas ukrainien, Jean Vreux tient aussi à faire une distinction importante : avant la guerre, on ne pouvait pas parler de peuple ukrainien comme d’un peuple unifié. « Il y a des pro-russes et les pro-européens depuis des années. Bien sûr, quand une bombe nous tombe dessus, peu importe le camp, on fait ses valises de la même manière, mais dans ce cas-ci, la décision de retourner au pays diffère de l’opinion politique. Si la Russie de Poutine prend le pouvoir sur certaines zones, les pro-européens du coin seront sûrement moins enclins à revenir. »
Hormis la politique, d’autres arguments pourraient pousser certains Ukrainiens à rester en Europe de l’Ouest. « L’Europe de l’Est, c’est différent », affirme le psychologue. « Il est probable que certaines femmes, certaines personnes homosexuelles, par exemple, vont être séduits par notre façon de penser : plus ouverte, plus égalitaire. Pour penser un phénomène, il faut généraliser, mais ici, c’est souvent au cas par cas. »
Cet article a été rédigé par des étudiant.es en MA2 de l’ULB/VUB sous la coordination d’Alexandre Niyungeko, Gabrielle Ramain, Lailuma Sadid et Frisien Vervaeke.