« Nous avons la responsabilité de proposer aux Burundais un journalisme riche »
Malgré les clivages qui divisent souvent les Burundais en exil, les journalistes vivant en Europe ont pris l'initiative de donner l'exemple en se rassemblant le 3 août dernier en Belgique. Le but : rester debout malgré la distance.
Le 9 mai dernier, l’enthousiasme suscité par l’idée d’une rencontre entre journalistes burundais en exil fut perceptible d’emblée. Le groupe WhatsApp s’est vite rempli. Le lieu et la date ont rapidement été fixés : le 3 août, à Bruxelles. Le but : se rencontrer, échanger, discuter et, surtout, se réinventer.
C’est à l’ULB (Université libre de Bruxelles) que plus d’une trentaine de journalistes se sont réunis au milieu de l’été. Certains sont venus d’Allemagne, de France, et même de Suède. Il y avait des patrons de presse dans l’assemblée, des chercheurs, et des figures bien connues du monde médiatique : Antoine Kaburahe, fondateur du journal « Iwacu », Alexandre Niyungeko, président de L’Union Burundaise des journalistes (et membre du comité éditorial de « Latitudes »), Annick Nsabimana et Anne Niyuhire venues de Suède, ou encore Elyse Ngabire, exilée en France. Entre autres.
Rage, manque, nostalgie…
Tous ont la nostalgie du pays. C’est le cas, par exemple, d’Edouard Nkurunziza, un journaliste d’investigation, 33 ans, réfugié en France depuis 2020. Cet ancien reporter chez « Iwacu » explique que l’enquête de terrain lui « manque » et qu’il est frustré de voir des dossiers qui ne sont pas couverts, quand d’autres sont traités superficiellement. « Je savais faire avec, moi », affirme-t-il.
Plus loin, une journaliste politique, quadragénaire, exilée en Allemagne et ancienne de la radiotélévision nationale burundaise, confie sa « rage » de ne plus pouvoir mener des interviews avec les politiciens au pouvoir, les opposants, pour les mettre face à leurs propres contradictions.
Alors comment continuer d’exercer son métier malgré les 10.000 kilomètres qui les séparent du Burundi ? C’est toute la question. Déjà en se parlant. « Organiser cette rencontre est pour nous la meilleure manière de défendre la liberté d’information », se réjouit un jeune journaliste récemment entre en exil.
Les prises de parole libres ont, évidemment, émaillé cette rencontre. Antoine Kaburahe, deux exils à son actif, a demandé à tout le monde de trouver le courage et l’énergie de rebondir. Même son de cloche chez Alexandre Niyungeko qui invite les journalistes exilés à rester debout : « Je vous soutiens et je serai toujours derrière vous si vous avez des idées constructives. »
Mais comment ?
Beaucoup de questions se sont posées au cours de cette rencontre qui a duré cinq heures. Comment travailler sur place à distance ? Comment échanger des infos en toute sécurité ? Comment faire parvenir des informations à une population peu ou pas connectée ? Quel type de support médiatique faut-il considérer ou quel genre de journalisme privilégier ? Comment maintenir son activité en Europe tout en gagnant l’argent nécessaire à la vie quotidienne ?
« L’Europe offre un abri à de nombreux journalistes qui ont dû fuir les persécutions dans leur pays. Mais, trop souvent, ceux-ci ne reçoivent pas le soutien nécessaire pour continuer à faire leur travail correctement – et certains finissent par jeter l’éponge », a déploré l’écrivain néerlandais Toon Vos.
Cette rencontre, la première, « mais pas la dernière » selon plusieurs intervenants, a duré cinq heures. Elle s’est conclue sur une note d’espoir :
« L’exil en Europe était inévitable pour nous. Cette rencontre va nous permettre de créer un journalisme axé sur l’essentiel, un journalisme éducatif qui stimule la réflexion sans dicter les opinions. Il est crucial de maintenir un journalisme indépendant, un combat constant contre les influences de tous les pouvoirs, y compris celles, souvent invisibles, du conformisme. Nous avons la responsabilité de proposer aux Burundais un journalisme riche en expertise, en enquêtes, en grands reportages et en impertinence, tout en évitant les pièges de la démagogie. Nous y arriverons car les Burundais ont besoin de notre apport », ont-ils conclu dans une atmosphère conviviale.