Mohammed Lubbad, de Gaza à Molenbeek, des ruines au rêve
À la fois athlète et photographe, Mohammed Lubbad a formé et filmé des jeunes à la pratique du parkour, cette discipline entre sport et acrobaties urbaines. « Pour surmonter ses peurs et ses douleurs ». Et célébrer la vie au milieu des destructions. Nous l’avons rencontré.
Cet article a été rédigé avant les actuels terribles événements entre le Hamas et Israël.
La presse l’a qualifié d’artiste star de TikTok, de jeune Palestinien au parcours inspirant. Elle a souligné ses succès sportifs à Gaza, puis en Belgique, avec l’ouverture à Molenbeek de sa société « Lubbad Production », créatrice d’emplois. Mohammed Lubbad mène en effet deux vies à la fois : photographe et vidéaste, il est aussi un formateur doué du parkour, cet art du déplacement qui tient du sport, de l’acrobatie et de l’entraînement militaire pour franchir des obstacles urbains, avec des mouvements rapides, agiles et sans l’aide de matériel ….
Nous voulions prouver que nous aimions la vie.
Muhammad Abd al-Karim Lubbad (Mohammed Lubbad) est né le 30 juin 1995 dans le camp de réfugiés de Jabalia dans la bande de Gaza. C’est en regardant le film français d’action « District 13 », sorti en 2004, qu’il a découvert le parkour. Les acteurs y exécutaient une série de mouvements athlétiques, comme sauter depuis des immeubles et tourner dans les airs, sans l’utilisation de fils et sans soumettre leurs scènes à des programmes d’effets spéciaux.
Le jeune Mohammed a appris ces mouvements à partir de vidéos sur You Tube. Cet entraînement ne s’est pas toujours fait sans mal, lui valant notamment une fracture de la jambe et plusieurs mois de difficultés à se relever. Cela ne l’a pas empêché, ensuite, de former à cette pratique des jeunes, pour un prix symbolique. Une équipe appelée « Gaza Parkour » a été constituée et des vidéos de ses exploits parmi les ruines de maisons détruites à Gaza circulent sur les réseaux sociaux. Il tenta également d’organiser un événement sportif qui devait réunir 200 spectateurs, mais les autorités l’ont interdit et ont infligé à Mohammed une amende importante pour ne pas avoir obtenu de permis gouvernemental.
Gaza Parkour à Arab’s Got Talent
Peu à peu, l’athlète a fusionné le parkour avec plusieurs autres sports, tels que le parkour sous-marin, le parkour avec balle, le tir et d’autres sports, pour devenir l’un des fondateurs les plus importants du parkour moderne dans le monde arabe. A Gaza, il est devenu célèbre, notamment après la participation de « Gaza Parkour » au programme « Arab’s Got Talent » deux fois de suite, dans sa quatrième saison. Il avait formé des enfants à cette pratique, et deux d’entre eux sont d’ailleurs entrés dans le Guinness Book des records en 2017 et 2018.
« J’utilisais ce sport pour divertir le cœur des gens, surtout après 2014, après la guerre, nous a confié Mohammed. Nous voulions prouver que nous étions vivants et que nous aimions la vie malgré toutes les destructions. Il n’était pas possible pour quiconque à Gaza de battre un record du monde, et pourtant nous l’avons réussi… Pour moi, la vie à Gaza était un sport qui apprend à surmonter ses peurs et sa douleur. Le joueur doit apprendre à contrôler son esprit afin de maîtriser l’art du parkour. »
Pour moi, la vie à Gaza était un sport qui apprend à surmonter ses peurs et sa douleur.
L’obsession de Mohammed et de ses amis pour cette activité les a incités à chercher le moyen de créer un club officiel. Hélas, tous leurs efforts ont été vains. « Les autorités de Gaza considéraient le parkour comme faisant partie de la culture occidentale, et il était donc interdit de le pratiquer là-bas », explique-t-il. « Nous n’avons pas baissé les bras. Nous avons continué à nous entraîner et à participer à tout événement qui nous permettrait de mettre en avant ce sport et de motiver les jeunes à nous rejoindre… En 2010, nous avons organisé une soirée rap et parkour à Gaza. Le concert a eu beaucoup de succès, mais j’ai été emprisonné par la suite sous prétexte de pratiquer des activités interdites. »
L’asile, pour réaliser son rêve
En 2018, l’équipe a été invitée à participer au Championnat du monde de Parkour en Allemagne. Après de nombreux efforts et l’obtention des permis requis, elle a pu s’y rendre. « Nous avons obtenu de très bons résultats, raconte Mohammed. Immédiatement après la fin du championnat, on nous a proposé de venir en Belgique pour participer au plus grand événement de parkour d’Europe, et nous avons accepté directement… Après la fin du championnat, nous étions confrontés à deux options, soit retourner à Gaza assiégée, soit rester en Europe, alors nous avons choisi la deuxième option, et demandé l’asile. Ici nous avons toutes les capacités requises pour pouvoir réaliser notre rêve et porter nos compétences à des niveaux avancés.
En Belgique, Mohammed a travaillé dans des centres d’asile pour former des réfugiés à son sport préféré. « J’ai commencé avec un groupe d’enfants de différentes nationalités, Belges, Syriens, Afghans, Palestiniens et Africains. Nous avons formé une petite équipe pour le parkour. Après un certain temps la Croix-Rouge nous a proposé de participer à des événements sportifs… L’équipe est composée de 15 enfants répartis en tranches d’âge entre 8 et 16 ans. À travers ce sport, je ressens leur capacité à accomplir beaucoup de choses. Je me sens bien avec eux simplement parce que je les regarde faire des efforts pour se développer, et c’est une incitation supplémentaire pour moi à développer davantage mes capacités pour mieux les former. »
Soutenir des talents, ici et en Palestine
Mohammed Lubbad a également un talent pour la photographie. Il a participé à plusieurs courts métrages créatifs à partir de sa propre photographie, notamment sur les questions humanitaires et patriotiques, les plus importantes de la cause palestinienne. La photographie était une partie importante de sa vie, car alors qu’il pratiquait le parkour à Gaza, il filmait son équipe lorsqu’elle s’entraînait sur les places de la ville et parmi les maisons détruites.
Et puis voyager autour du monde. Mon mal du pays demeure…
Sur les réseaux sociaux, les taux de visionnages des vidéos étaient élevés. « J’ai toujours aimé la photographie et j’ai maintenant réalisé mon premier rêve : créer une société de production de films et de photos. À travers elle, je souhaite commercialiser mon entreprise et mettre en lumière les enjeux humanitaires. Je veux également découvrir et soutenir des talents dans les centres d’asile en Belgique… »
D’autres ambitions encore ? « Oui, créer un centre ou une institution pour découvrir et développer des talents en Palestine et en Belgique dans le domaine du parkour. Et puis voyager autour du monde. Mon mal du pays demeure… »