—  Récits  —

Photojournaliste de l’AFP à Gaza, Mohamed Albaba présente son travail à Bruxelles

- 26 février 2025
« J’ai été témoin de nombreuses atrocités, mais je n’ai jamais eu peur. » Mohamed Albaba devant ses photos exposées au Centre du photojournalisme Géopolis (Bruxelles). © Alexandre Niyungeko

Comme d'autres photojournalistes de l'AFP, le Gazaoui Mohamed Albaba, 55 ans, est au centre de l'exposition « Dans l’enfer de Gaza » à Géopolis, le centre du photojournalisme de Bruxelles. À travers cette exposition, il espère sensibiliser le public aux réalités dévastatrices du conflit.

Originaire de Gaza, Mohamed Albaba a commencé sa carrière en tant que journaliste freelance en 2000. Il a rapidement pris conscience des défis uniques auxquels les journalistes sont confrontés dans une zone de conflit.

Après trois ans de couverture de la vie quotidienne dans la bande de Gaza, il a obtenu un contrat en tant que photographe à l’Agence France Presse (AFP), devenant une figure essentielle du journalisme de la région. Son travail l’a amené à couvrir plusieurs guerres dans cette zone tumultueuse, ainsi que des révolutions marquantes en Égypte et en Libye.

« C’était un quotidien de survie, mais cela fait partie de notre réalité. »

« J’ai été témoin de nombreuses atrocités, mais avant je n’avais jamais eu peur pour ma famille ou pour moi-même », confie le reporter avec détermination. Son engagement envers son métier est inébranlable. Pendant le conflit qui a surgi après l’attaque du 7 octobre 2024, il a « passé 225 jours consécutifs, vivant sous une pression constante, sans eau et sans nourriture, perdant l’accès à Internet », explique-t-il avant de poursuivre. « C’était un quotidien de survie, mais cela fait partie de notre réalité. »

« Comme si le ciel pleurait »

Parmi ses œuvres marquantes, Mohamed Albaba évoque une photo poignante prise cinq jours après le début des bombardements. « J’étais sur le toit de notre bureau, observant le ciel. J’ai vu des éclairs et, en même temps, des avions israéliens attaquer. J’ai attendu le bon moment pour capturer cette image, qui, pour moi, représente un moment historique. C’était comme si le ciel lui-même pleurait sur ce qui se passait en bas », se remémore-t-il.

« Derrière chaque image, il y a des vies, des histoires et des douleurs. »

Une autre image ne le quittera jamais. Ce cliché montre son collègue, le chef de bureau d’Al Jazeera, cherchant désespérément sa famille après avoir perdu des proches dans les bombardements. « Ce moment m’a fait réfléchir sur ma propre famille et à ce que je ferais dans une situation similaire. Cela m’a rappelé que derrière chaque image, il y a des vies, des histoires et des douleurs », confie-t-il, la voix chargée d’émotion.

Après plusieurs mois de travail acharné sous une pression extrême, le journaliste a pris la décision de quitter Gaza. « J’ai supplié mon organisation de m’aider à sauver ma famille et moi-même. Après des négociations pilotées par le Qatar, nous avons réussi à quitter Gaza pour Le Caire », raconte-t-il, décrivant l’angoisse d’une vie passée dans une zone de conflit où la vie peut basculer en un instant.

Un appel aux autorités belges

Il aura fallu cinq mois pour qu’Albaba et sa famille (son épouse, sa fille et un de ses fils) puisse enfin obtenir des visas pour l’Espagne après plusieurs refus des ambassades belge et française au Caire. Actuellement, sa famille est en procédure de demande de protection internationale en Belgique, et il lance un appel aux autorités belges pour faciliter l’obtention de leurs documents.

De son côté, il a choisi de ne pas demander l’asile, craignant que cela affecte sa carrière de journaliste. « Je souhaite que les autorités belges comprennent notre situation et nous aident à recevoir rapidement le soutien dont nous avons besoin. La sécurité de ma famille est ma priorité », affirme-t-il.

Un point particulièrement douloureux pour Albaba est de laisser derrière lui son fils aîné, qui travaille pour une station de radio à Gaza. Âgé de 28 ans, il a décidé de rester pour continuer à informer le monde sur la situation. « Je lui ai demandé plusieurs fois de quitter Gaza, mais il refuse. Il se sent le devoir de relater la vérité et de donner une voix à ceux qui n’en ont pas », explique le photojournaliste, la voix tremblante d’émotion.

Ce choix déchirant illustre les défis auxquels sont confrontés de nombreux journalistes palestiniens, qui doivent naviguer entre leur devoir professionnel et leur désir de protéger leurs proches.

« Chaque journaliste perdu représente une voix étouffée, une histoire non racontée. »

La guerre à Gaza ne se limite pas à des pertes humaines. Elle a des répercussions profondes sur les infrastructures mais aussi l’éducation et la santé mentale des habitants. « Chaque jour, j’ai vu des enfants innocents souffrir », déclare-t-il. « Les écoles sont détruites, les hôpitaux débordent, et les familles sont séparées. Mon souhait est de voir une paix durable s’installer qui respecte les droits de chaque individu, non seulement pour les Palestiniens, mais aussi pour les Israéliens. La paix est essentielle pour tous ceux qui vivent dans cette région, car elle pourrait mettre fin à des souffrances inutiles de part et d’autre. »

Albaba rappelle la perte tragique de plus de 200 journalistes dans le conflit. « Je prie pour la sécurité de ceux qui sont encore à Gaza et espère qu’ils pourront continuer leur travail. Chaque journaliste perdu représente une voix étouffée, une histoire non racontée », dit-il, avec tristesse.

Eveiller les consciences

Son message est clair : la quête de vérité et de paix doit continuer, même face à l’adversité. En exposant son travail à Géopolis, Albaba espère éveiller les consciences et inciter le monde à agir pour mettre fin à la souffrance. « Nous devons tous nous unir pour défendre les droits humains. La solidarité est notre plus grande force », insiste-il.

« À travers ma lentille, j’espère que le monde verra notre humanité, nos luttes et nos rêves de paix. »

L’importance du journalisme en temps de guerre est cruciale. Albaba pense que les journalistes jouent un rôle essentiel dans la documentation des atrocités et la transmission de la vérité. « Chaque image que je prends est un témoignage de la lutte de mon peuple. À travers ma lentille, j’espère que le monde verra notre humanité, nos luttes et nos rêves de paix », conclut le photojournaliste.

Infos : « Dans l’enfer de Gaza », Géopolis – Centre de photojournalisme, rue des Tanneurs 58-60 – 1000 Bruxelles, mardi au dimanche de 13h à 17h30, prix libre, jusqu’au 2 mars 2025