Rwanda-Burundi : quand les créateurs de contenus attisent la haine en ligne

Pour la première fois dans l’histoire, les réseaux sociaux ont été massivement utilisés dans un conflit opposant le Burundi au Rwanda. Alors que les relations entre les deux pays se sont encore dégradées ces derniers mois sur fond du conflit à l’est de la République Démocratique du Congo (RDC). Des messages de haine ont été diffusés sur les réseaux sociaux, sous l’œil tolérant ou complice des autorités. Tandis que les autorités politiques semblent fermer les yeux, les observateurs tirent la sonnette d’alarme.
Dans le monde d’aujourd’hui, les réseaux sociaux occupent une place de choix dans la polarisation des sociétés et des peuples. Des créateurs de contenus se sont transformés en une véritable armée à part dans le conflit en cours dans l’est de la RDC qui implique le Rwanda et le Burundi.
Des contenus offensifs parfois chargés de haines ethniques ont été relayés sur la toile pendant de longs mois. Non censurés par les plateformes numériques, ces discours de haine ravivent les tensions et peuvent fragiliser les rapports sociaux dans les pays où les démons de l’ethnisme restent toujours éveillés.
Les auteurs des propos haineux sur différentes plateformes numériques ont des profils variés. Nous distinguons des créateurs aux profils connus et ceux qui préfèrent se dissimuler derrière des comptes anonymes pour cracher librement leur venin.
Les trolls s’organisent
Bien qu’il reste difficile d’en déterminer l’effectif, ils sont nombreux les utilisateurs des réseaux sociaux à diffuser des contenus haineux derrière des comptes anonymes. Murundi ca akenge, une page Facebook créé en 2023 et devenu très active au cours du conflit actuel entre le Rwanda et le Burundi, diffuse régulièrement des messages de haine ethnique violents visiblement destinés à diviser le peuple rwandais. Se réclamant d’appartenance à la ligue des jeunes Imbonerakure affiliée au parti au pouvoir au Burundi, cette page n’a jamais été visée par les officiels burundais ou reniée par ce parti.
La page « Patriote » gérée par un utilisateur anonyme sur Facebook diffuse les discours de la haine de la manière la plus décomplexée. Ce créateur de contenus politiques est également présent sur X (ex-Twitter) où il comptabilise à peu près 12.200 abonnés. Sous les couleurs du parti au pouvoir, il a été activement impliqué dans la campagne de haine ethnique ces derniers mois.
Le 25 avril dernier, il publie sur son compte X une vidéo longue de 2m59, où des motards rwandais se plaignent contre des mesures sécuritaires qu’ils jugent trop dures et injustes. L’utilisateur de ce compte profite pour propager la haine : « Il y a un Rwandais avec qui je me suis entretenu et qui m’a parlé des galères de nos frères Hutu du Rwanda », a-t-il commenté. Et d’ajouter : « Ce confrère m’a confié qu’au Rwanda, 99% des motards sont des Hutus ». En un moi, ce poste a été visionné plus de 10.000 fois.
De l’huile sur le feu
Les créateurs de contenus connus ne sont pas en reste dans cette saga d’insulte et de propos haineux. Certains des visages connus des réseaux sociaux au Burundi et au Rwanda se sont montrés actifs dans cette polémique qui a embrasé les réseaux. En février, Landry Irafasha, un jeune actif sur les réseaux sociaux connu sous le sobriquet de Landry Promoter sur Facebook a appellé à l’utilisation des réseaux pour défendre le président burundais : « Si tu vois des personnes qui insultent notre président, écris, toi aussi, pour leur répondre », a-t-il lancé dans une brève vidéo publiée sur sa page Facebook.
Les propos ne font pas que défendre la fierté nationale comme le prétendent certains créateurs de contenus qui essaient d’entretenir le flou. Des internautes lâchent des commentaires chargés de haine et qui témoignent d’une certaine radicalisation basée sur l’ethnisme.
Des victimes ne manquent pas
Dans cette croisade, certains influenceurs affirment avoir été des cibles d’intimidation et de pression. Dans une vidéo de 25 minutes Hosy Irakoze, propriétaire d’une chaîne de télévision en ligne Siren Vibes, a alerté l’opinion sur les conspirations portées sur sa personne. Des individus qu’elle ne nomme pas l’auraient accusée d’être une espionne pour les services de renseignement rwandais car elle aurait refusé de “défendre” le régime de Gitega sur ses plateformes numériques. « Vous cherchez à me faire tuer », lance la jeune femme dans une vidéo de 60 secondes postée sur son compte twitter. Cette dernière rappelle qu’elle a des parents des deux côtés et qu’elle ne pourrait jamais haïr l’un des pays auxquels elle doit ses racines.
« C’est étonnant de constater à quel niveau certaines personnes sont atteintes du virus de l’ethnisme. »
Contactée, une autre jeune influenceuse burundaise très en vue sur les réseaux sociaux affirme avoir fait face a une pluie de messages l’accusant de trahir la patrie pour avoir refusé de relayer des propos diffamatoires contre les autorités rwandaises. « Des fans m’ont envoyé des messages insultant sur fond ethnique me pressant d’insulter les Rwandais », a-t-elle confié, avant d’ajouter qu’elle a bloqué un certain nombre de ses followers. Amenée à préciser le sens des messages reçus, elle a feint d’en donner les détails. « Je ne peux pas donner tous les détails. Cependant, c’est étonnant de constater à quel niveau certaines personnes sont atteintes du virus de l’ethnisme », fait-t-elle remarquer.
Complicités étatiques ?
Les propos ambigus tenus par les autorités respectives des deux pays laissent entrevoir leur main derrière ces messages offensifs qui déferlent sur les réseaux sociaux. Sans les nommer, Dr Thierry Murangira, porte-parole du Bureau d’Investigation (RIB) du Rwanda s’en est pris à des « personnes qui ont une grande influence sur les réseaux sociaux », mais qui préfèrent le silence.
Ces déclarations d’une grande personnalité sonnent comme une sorte de pression sur les grands artistes et influenceurs rwandais qui ont préféré de ne pas participer à cette agression verbale. « C’est de la lâcheté. Tu ne peux pas dire que tu profites des opportunités de ce pays parce qu’il y a des gens qui ont tout donné et te taire quand il est temps d’affronter le mal », a expliqué Dr Murangira au micro de CHiTA MAGiC, une des chaînes YouTube les plus suivies au Rwanda avec plus de 673.000 abonnées.
Ce n’est pas qu’au Rwanda que les autorités incitent ouvertement les créateurs de contenus et les influenceurs à participer à ce conflit via une guerre médiatique. Dans une vidéo publiée par Mashariki TV puis reprise par un certain Simbizi Wa Semavumba très actif dans cette polémique, les propos de Baratuza, porte-parole de l’armée burundaise laissent entendre que les autorités burundaises seraient derrière les provocateurs anti-rwandais en ligne: « Vous savez ce qui s’est passé ces jours alors qu’on a été obligé de calmer la situation », a-t-il affirmé avant d’ajouter : « Je remercie ceux qui ont été des ‘’patriotes’’ et je fustige ceux qui ont voulu aider l’ennemi.»
Si les autorités veulent utiliser les créateurs de contenus dans ce conflit, ils savent très bien qu’ils ouvrent le ring pour un combat dangereux.
Tirer la sonnette d’alarme
Pour Me Armel Niyongere, homme de droit et une de grandes figures engagées dans la défense des droits humains, le problème est réel : « Ce que nous voyons aujourd’hui sur les réseaux sociaux entre le Rwanda et le Burundi n’est pas anodin », indique-t-il. Niyongere rappelle que les génocides et les violences de masse ne commencent pas par des armes, mais par des mots : « Nous assistons à une montée préoccupante de discours qui rappellent, dans leur tonalité et leur logique, les mécanismes qui ont conduit au pire », alerte ce défenseur des droits humains qui considère qu’il s’agit d’un danger réel auquel il est urgent de faire face.
Pour lui, ce qui rend ce phénomène plus inquiétant est la (re)montée des discours de haine au niveau de toute la région des Grands Lacs. Et cela, sans inquiétude suffisante des acteurs susceptibles de réprimer ce genre de discours.
« On remarque que X est souvent utilisé pour propager la haine ethnique. »
Pour Bonaparte Sengabo, un jeune burundais très présent sur les réseaux sociaux, les plateformes constituent un canal de diffusion des messages de la haine au Burundi. Selon ce communicant expérimenté du journalisme, les réseaux sociaux sont le moyen le plus accessible et efficace pour attiser la haine. « J’ai suivi plusieurs débats trop toxiques sur X par exemple et on remarque que ce réseau est souvent utilisé pour propager la haine ethnique », lâche-t-il.
Pour lui, les réseaux sociaux sont devenus un espace « où prêcher la haine est permis. » Or, il s’avère que ce genre de contenus, par leur caractère polémique, s’attire la faveur de l’algorithme, ce qui fait qu’ils sont susceptibles de toucher un large public. Sengabo pense que les responsables politiques devraient mettre en place une plateforme de surveillance pour limiter la casse.
Les institutions pointées du doigt
Si les internautes n’hésitent pas à relayer librement des informations toxiques, la loi condamne ce genre de discours. « Les constitutions et les codes pénaux interdisent les appels à la haine, à la violence et à la division fondée sur l’ethnie, la religion ou d’autres considérations identitaires tant au Burundi qu’au Rwanda », avertit Sengabo.
« Il faut que la justice, dans nos pays, se montre indépendante, rigoureuse et cohérente. »
Pour lui, le problème réside dans la non-application de la loi. Trop souvent, l’impunité prédomine, surtout lorsque les auteurs sont proches du pouvoir.
« Il faut que la justice, dans nos pays, se montre indépendante, rigoureuse et cohérente, et qu’elle donne un signal fort : aucun discours de haine ne peut être toléré », insiste Me Armel Niyongere qui dénonce l’inaction de la justice. Poursuivant son propos sur un ton ferme, cet avocat engagé dans la défense des droits humains accuse les autorités d’adhérer tacitement et parfois expressément à l’idéologie de la haine. « Ceux qui, par leur position d’autorité, alimentent ou tolèrent les discours de haine, portent une lourde responsabilité morale, historique et juridique », lance-t-il.
Le passé comme leçon
Dans le passé récent, le Burundi et le Rwanda ont sombré dans une crise identitaire qui a abouti à un génocide des Tutsis au Rwanda.
Au Burundi, une guerre fratricide déclenchée par l’assassinat du président Melchior Ndadaye a endeuillé le pays pendant plus d’une décennie.
Avant le génocide rwandais, les médias de haines ont nourri la division et renforcé les stéréotypes.
Aujourd’hui, l’internet permet à quiconque de diffuser des informations et d’atteindre des millions de personnes en un laps de temps très court. Le laisser-aller, l’impunité voire l’encouragement de diffusion des discours de haine en ligne est dangereux pour les deux peuples dont les cicatrices laissées par les crises antérieures sont encore fraîches.