—  Récits  —

Mémoires de la guerre en Syrie (3) : une balle pour l’innocence

- 22 janvier 2025
L’histoire de Maria est bien plus qu’un témoignage : c’est un appel au monde pour qu’il ne ferme pas les yeux sur les souffrances de celles et ceux qui ont été privés de leur innocence et de leur avenir.© D.R.

Au coeur de la guerre en Syrie, entre ruines et horreurs, le témoignage de Maria, une petite fille innocente touchée par une balle d'un tireur d'élite du régime d'Assad, incarne la douleur d'une génération brisée.

Dans le cœur de la guerre en Syrie, au milieu des ruines et des horreurs, il existe des récits qui vont au-delà des souffrances visibles pour dévoiler des vérités insoutenables.

Le témoignage de Maria, une petite fille innocente touchée par une balle d’un tireur d’élite, incarne la douleur d’une génération brisée par la violence.

Un soir ordinaire qui devient cauchemar

Ce soir-là, Maria n’avait qu’un seul souhait : aller rendre visite à son oncle pour voir le bébé de la famille. « J’aime tant les bébés, je voulais juste voir son sourire », raconte-t-elle, sa voix marquée par un mélange de douceur et de tristesse. La journée semblait ordinaire dans leur quartier de Sabina, au sud de Damas, une ville où le bruit des armes s’était habitué à se mêler au quotidien.

« J’ai senti mon corps tomber au sol, incapable de bouger. »

Les projets avaient été modifiés, et au lieu de sortir avant le coucher du soleil, elles partirent après. « Je courais, je me sentais légère, presque insouciante. Je chantais dans ma tête », se souvient Maria avec une nostalgie amère, comme si ce moment de bonheur était désormais un lointain souvenir.

Mais en une fraction de seconde, tout a changé. Un bruit soudain, fort et sec, a déchiré l’air, suivie par une douleur qu’elle ne pouvait expliquer. « Je n’ai plus ressenti mes jambes. Tout a disparu. J’ai senti mon corps tomber au sol, incapable de bouger », se remémore-t-elle, le visage marqué par la douleur de ces instants.

Choc et incompréhension

Maria s’effondra sur le gravier de la rue, son visage heurtant le sol. « J’ai essayé de bouger, mais je ne pouvais pas. J’avais mal à la main, je l’avais tendue pour protéger mon visage, mais la chute m’a brisée », raconte-t-elle d’une voix terne. Sa mère, qui la suivait de près, pensa d’abord qu’elle avait trébuché. « Elle m’a dit de me lever, mais je n’y arrivais pas. J’ai essayé de lui dire que quelque chose n’allait pas, mais ma voix était faible, tremblante. »

« Je sentais que nous pourrions mourir ensemble à cet instant. »

La situation s’aggrava lorsqu’un deuxième coup de feu retentit, brisant encore plus les espoirs de Maria. « J’ai cru que ma mère allait mourir. Je lui criais de rester là, de ne pas venir près de moi, car je sentais que nous pourrions mourir ensemble à cet instant », ajoute-t-elle, le cœur encore rempli d’angoisse.

Transport vers l’incertitude

Des passants se sont approchés, mais la situation semblait trop confuse pour que quelqu’un puisse réagir immédiatement. Un homme finit par prendre Maria dans ses bras et la transporter vers une clinique de fortune. « Je me sentais étouffée, comme si tout tournait autour de moi. Je demandais : ‘Tonton, qu’est-ce qui m’arrive ? Est-ce que je vais mourir ?’ »

Le chaos, la chaleur accablante et la douleur avaient envahi tous ses sens, tandis que la voix de sa mère se faisait entendre au loin, pleine de désespoir et de pleurs.

Diagnostic et horreur de l’opération

À la clinique, l’absence d’une réponse claire et rassurante n’a fait qu’ajouter à la confusion. Le médecin, après un bref examen, déclara : « La balle est sortie », sans fournir d’explication. « Je ne comprenais pas. Si la balle était sortie, pourquoi avais-je si mal ? Pourquoi n’y avait-il aucune trace de sortie ? »

Sa mère, inquiète et désemparée, tenta de comprendre la situation, mais le médecin n’offrit que des réponses vagues et fuyantes.

« Le sang coulait, et moi je criais sans que personne ne m’entende. »

Maria sombra dans l’inconscience, et ce qui suivit a été gravé à jamais dans sa mémoire. Lorsqu’elle se réveilla, elle était allongée sur une table d’opération. « Ils ont commencé à m’ouvrir sans anesthésie, sans rien. J’ai vu tout ce qu’ils faisaient, j’ai vu ma chair se déchirer. Le sang coulait, et moi je criais sans que personne ne m’entende. »

Chaque mouvement du scalpel était une douleur insupportable, comme si son corps entier se fracturait sous la pression.

La douleur était tellement intense que sa mère, alertée par ses cris, réussit à entrer dans la pièce malgré les avertissements des médecins. « Je l’ai vue, ses yeux pleins de larmes, elle me cherchait dans la pièce, mais elle n’a pas pu me prendre dans ses bras. Ils l’ont empêchée », raconte encore Maria.

Verdict glaçant

Après cette intervention brutale, Maria fut transférée aux soins intensifs, connectée à des machines et des tubes. « Je ne pouvais même pas bouger. Je voulais parler, mais les mots ne sortaient pas. »

La situation se dégradait, et sa mère remarqua l’enflure inquiétante de ses pieds. Après plusieurs tests, les médecins finirent par délivrer le verdict cruel.

« Votre fille est paralysée. Elle ne marchera plus jamais. »

Un jour, un médecin entra dans la chambre, s’approcha de sa mère et lui annonça froidement : « Votre fille est paralysée. Elle ne marchera plus jamais. » Puis, sans un regard de plus, il sortit en chantonnant, comme si cette annonce dévastatrice n’était qu’une simple formalité.

Enfance volée et vie brisée

Aujourd’hui, Maria vit en fauteuil roulant, paralysée, mais son plus grand fardeau reste la mémoire de cette nuit-là. « Je ne comprenais pas pourquoi on m’avait tiré dessus. J’étais juste une enfant. Je voulais courir, jouer, voir un bébé. Mais tout m’a été pris. »

Ces mots résonnent comme un cri d’alarme, un rappel cruel des vies brisées par des violences incompréhensibles.

« Je veux que le monde sache(…) Nous ne méritions pas cela. »

Son histoire est bien plus qu’un témoignage : c’est un appel au monde pour qu’il ne ferme pas les yeux sur les souffrances de ceux qui, comme Maria, ont été privés de leur innocence et de leur avenir. Elle ne demande pas de pitié, mais de la reconnaissance. « Je veux que le monde sache ce qui m’est arrivé. Pas pour moi, mais pour tous les enfants comme moi. Nous ne méritions pas cela. »

Maria incarne le courage face à l’adversité, mais son histoire est aussi un cri contre l’injustice d’une guerre qui ne fait aucune distinction, une guerre qui vole les rêves des plus innocents.

Derrière chaque balle tirée, il y a une vie détruite, une enfance volée, une douleur qui ne s’effacera jamais.