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Presse en Guinée : silence sous surveillance

- 14 mai 2025
Entre le 1er janvier et le 31 décembre 2024, les violations des droits des journalistes guinéens ont connu une augmentation significative. Septante atteintes graves à la liberté de la presse ont été signalées, marquant une augmentation stupéfiante de 204 % par rapport aux 23 cas documentés en 2023. © David Peterson (Pixabay).

Depuis le coup d'État du 5 septembre 2021, la junte militaire a multiplié les mesures de censure en Guinée. Malgré les promesses initiales du régime de transition, la réalité sur le terrain révèle une régression alarmante, marquée par la répression, la censure et la peur qui s'installent dans les rédactions.

Le 4 février 2025, le Syndicat des Professionnels de la Presse de Guinée (SPPG) lançait  un cri d’alarme en présentant son 3ème rapport annuel sur la liberté de la presse. Sobrement intitulé « Année d’Obscurantisme en Guinée », ce rapport mettait en lumière une dégradation inquiétante des conditions dans lesquelles le journalisme s’exerce en Guinée.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : entre le 1er janvier et le 31 décembre 2024, les violations des droits des journalistes guinéens ont connu une augmentation significative. Septante atteintes graves à la liberté de la presse ont été signalées, marquant une augmentation stupéfiante de 204 % par rapport aux 23 cas documentés en 2023.

Ce n’est pas qu’un chiffre ; c’est un cri d’alarme en Guinée. Trente-deux journalistes ont été séquestrés, et parmi eux, 16 ont été arrêtés arbitrairement, dont 2 incarcérés à la maison centrale de Coronthie, la prison la plus dangereuse de Guinée. De plus, 2 journalistes d’un média public ont subi des agressions violentes de la part des militaires à Conakry, la capitale, l’un d’eux se retrouvant avec une épaule déboitée suite à cette attaque inacceptable. Un journaliste a même été kidnappé le 3 décembre dans les environs de Conakry, tandis que 4 autres ont dû fuir le pays face à des menaces grandissantes.

Le rapport révèle également que 2 des 3 procédures judiciaires engagées contre des journalistes se basent sur le code pénal, contournant ainsi la loi sur la liberté de la presse qui est censée protéger ces professionnels contre l’incarcération.

Un contexte politique de plus en plus tendu

Suite à l’arrêt n° 686 du 21 mai 2024 pris par le ministère chargé de l’information et de la communication, 4 radios (Djoma FM, FIM FM, Sweet FM, Espace FM) et 2 télévisions privées (Espace TV, Djoma TV) ont été fermées.

Cette fermeture s’inscrit dans un contexte de durcissement sans précèdent contre la liberté d’informer. Les autorités militaires au pouvoir ont officiellement justifié ces fermetures par le « non-respect de contenu des cahiers des charges » ou, dans certains cas régionaux par l’illégalité de l’émission sans autorisation officielle.

Depuis novembre 2023, plusieurs médias restent inaccessibles sans VPN, faisaient déjà l’objet de brouillage et de restrictions d’accès. Les autorités guinéennes ont également imposé des coupures d’internet et bloqué des sites d’information, évoquant des raisons de « sécurité nationale ». Mais sur le terrain, ces mesures frappent essentiellement les médias les plus suivis et les plus critiques du pouvoir du Général Mamadi Doumbouya, le président de la transition, réduisant drastiquement la pluralité de l’information et mettant au chômage des centaines de journalistes professionnels.

La Fédération internationale des Droits de l’Homme (FIDH) dénonce une attaque préoccupante contre la liberté d’expression et rappelle que la République de Guinée est signataire de la plupart des traités internationaux et régionaux contraignants garantissant la liberté de la presse et la liberté d’expression. De plus, la Charte de la Transition du 27 septembre 2021, dans ses articles 8, 21, 23 et 24, appelle au strict respect de ces droits et libertés.

Reporters Sans Frontières (RSF) a dénoncé une volonté claire de faire taire toutes les voix dissonantes de la Guinée. Cette vague de fermetures intervient alors que le Général Mamadi Doumbouya, prolonge la période de transition et interdit toute manifestation, dans un climat de répression où l’opposition politique et la société civile sont également visées.

Le combat des journalistes professionnels 

La junte militaire a multiplié les mesures pour museler la presse : coupures d’internet, brouillage des ondes, suspension ou retrait de licences de médias indépendants, et arrestations ciblées de journalistes.

En janvier 2024, 9 journalistes ont été arrêtés lors d’une manifestation pacifique à Conakry, tandis que la Maison de la Presse était encerclée par les forces de sécurité.

© Aïcha Bah de l’AMDH (Alliance des médias pour les droits humains).

Sékou Jamal Pendessa, secrétaire général du Syndicat des Professionnels de la Presse de Guinée (SPPG), qui est mon grand frère, est une figure emblématique de la défense de la liberté de la presse. Il a été arrêté le 19 janvier 2024 simplement pour avoir osé défendre le droit fondamental d’informer. Son crime ? Avoir mené une mobilisation pacifique contre la censure et les atteintes répétées à la liberté d’expression imposées par la junte au pouvoir.

« lI est grand temps que les dirigeants comprennent que dans une démocratie, les médias sont l’élément qui éclaire et alerte. »

Accusé à tort de « trouble à l’ordre public », il a été condamné à six mois de prison, dont trois avec sursis, et à une amande de 500 000 francs guinéens (environ 60 euros) par le tribunal de première instance de Dixinn, dans le but évident d’intimider tous ceux qui refusent de se taire.

Face à cette répression, le SPPG continue à défendre la liberté d’expression au prix de lourds sacrifices. Les appels à la communauté internationale se multiplient pour exiger le respect des engagements pris par la junte en matière de droits humains et de la liberté de la presse. Comme le rappel Sékou Jamal Pendessa : « Il est grand temps que les dirigeants comprennent que dans une démocratie, les médias sont l’élément qui éclaire et alerte pour que le pays reste sur la bonne voie. »

Un climat de peur et d’autocensure 

Les poursuites judiciaires pour atteinte à l’ordre public ou la dissuasion sont systématiques contre toute voix critique.

La peur s’est installée dans les salles de rédaction. Les journalistes guinéens travaillent sous la menace constante d’arrestations arbitraires, de violences physiques, voire d’enlèvement comme le cas du Journaliste Habib Marouane. Administrateur du site « Le Révélateur 224 », il a été brutalement enlevé le 3 décembre 2024 vers 19h en pleine rue, par des gendarmes lourdement armés, alors qu’il se rendait à un rendez-vous professionnel à Lambanyi, dans la banlieue de Conakry. Des témoins ont vu son véhicule stoppé violemment à Lambanyi, près du domicile du célèbre homme d’affaires Kerfalla Person Camara (KPC), où Habib devait se rendre. Son pare-brise a été fracassé et il a été arraché  de sa voiture, assommé à coups de matraque avant d’être emmené vers une destination inconnue. Depuis ce jour, il demeure introuvable et sans aucun signe de vie.

Sur son site d’information, Habib avait publié un article courageux, révélant qu’après une enquête approfondie, il y avait eu 156 morts lors de l’évènement tragique au stade de N’Zérékoré. Il dénoncait ferment la responsabilité des forces de l’ordre et de sécurité. Le bilan officiel des autorités guinéennes faisait état de 56 morts.

Le drame du  « stade du 3 avril »

Le stade du 3 avril de N’Zérékoré, où s’est produite la tragédie du 1 décembre 2024, est un stade vétuste dont la capacité d’accueil a été largement dépassée lors de la finale du Tournoi de la refondation en l’honneur du chef de l’État, le Général Mamadi Doumbouya. Des milliers de personnes étaient présentes, rendant le stade archi-comble au-delà de ses capacités d’accueil, selon un rapport indépendant. La surpopulation a été un facteur aggravant dans le déclenchement de la bousculade meurtrière.Le drame a débuté après une décision arbitrale contestée, provoquant la colère de supporters et des jets de pierre. Les forces de sécurité sont alors intervenues en lançant des gaz lacrymogènes à l’intérieur même du stade, officiellement pour faciliter la sortie de certains ministres présents.

Les forces de l’ordre sont accusées d’avoir aggravé la situation sans prendre en compte les risques pour la sécurité des spectateurs.

Plusieurs témoins et victimes affirment que si les policiers n’avaient pas utilisé de gaz lacrymogène, le bilan humain aurait été bien moins lourd. Amnesty international souligne que le gaz lacrymogène aurait dû être utilisé en dernier recours, ce qui n’a pas été le cas selon de nombreux témoignages.

Dans les semaines qui ont précédé le kidnapping, le journaliste Habib Marouane Camara, avait alerté l’opinion publique sur les menaces grandissantes pesant sur lui. Son cas illustre de manière poignante les risques énormes auxquels sont confrontés tous les journalistes déterminés à exposer la corruption endémique et à dénoncer sans relâche le régime militaire. Sa disparition forcée s’inscrit tristement dans une série inquiétante d’enlèvements ciblant des figures essentielles de la société civile, comme Oumar Sylla, Mamadou Billo Bah, du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) ou encore l’ex-secrétaire général du ministère des Mines, Saadou Nimaga.

 

Toumany Camara suspendu pour « injure et diffamation »

 

Ce 28 avril 2025, Boubacar Yacine Diallo, le président la Haute Autorité de la Communication (HAC) a suspendu le journaliste Toumany Camara, administrateur général du site d’information « Presse Investigation » pour trois mois. Le motif ? « Injure et diffamation » envers Aïssata Béavogui, directrice de la société minière Predictive Discovery, suite à un article alertant sur les risques environnementaux liés à un projet d’exploitation aurifère dans une zone protégée du parc national du Haut-Niger.

 

Cette sanction, tombée à la veille de la Journée mondiale de la liberté de la presse, est dénoncée comme « injuste, arbitraire et dangereuse » par le Syndicat des professionnels de la presse de Guinée (SPPG). Selon Sékou Jamal Pendessa, secrétaire général du syndicat, l’article incriminé ne contient ni injures, ni diffamation, « mais relève de l’utilité publique en alertant sur des menaces écologiques majeures. » Il rappelle que la loi guinéenne ne prévoit la suspension d’un média ou d’un journaliste pour diffamation que dans de très rares cas, « ce qui n’est absolument pas le cas ici. »

 

Contacté par Guinée360.com ce mardi 29 avril 2025, Toumany Camara, est revenu sur l’article incriminé par la HAC, tout en accusant l’institution « de faire preuve de partialité en faveur de la plaignante » et « de rendre une décision hâtive qui ouvre la voie aux prédateurs de la liberté de la presse et qui porte une atteinte grave à la liberté de la presse en Guinée. Et c’est vraiment déplorable. »

Le journaliste affirme avoir voulu alerter les autorités sur la démarche de la société minière, qui sollicite un permis d’exploitation d’or dans une zone protégée, tout en essayant de comprendre « comment elle va faire de l’exploitation dans cette zone, sans porter préjudice à l’environnement. »

 

Toumany Camara révèle avec conviction que la HAC lui a expressément demandé, suite à cette affaire, de rédiger un article de démenti ou de présenter des excuses à la plaignante. Selon lui, c’est ce refus de céder aux exigences qui a conduit à sa suspension ainsi qu’à celle de son média. Il insiste : « Dans cette affaire, la HAC doit privilégier l’intérêt général. Il ne s’agit pas d’une attaque contre les journalistes ou le site, mais bien d’un enjeu crucial pour l’intérêt collectif, car cet article met en lumière la menace pesant sur un parc national. »