Quel avenir pour le journalisme en Syrie post Bachar al Assad ?

Après l'attaque du 8 décembre 2024 en Syrie, le monde assiste à la transformation du pays par le nouveau régime au pouvoir, dirigé par Ahmed al-Charaa. La manière de faire du journalisme n'y échappe pas.
La Syrie est restée 55 ans sous la dictature al Assad, avec d’abord le père, Hafel, puis son fils, Bachar. Le régime était plus qu’autoritaire, avec un recours à la violence quasi systématique. Concernant les médias, ceux-ci étaient contrôlés et surveillés. Le régime empêchait toute forme d’expression libre, « Ils étaient à la botte du régime, ils promouvaient la violence extrême de celui-ci, » explique Hamza Esmili, anthropologue travaillant sur la révolution syrienne depuis une dizaine d’années.
« Il ne fallait écrire que du bien du régime. Si on écrivait contre, on pouvait se faire tuer. »
Ceci est confirmé par Ibrahim Mahfoud, journaliste syrien exilé en Belgique et par la 179e place sur 180 au classement mondial de la liberté de la presse : les médias syriens relayaient la propagande de l’État. Pour Ibrahim Mahfoud, les journalistes qui soutenaient Bachar al Assad étaient payés pour promouvoir le régime.
Avec cette fermeture totale de l’expression publique, les journalistes syriens se sont majoritairement exilés, exerçant leur métier de loin. « Huit millions de Syriens vivent à l’étranger, huit millions sont partis dans une zone au nord de la Syrie, non contrôlée par Bachar al Assad et huit millions sont restés, » précise Hamza Esmili.
Pour aider ces journalistes exilés, la Fédération internationale des journalistes (FIJ) a décidé d’accepter comme membres un syndicat syrien, basé à Damas, et par la même occasion une association de journalistes syriens exilés, installée à Paris. « La question pour la FIJ, c’était de préparer l’avenir, préparer l’après Bachar al Assad, avoir une présence de notre fédération sur place dès 2017 pour ne pas découvrir un monde qu’on ne connaissait pas », explique Anthony Bellanger, secrétaire général de la FIJ.
En effet, depuis 2017, de grosses révolutions ont lieu dans le pays. Il y avait donc une nécessité d’être présent sur place, pour soutenir les journalistes qui travaillaient là-bas, en plus de préparer l’avenir. » Bien sûr qu’il ne fallait pas se montrer hostile envers le régime. Il y avait une ligne de conduite et si on la respectait, on n’évitait les problèmes », continue le secrétaire général.
L’attaque du 8 décembre et ses conséquences
C’est Hayat Tahrir Al-Cham, un groupe d’islamistes radicaux avec Ahmed al-Charaa à sa tête, accompagné d’autres rebelles qui ont déchu le régime de Bachar al Assad. Depuis, le pays est en transition. Pour Hamza Esmili, il y a « un règne du flou artistique. Il n’y a pas de structure, théoriquement tout le monde peut faire ce qu’il veut, il n’y a pas de répression. » Il ajoute : « Mais il y a un code moral avec des valeurs fortes en Syrie, ce qui permet de garder l’ordre.«
Concernant le métier de journaliste, le nouveau régime semble sur la voie d’une démocratie. Le groupuscule au pouvoir a rapidement pris contact avec la FIJ, et selon Anthony Bellanger, « la discussion a été plus facile que sous Bachar al Assad. » Néanmoins, le secrétaire général reste prudent face à l’avenir. Il s’inquiète du nombre de journalistes qui reviennent en Syrie, alors que ceux-ci étaient majoritairement sur la liste noire de l’ancien régime, mais aussi sur celle du nouveau.
« Je conseille d’attendre avant de rentrer et surtout de ne pas avancer seul, mais avec la FIJ. […] D’avancer avec prudence. »
Les médias ont d’abord été fermés par le nouveau régime pour écarter les personnes qui travaillaient sous Bachar al Assad. Ensuite, ils ont été rouverts avec des membres du nouveau régime à leurs têtes, explique Anthony Bellanger. Il estime que ce sont toujours des médias d’Etat.
Le secrétaire général de la FIJ exprime de gros doutes sur l’avenir, car les médias ont historiquement toujours été liés au pouvoir.
La situation du point de vue d’un journaliste exilé
Ibrahim Mahfoud est journaliste depuis 17 ans, exilé de Syrie depuis dix ans et en Belgique depuis quatre années. Il a été blacklisté sous le régime de Bachar al Assad parce qu’il avait des relations avec des médias internationaux. Mais aussi parce qu’il ne couvrait pas l’actualité comme le régime en place le souhaitait.
« Je n’aime pas le nouveau gouvernement, mais jusqu’à présent, il se comporte comme une démocratie. »
Ibrahim Mahfoud aimerait retourner en Syrie car il a entendu parlé de plusieurs offres d’emploi pour une télé syrienne et Arabic TV. Mais la vraie raison est de revoir sa famille.
Il a malheureusement dû changer ses plans récemment. Effectivement, sous les conseils de ses proches et pour des questions de sécurité, il préfère rester en Belgique encore quelques mois. Il veut observer et analyser l’évolution de la situation avant de rentrer auprès de ceux qu’il n’a pas vus depuis 10 ans.
Cependant, il reste agréablement surpris du nouveau régime pour le moment. Il estime qu’il y a du positif et il garde espoir, car il sait que les Syriens ne veulent plus de dictature.
Note : cet article a été rédigé par des étudiant.es du Master 2 en journalisme de l’ULB sous la coordination d’Alexandre Niyungeko et Lailuma Sadid.