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Parcours d’intégration en Belgique : un pays, trois visions

Accompagner les nouveaux arrivants, c’est trouver un équilibre entre leur droit à l’intégration et leur devoir de se faire une place. © D.R.

Les modalités d’intégration en Belgique sont à l’image du pays : divisées. Et encore en pleine mutation. Obligatoire dans les trois Régions, le « parcours d’accueil et d'intégration» n’a ni la même histoire, ni les mêmes conditions, ni les mêmes moyens en Flandre, à Bruxelles et en Wallonie. Et chacun révèle les nuances dans la manière dont le pays façonne sa politique d'intégration.

À deux pas de la gare de Namur, le Centre d’Action Interculturelle (CAI) organise des cours de «droits et devoirs». Une quinzaine de personnes d’origines mixtes, allant du Burundi jusqu’en Syrie, assistent en silence à ce qui est théoriquement la première étape de leur parcours d’intégration (PI). Une vidéo est projetée au mur. Un homme et une femme y décrivent scolairement l’histoire de la Belgique et de son fonctionnement : indépendance, colonisation, fédéralisme, état de droit et séparation des pouvoirs ou encore histoire de la sécurité sociale. Ce cours d’introduction d’environ quatre heures (en Wallonie) donne le ton : après chaque parcours migratoire et obtention de statut, il faudra comprendre le pays et toute sa complexe belgitude pour espérer y faire sa place.  

Reema, employée du centre d’intégration d’Anvers (Atlas) et ancienne bénéficiaire, reconnaît ses connaissances: “J’ai parfois rencontré des Belges à qui j’ai dit certaines choses que j’avais apprises dans le cours d’intégration. Ils me répondaient qu’ils n’étaient pas au courant. Il arrive donc que l’on maîtrise plus d’informations que ce que les Belges ne connaissent eux-mêmes.

De plus en plus longs et réglementés, les parcours d’intégration nous en racontent beaucoup sur le rapport qu’entretient notre pays avec les étrangers et leur insertion dans la société d’accueil. Plat pays oblige, la matière est régionalisée. Les élections arrivent dans à peine quelques mois et l’immigration prend une place toujours plus importante dans les campagnes électorales belges et européennes. À l’image du cours namurois de « droits et devoirs », la politique d’intégration est complexe. En rencontrant des acteurs de terrain et des bénéficiaires, nous découvrons les derniers changements.  

Step by step 

« Vous arrivez ici, vous ne connaissez personne et vous devez repartir de zéro ». Reema Salem est arrivée de Palestine en Belgique en 2018 et avait besoin d’un point d’ancrage. Ce fut un soulagement pour Reema lorsqu’elle trouva l’invitation de l’agence d’accueil anversoise Atlas dans sa boîte aux lettres. 

Les étapes de la procédure d’intégration varient d’une région à l’autre. En Flandre, depuis l’année dernière, la procédure comporte quatre étapes au lieu de deux. Le suivi de cours de néerlandais et d’orientation sociale est obligatoire depuis un certain temps. Depuis 2023, les arrivants doivent également suivre un programme de mise en réseau et de participation de 40 heures et s’inscrire auprès du VDAB (Vlaamse Dienst voor Arbeidsbemiddeling en Beroepsopleiding – Le Forem de Flandre).

« Avant, il y avait un peu de tout, tout était possible et rien n’était vraiment contrôlé. L’obligation a favorisé la professionnalisation de notre secteur.  »

Anne-Sophie Deghilage, bureau d’accueil de Liège

« Les parcours sont de plus en plus longs », soupire un superviseur de parcours de l’Atlas. « Cela met la pression sur nos bénéficiaires. C’est du temps qu’ils ne peuvent pas utiliser pour démarrer leur carrière. Et pour ceux pour qui le parcours n’est pas obligatoire, cela diminue certainement déjà la motivation à s’inscrire. » 

Le gouvernement wallon a également déjà élargi son programme d’intégration civique. À partir de 2017, les étudiants en citoyenneté suivront 400 heures de cours de français au lieu de 120 heures, et les heures de cours de citoyenneté sont passées de 20 heures à 60 heures. Selon Anne-Sophie Deghilage, employée d’un bureau d’accueil liégeois, ce changement était nécessaire pour mieux encadrer les personnes en intégration. 

Comme à son habitude, Bruxelles reflète les incongruités communautaires de la Belgique. Aujourd’hui, un primo-arrivant a deux options. Il peut entrer dans le système flamand par l’intermédiaire de BON (Brussels Onthaalbureau voor Nieuwkomers – le centre d’intégration néerlandophone de Bruxelles) qui propose un parcours uniquement en néerlandais. Il peut également suivre le parcours proposé par les BAPA (Bureaux d’Accueil pour Primo-Arrivants). Il existe trois structures BAPA à Bruxelles : elles offrent toutes un parcours bilingue, 50 heures de cours de citoyenneté, des cours de langues pour viser le niveau A2 et des entretiens d’accompagnement administratif ou professionnel. Les différentes institutions flamandes sont centralisées, elles proposent donc un parcours similaire. Les BAPA quant à eux jouissent d’une certaine indépendance leur permettant de mettre l’accent sur différents aspects en fonction des départements locaux. “C‘est au bureau d’accueil de développer le contenu de la formation. Et du coup, il y a toujours un peu de nuances. C’est une forme d’autonomie.”, explique Simon Debersaques, membre de l’équipe CRAcs (Centre Régional d’Appui en Cohésion sociale). 

Du droit au devoir   

Accompagner les nouveaux arrivants, c’est trouver un équilibre entre leur droit à l’intégration et leur devoir de se faire une place. Les récentes évolutions des parcours nous montrent un secteur qui se cherche encore.  

La politique d’intégration a vu le jour en 2003 en Flandre. La Wallonie a suivi un an plus tard mais n’a rendu le parcours obligatoire qu’en 2016. Selon Anne Sophie Deghilage, cela a donné un coup de fouet à leur fonctionnement: « Avant, il y avait un peu de tout et de n’importe quoi, tout était possible et rien n’était vraiment contrôlé. L’obligation a profité à la professionnalisation de notre secteur.”  

« Auparavant, les intégrants bénéficiaient d’un accompagnement suivi de la part d’un travailleur social, aujourd’hui ils sont souvent livrés à eux-mêmes.  »

Simon Debersaques, membre du personnel du CRAcs

Selon Simon Debersaques, lorsque Bruxelles a également obligé ses nouveaux arrivants à suivre un parcours d’intégration en 2022, les choses ont beaucoup changé: « Avant l‘obligation du parcours, tout le monde ne savait pas qu’il existait. Maintenant, plus de gens ont accès au programme. »  Un des rôles du CRacs (Centre Régional d’Appui en Cohésion sociale) est de passer au crible les procédures d’intégration civique à Bruxelles. Malheureusement, le nombre croissant de bénéficiaires augmente la pression sur les institutions bruxelloises: « Les temps d’attente ont énormément augmenté, le bureau d’accueil bruxellois BAPA est à bout de souffle. Alors que les intégrants avaient l’habitude de suivre leur parcours sous la houlette d’un assistant social, ils sont aujourd’hui davantage livrés à eux-mêmes. »  

Les obligations en Flandre en matière d’intégration se sont progressivement accrues ces dernières années. Alors qu’en Wallonie et à Bruxelles, il suffit de participer aux cours, le gouvernement flamand a introduit en septembre un test centralisé de néerlandais et d’orientation sociale. Cette décision a suscité de vives protestations de la part de certains centres de formation pour adultes (CVO) et de Ligo, la Fédération des centres d’enseignement de première ligne. « Un test centralisé porte atteinte à la liberté d’enseignement. Les enseignants ne se sentent pas en confiance et l’approche personnalisée de l’enseignement s’en trouve contrariée. »   

Nous ne faisons pas assez pour intégrer les migrants dans notre société. Ils ont été trop souvent laissés à eux-mêmes au cours du siècle dernier.”

Jo de Roo, le directeur de l’Agence flamande pour l’intégration

Le processus d’intégration est donc obligatoire dans chaque région et devient de plus en plus restrictif. Mais tous les nouveaux arrivants ne sont pas obligés de passer par le processus d’intégration. Les membres de l’Union européenne et les Ukrainiens, par exemple, en sont dispensés. Toutefois, une grande partie des participants suivent les cours de leur plein gré. Sur les 2.176 dossiers ouverts par le centre de Liège en 2023, 1.319 étaient « non obligatoires » nous explique Anne-Sophie Deghilage.

En effet, le certificat d’intégration peut aider à obtenir la nationalité belge ou des droits sociaux même lorsqu’on est pas soumis à l’obligation de le suivre. Le parcours est également attrayant car il porte souvent ses fruits. Ferdinand, réfugié burundais arrivé en 2022, le souligne : « On ne savait pas comment trouver un logement. On ne savait pas comment contacter le CPAS. On ne savait pas comment s’inscrire à la commune. Nous avons appris tout cela grâce aux cours de citoyenneté.” 

Une forte politisation de l’immigration

Par son histoire d’immigration, la Belgique abrite de nombreuses personnes d’origines différentes.  Mais c’est dans les années 90 que la question de l’immigration devient de plus en plus politisée par la montée du parti d’extrême droite flamand Vlaams Blok. L’immigration devient alors un sujet de plus en plus déterminant lors des élections en Flandre, bien plus qu’en Belgique francophone. Il y a une réelle bascule dans la position de la Flandre face à l’immigration dans les années 2000, lorsque la majorité « Arc-en- Ciel » (NDLR: libéraux, socialistes et écologistes) allège les conditions d’acquisition de la nationalité belge.

Ce changement de politique est particulièrement significatif car le programme obligatoire flamand était auparavant critiqué par les élites francophones qui considéraient qu’il stigmatisait les migrants.

Catherine Xhardez (VUB)

Le gouvernement flamand met en place son parcours d’intégration qui est rendu obligatoire en 2004. “Nous ne faisons pas assez pour intégrer les migrants dans notre société. Ils ont été trop souvent laissés à eux-mêmes au cours du siècle dernier”, déclarait encore Jo de Roo, le directeur de l’Agence flamande pour l’intégration, en 2023.

En Flandre, ce parcours est obligatoire, tandis que la Wallonie était alors hostile à l’idée  d’imposer la contrainte. Les différentes approches de l’intégration prennent véritablement forme à ce moment.  Comme l’explique Ilke Adam (VUB), Marco Martiniello (ULiège) et Andrea Rea (ULB), chercheurs en la matière, dans un article de 2018, “En outre, les pays qui insistent sur la dimension culturelle de l’intégration sont tous confrontés à une forte politisation de l’immigration, le plus souvent due à la forte croissance d’un parti d’extrême droite.”

Depuis, les choses ont évolué. Le Mouvement Réformateur (MR) a rapidement revendiqué que la francophonie marche dans les pas de la Flandre en se rapprochant de leur modèle en Wallonie et à Bruxelles. À Bruxelles, le parcours d’intégration flamand produit déjà ses premiers effets. À travers les différentes expériences en Europe, ainsi qu’à Bruxelles, on constate que les primo-arrivants eux-mêmes recherchent ce genre d’accompagnement. “Ce changement de politique est particulièrement significatif car le programme obligatoire flamand était auparavant critiqué par les élites francophones qui considéraient qu’il stigmatisait les migrants”, explique Catherine Xhardez (VUB) dans un article de  janvier 2024. 

Vient ensuite la loi du 4 décembre 2012 qui stipule qu’une personne immigrée peut acquérir la nationalité belge à la condition de “prouver son intégration sociale”, notamment “en ayant suivi un cours d’intégration prévu par l’autorité compétente où il entame son parcours d’intégration.” Le parcours prend une forme de plus en plus importante en région bruxelloise francophone ainsi qu’en Wallonie. Pour Janaki Decleire, du BAPA « Via », “avec le temps il est devenu évident qu’il existait des besoins spécifiques pour les primo-arrivants. Le sens et la pertinence du parcours d’accueil ne font plus de doutes”, comme il le raconte à Cédric Vallet pour Alter Échos. Suite à la « crise » migratoire de 2015, la Wallonie comme la Flandre adoptent des mesures plus contraignantes dans leurs parcours d’intégration. 

C’est plus tard que Bruxelles s’alignera avec les deux régions en rendant également son parcours obligatoire. L’ordonnance, prévue pour 2022, entre en vigueur seulement en 2024. Avec l’obligation vient s’ajouter un autre décret concernant l’élargissement du public pris en charge. A présent, le parcours ne concerne plus uniquement les primo-arrivants mais est ouvert “à toutes personnes étrangères.”  

Ces nouvelles conditions ont entrainé un nouveau flux important de personnes dans les centres, en particulier les bruxellois. “À la fin de l’année 2022, on était environ à 2.300 admissions. Aujourd’hui, on est à 6.225. C’est presque trois fois plus. Aujourd’hui, les bureaux d’accueil sont saturés. On crée depuis deux mois des listes d’attente”, explique Simon Debersaques. 

Une intégration coûteuse ?  

Depuis peu, les bénéficiaires du système flamand doivent payer deux fois 180 euros, sauf s’ils ont un profil social vulnérable. Le gouvernement flamand a aussi voulu créer une différence de tarif entre les “volontaires” et les “obligés” du parcours. L’objectif était de motiver la population étrangère qui n’est pas soumise à l’obligation à suivre le processus. Ligo, la Fédération des centres d’enseignement de première ligne, s’y est opposé car cela créait une discrimination évidente entre deux catégories de personnes migrantes. La Cour constitutionnelle leur a donné raison. Pourtant, les nouveaux arrivants qui ne sont pas obligés de suivre le parcours se sentent moins enclins à s’inscrire depuis que la participation est payante, affirme un accompagnateur de chez Atlas.   

« En Wallonie, nous avons surtout appris ce qu’ils voulaient que nous sachions, pas ce que nous cherchions. Il y avait trop peu d’espace pour nos questions. En Flandre, j’ai obtenu plus de réponses à mes questions.

Joséphine Nkunzimana, réfugiée du Burundi. 

À Bruxelles et en Wallonie, le parcours reste gratuit. Pourtant, les budgets consacrés à l’intégration civique en Flandre sont nettement plus élevés que dans les autres régions. Selon les chiffres du budget 2023, la Flandre a débloqué un budget de plus de 90 millions d’euros pour l’intégration, tandis que la Wallonie l’a maintenu à 26,5 millions. « Bien que le nombre de personnes qui s’intègrent augmente, le budget reste le même. Le centre d’accueil francophone bruxellois BAPA est à bout de souffle. Il doit donc fonctionner de manière beaucoup plus machinale », explique Simon Debersaques du CRAcs.

La pression sur le personnel augmente également dans les bureaux d’accueil wallons. Cela se reflète dans les expériences des principaux concernés. Joséphine, originaire du Burundi, a suivi le processus d’intégration en Wallonie et en Flandre:  « En Wallonie, nous avons surtout appris ce qu’ils voulaient que nous sachions, pas ce que nous cherchions. Il y avait trop peu d’espace pour nos questions. En Flandre, j’ai obtenu plus de réponses à mes questions. 

 Un pays, plusieurs visions 

La Wallonie et la Flandre exposent brièvement leur vision de leur politique d’intégration sur leur site internet de référence. Sur Wallonie.be, on peut trouver: “L’objectif du parcours d’intégration est d’accueillir et d’accompagner les nouveaux résidents étrangers de Wallonie, de les aider à acquérir les connaissances de base sur le fonctionnement de la société et des relations sociales en Belgique et de faciliter leur intégration sur le territoire.”

Chez son équivalent flamand, on peut lire que la politique d’intégration “vise à absorber et à atténuer les conséquences de la migration. Le gouvernement flamand s’efforce autant que possible de parvenir à une cohabitation inclusive : non pas les uns à côté des autres, mais les uns avec les autres.”  

Ces différentes conceptions qui partagent le pays, nous avons pu en observer quelques conséquences concrètes sur les nouveaux arrivants et sur la société d’accueil. Nous devrons pourtant à nouveau essayer d’y répondre collectivement au scrutin de juin prochain. Selon Ferdinand Niwemoto, réfugié burundais, “L’intégration, c’est de respecter les droits et les devoirs dans le pays dans lequel tu arrives. Je garde ma culture burundaise mais je ne l’impose pas aux autres. Je dois respecter la culture d’ici. Au final je dois combiner ma culture burundaise avec celle d’ici.”

Cet article a été rédigé par des étudiant.es en MA2 de l’ULB et de la VUB sous la coordination de Milan Augustijns, Alexandre Niyungeko et Lailuma Sadid.