Mort d’un journaliste rwandais : une centaine d’organisations exigent une enquête internationale
La mort voilà deux semaines de John Williams Ntwali, journaliste très critique envers le pouvoir rwandais, provoque un tollé. Une centaine d’associations de défense des droits humains et de journalistes exigent une enquête indépendante et impartiale sur ce décès qu'elles qualifient de « suspect ».
La famille de John William Ntwali a été informée de son décès le 19 janvier dernier, quand la police lui a demandé d’identifier son corps à la morgue d’un hôpital de Kigali.
« Je m’y suis rendue avec le frère de mon mari, Ntwali. On l’a identifié, mais il n’avait pas de signe d’un accident grave. C’est une mort suspecte. Et puis, je l’avais manqué une journée avant. J’étais trop inquiète », a indiqué son épouse dans la fraicheur des faits.
« II n’avait pas de signe d’un accident grave. C’est une mort suspecte »
La police a déclaré à la presse, via le journal étatique « New Times », que ce journaliste, très critique pour le régime en place « est mort dans un accident de roulage, tard dans la nuit du 18 janvier 2023, à 02h50, à la suite d’un excès de vitesse. »
« Ntwali était sur une moto et n’avait aucune pièce d’identité sur lui. Son corps a été transporté à la morgue de l’hôpital de Kacyiru (Kigali) en attendant son identification », a ajouté le porte-parole du département de la sécurité routière à la police rwandaise.
La thèse de l’ « accident » passe mal
Plus de 100 organisations de défense des droits humains ainsi que des associations et groupes de pression sur la liberté de la presse s’inquiètent que deux semaines après l’accident présumé, les autorités rwandaises n’ont toujours pas fait « d’enquête indépendante. »
« Les autorités rwandaises n’ont toujours pas fourni de rapport de police, précisé le lieu exact de l’accident présumé, montré des preuves photographiques ou vidéos, ou fourni d’informations détaillées sur les autres personnes qui auraient été impliquées dans cet accident », déclarent plus de 90 organisations internationales de la société civile et de journalistes.
Parmi les signataires de cette pétition, il y a l’Observatoire des Droits de l’Homme au Rwanda, Rwanda Accountability Initiative, la Fédération Internationale des Droits Humains (FIDH), Amnesty International, Center for Strategic Litigation de la Tanzanie, la Coalition Ethiopienne des femmes avocates, Human Rights Watch (HRW), Association for Human Rights in Ethiopia, Egyptian Initiative for Personal Rights, Tanzania Human Rights Defenders Coalition et bien d’autres.
On peut aussi citer des associations et ligues des journalistes comme Reporters sans Frontières, Committee to Protect Journalists, National Association of Black Journalists (USA), Federation of African Journalists, The African Editors Forum, des coalitions de journalistes en Ouganda, en Somalie, au Kenya, en Tanzanie, en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Sénégal, au Togo, en Ethiopie, au Nigeria, en Angola, au Sudan, au Botswana, au Gabon et ailleurs.
Une vie de menaces
Ntwali était régulièrement menacé. Il avait été détenu à plusieurs reprises au cours de sa carrière, parfois pour quelques heures, parfois plusieurs semaines. Il s’en était déjà remis entre les mains de Human Rights Watch.
« La triste mort de John Ntwali, dans des circonstances toujours floues, n’est pas étonnante à nos yeux. En effet, malheureusement, il nous avait annoncé que sa vie était en danger. John Ntwali faisait partie des rares qui prennent le risque de dénoncer des abus du gouvernement rwandais», a déclaré Lewis Mudge, directeur Afrique centrale de HRW.
Parmi les dossiers brulants que Ntwali couvrait, des cas de disparitions, des dossiers judiciaires d’opposants et de journalistes ainsi que d’autres liés aux droits humains au Rwanda, des dossiers peu abordés dans les médias ni par les journalistes locaux.
Le dossier « Ntwali » peu abordé à Kigali
« Nous sommes sidérés par la mort subite du journaliste John Williams Ntwali pour cause d’accident routier », ont juste indiqué deux organisations de la presse au Rwanda, l’association rwandaise des journalistes et le Rwanda Media Commission (RMC), qui a repris certains des rôles du Haut Conseil des Médias (organe étatique) après sa fermeture en février 2021.
À son enterrement, trois jours après l’annonce de sa mort, Cléophas Barore, le président de l’organe national des médias au Rwanda (RMC), a fait une déclaration publique : « Le Rwanda Media Commission ne peut pas demander ou exiger des enquêtes ou des explications. La police a tout dit à la famille et donné les causes de sa mort tragique. Ceux qui font ces recommandations et pétitions sont les seuls responsables de leurs actes. Nous, on n’est pas à ce stade. »
Il reconnaît tout de même que « les reportages et articles de John Williams Ntwali étaient interprétés de différentes manières. » Ce qui est « normal » selon Cléophas Barore.
« Targeted ? Pas plus de 10% »
Gonzaga Muganwa, l’ex-secrétaire général de cette prestigieuse organisation de la presse au Rwanda, nuance : « Je connaissais Ntwali depuis plus de 15 ans. Il était en effet l’un des rares journalistes d’investigation au Rwanda mais il n’était pas parmi les derniers indépendants. Il y a des dizaines de journalistes indépendants dans le pays et probablement plus de cent plus connus que lui. »
Pour lui, le degré d’être la cible est minime.
« Était-il donc une cible ? Je ne le néglige pas mais je ne lui donnerais pas plus de 10% de chance. Il y avait différents outils pour limiter son journalisme comme cela a été appliqué à tant d’autres. Dans son travail, Ntwali savait où rechercher des views comme d’autres youtubeurs », fait encore savoir Gonzaga Muganwa.
Garantir une enquête efficace
Des organisations qui exigent l’enquête indépendante rappellent que le Rwanda a l’obligation, en vertu du droit international des droits humains, « de garantir une enquête efficace sur la mort de Ntwali. »
De ce fait, concluent-elles, « des experts régionaux et internationaux, tels que le rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires ou le Groupe de travail de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples sur la peine de mort et les exécutions extrajudiciaires en Afrique, devraient être associés à l’enquête.»
D’éducateur à journaliste
43 ans, marié et père d’un enfant, le journaliste Ntwali était détenteur d’un diplôme de licence en science de l’Éducation, d’après une source familiale. Il a par la suite choisi le micro à la place de la craie.
« Fervent défenseur, très critique, des droits humains »
Rédacteur en chef du journal en ligne « The Chronicles », il est d’abord passé par des médias comme le Journal Igihe, des radios comme City Radio ou Radio Flash FM avant de fonder son propre journal « Pax TV-Ireme News » émettant aussi sur Youtube.
Les organisations de droits de l’homme, comme Amnesty International, le qualifient comme « fervent défenseur, très critique, des droits humains. »
Jeudi soir (NDLR: le 2 février 2023), des activistes et journalistes se sont réunis à Baraza Media Lab, dans la capitale kényane Nairobi, pour une veillée en mémoire de John Williams Ntwali.