Ruyigi : des « femmes solaires » illuminent la région
Dans la province de Ruyigi à 150 km de Bujumbura, le long des frontières du Burundi avec la Tanzanie, la pauvreté et le chômage y sont endémiques. Soixante pour cent de la population est au chômage et la majeure partie de la population vit avec moins de 300 dollars par an. Ce qui accroit leur vulnérabilité. Des femmes veuves consécutivement aux différentes crises qu’a connues le Burundi tentent de donner accès à l’électricité à l’aide de micro réseaux électriques hybrides autonomes qui utilisent l’énergie solaire photovoltaïque.
Elles ont 35-50 ans et traversent régulièrement les frontières pour importer des kits solaires tels que des lampes, des téléviseurs ou des panneaux solaires importés de Tanzanie. C’est le cas du village de Nyarumuri, dans la commune de Nyabitsinda, au coeur de la province de Ruyigi, à 10 kilomètres de la frontière tanzanienne.
Nyarumuri est située dans l’une des régions les plus reculées du pays. Pour atteindre Nyarumuri, les visiteurs doivent parcourir environ 45 kilomètres depuis la capitale de la province de Ruyigi, elle-même située à 50 kilomètres de la capitale burundaise, Gitega. Ce village n’est pas connecté au réseau électrique, mais grâce aux efforts des femmes importatrices de produits solaires, plus de 60 % des habitants ont accès à l’électricité.
Aline Kabura, une habitante de 40 ans, veuve d’un ancien militaire de l’armée régulière mort au front en 2001, fait partie de ces femmes transfrontalières.
Chaque jour à 5 heures du matin, cette maman de trois enfants qu’elle élevé seule, traverse la frontière tanzanienne jusqu’au marché de Mahazo sur la colline de Nyakayenzi. Elle doit marcher environ 2 heures pour y accéder.
« Vous pouvez gagner jusqu’à 50.000 BIF car nos produits solaires sont très demandés. »
Jeannette 45 ans, veuve d’un ancien rebelle du Cndd-Fddd mort au front en 1999, habite aussi la zone de Nyarumuri. Elle va acheter des produits solaires en Tanzanie et dépense 22.000 francs burundais (BIF) (environ 10,76 dollars) pour se rendre à la frontière. Pour atteindre sa destination finale, elle marchera encore 3 heures.
Elle achète des produits solaires pour 20.000 shillings tanzaniens (environ 30 mille BIF ou 9 USD). « En arrivant au Burundi, vous pouvez gagner jusqu’à 50.000 BIF (23,75 USD) car nos produits solaires sont très demandés dans les villages. »
Entrer dans le future
Micheline, une institutrice de 44 ans, se souvient des nombreux problèmes rencontrés par ses enfants à cause du manque d’électricité: « Grâce à la vente de lampes solaires, la localité de Nyarumuri est entrée dans le futur. »
Selon elle, avant de pouvoir acheter ces lampes, ses enfants devaient réviser leurs devoirs dans le noir, avec pour seule lumière une flamme de cuisine ou une lampe à pétrole traditionnelle, les yeux piqués par la fumée.
»Nous nous sommes demandé comment lutter contre l’échec scolaire et améliorer les conditions de nos élèves dans notre village, mais sans succès. Le seul moyen était l’électricité », confie-t-elle.
Ainsi, il y a six mois, grâce aux femmes qui font le commerce transfrontalier de produits solaires, Micheline a reçu sa première lampe, un panneau solaire et une batterie rechargeable.
« Je n’aurais jamais imaginé que ça fonctionnerait aussi bien. »
« Dans notre localité, je n’aurais jamais imaginé que ça fonctionnerait aussi bien. Aujourd’hui ,ma maison et celles des voisins sont bien éclairées », raconte encore cette mère de quatre enfants.
Depuis début 2023, près de 5.000 lampes solaires ont été vendues par les femmes qui apportent leurs produits aux ménages de la commune de Nyabitsinda, de l’autre côté de la frontière, y compris aux villages les plus reculés de la province de Ruyigi.
Lutter contre le chômage
Mais l’énergie solaire permet aussi de lutter contre le chômage des jeunes de la région.
Alberic Mahoro, 35 ans, est marié et père de trois enfants. Depuis l’arrivée des panneaux solaires sur la colline de Rutema, dans la zone de Muhwazi, il a pu ouvrir son salon de coiffure.
L’homme est connu dans la communauté car il travaille comme coiffeur au marché de Muhwazi depuis 2017. Avant cela, Blaise, comme on le surnomme ici, travaillait pour un autre salon très éloigné de chez lui. Il a d’abord demandé de l’aide à ses amis pour acheter du matériel solaire afin d’ouvrir son salon.
« C’est avec ce petit travail que j’arrive à nourrir ma famille. »
« Je me sens très à l’aise. Par exemple, le jour du marché, quand je coiffe beaucoup de monde, je rentre à la maison avec 10.000 francs (environ 2,45-2,93 USD). C’est avec ce petit travail que j’arrive à nourrir ma famille. »
Alberic, tient désormais un salon près du marché. Ce qui lui permet de payer progressivement son panneau solaire acheté à crédit auprès d’Adelina, veuve d’un ancien rebelle, qui importe aussi ces produits de Tanzanie. Chaque semaine, le coiffeur lui verse 20.000 francs (4,90 USD).
Alberic nettoie les rasoirs électriques dans son atelier sous l’œil vigilant d’un groupe de jeunes venus apprendre la coiffure, tandis que les clients profitent de la musique, de la climatisation et de la recharge gratuite de leur téléphone portable. Sinon, pour les voisins qui ne viennent pas se faire coiffer, recharger un téléphone leur coûte mille francs (environ 0,05 USD).
Voler de leurs propres ailes
Alors que le problème de l’emploi se pose avec plus d’acuité dans cette localité proche de la frontière avec la Tanzanie, Alberic accompagne les jeunes qui souhaitent créer leur propre salon.
» À l’issue d’une formation courte, j’accompagne ces jeunes dans la création de leur salon pour qu’ils puissent voler de leurs propres ailes. Et c’est grâce à ces femmes qui font du commerce transfrontalier que cela est possible », se réjouit il.
Au marché de Muhwazi, seul centre urbain de la localité, Alberic supervise au total quatre salons de coiffure tenus par de jeunes apprentis.
« Tous ces coiffeurs sont ici grâce au commerce transfrontalier des femmes », explique-t-il.
La télévision solaire pour tous
À Nyarumuri, dans son salon, Aline Ndayikeje a les yeux rivés sur l’écran de son téléviseur. Cette dame âgée est bien connue dans les environs précisément grâce à sa télévision. D’autant que le réseau électrique le plus proche se trouve à environ 60 km de son domicile.
Elle raconte que lorsque les premiers kits ont commencé à être vendus à moindre coût, elle n’a pas hésité une seule minute et a immédiatement sauté sur l’occasion puisque, selon elle, « la télévision solaire est une solution accessible à tous pour suivre l’actualité au quotidien. Avant que ces femmes n’importent des produits solaires, personne n’avait acquis de télévision dans la localité, c’était impensable. Moi-même, je n’avais jamais cru qu’un jour j’en posséderais une. »
« La nuit, elle me sert aussi à éclairer la maison. »
Elle a d’ailleurs dû faire des économies et avoue que ses frères qui habitent en ville l’admirent, elle, la « simple agricultrice, pour cette acquisition. De plus, toujours selon elle, le téléviseur solaire s’allume en cas de faible ensoleillement et même par mauvais temps: « Et la nuit, ajoute-t-elle, tout sourire, elle me sert aussi à éclairer la maison. »
La télévision solaire d’Aline est l’un des premiers lots vendus par les femmes qui font du commerce transfrontalier. Petit à petit, l’apparition de ces téléviseurs a également eu un impact positif sur l’éducation des jeunes des villages bénéficiaires. « Grâce à la télévision solaire, mes enfants ont une grande culture générale », s’enthousiasme encore madame Ndayikeze, dans un pays où seule une personne sur dix a accès a l’électricité.
Mulagarazi, « Traffic River »
Plus proche, le poste frontière de Camazi est situé à l’extrême est de la frontière avec la Tanzanie, presque à cheval sur les deux pays. Malgré la situation sécuritaire précaire due au banditisme, la vie à Camazi suit une routine quotidienne, offrant une mine d’or aux femmes qui importent les produits solaires pour éclairer les villages burundais.
Bien que seulement 60 kilomètres séparent Camazi, au Burundi, de la ville tanzanienne de Kigoma, le voyage est épuisant. Gatumba, zone éponyme servant de passage pour la Tanzanie, est la dernière grande agglomération burundaise.
Parmi les incontournables de Camazi, la rivière Mulagarazi est surnommée « Traffic River » en raison du commerce transfrontalier de marchandises souterraines ou du marché noir. Cette rivière est aussi une aubaine pour le commerce de produits solaires. Ses « profondeurs troubles » font vivre plusieurs femmes de Camazi et permettent d’éclairer de nombreux villages burundais isolés et non connectés au réseau électrique national.
« Je contribue à promouvoir l’excellence grâce à ce commerce. »
« Nous faisons ce commerce sous terre, c’est notre gagne-pain. Cela fait vivre nos familles et désenclave nos villages. L’électricité est un signe de développement », raconte Carine, 40 ans, veuve d’un ancien rebelle. Elle, elle vend principalement des lampes de poche solaires. Chaque matin, sac à la main, elle pilote son petit bateau sur les eaux boueuses de Mulagarazi pour s’approvisionner en kits solaires qu’elle vendra ensuite aux villageois burundais. « Je contribue à promouvoir l’excellence grâce à ce commerce », confie de son côté Yvonne, très satisfaite de son activité qui lui permet de nourrir toute sa famille.
Un commerce de plus en plus florissant dont l’impact positif sur la vie des populations rurales est applaudi des deux mains par les bénéficiaires.