Rwanda : plus de 135.000 réfugiés « affamés » par l’ONU
Au Rwanda, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés et le Programme alimentaire mondial viennent de réduire considérablement l’aide accordée à plus de 135.000 réfugiés. Ces derniers y voient, notamment, une forme de retour forcé.
Jacqueline N. est une réfugiée burundaise. Depuis septembre 2015, elle vit au camp de Mahama, situé dans l’Est du Rwanda. Le 13 novembre dernier, elle a été surprise de découvrir le montant de l’aide qu’elle reçoit.
« Je viens de toucher 4.250 francs rwandais (3,13 euros) que je dois dépenser pour acheter de la nourriture, des combustibles et d’autres besoins vitaux pour tout le mois. Cette somme ne couvrira même pas deux semaines de ces besoins. D’autant que le prix des denrées alimentaires a augmenté au petit marché du camp. C’est une mort douce ! », raconte-t-elle, désespérée.
Jacqueline a cinq enfants à charge. Elle est classée dans la catégorie des réfugiés de second degré, à savoir ceux qui sont considérés comme « relativement moins vulnérables ».
« Comment vais-je pouvoir vivre avec 8.500 francs rwandais (6,27 euros) pour tout un mois et avec mes trois enfants ? »
Sa souffrance, elle la partage avec Béatrice. Cette dernière a récemment fui les combats intenses dans sa province du Nord-Kivu, à l’Est de la République démocratique du Congo. Elles sont installées dans un même camp mixte qui abritent plus de 62.400 démunis.
Béatrice n’en revient pas. « À peine arrivée en exil avec toute ma famille, voilà la façon dont nous sommes reçus. Avec une diminution considérable de la ration mensuelle. Comment vais-je pouvoir vivre avec 8.500 francs rwandais (6.27 euros) pour tout un mois et avec mes trois enfants ? », se désole-t-elle, comme d’autres réfugiés.
D’après l’agence des Nations Unies pour les réfugiés (le HCR) et le Programme Alimentaire Mondial (PAM) qui s’occupent des réfugiés au Rwanda, à partir du mois de novembre 2023, l’aide alimentaire allouée aux réfugiés a été « considérablement coupée », comme l’explique Lilly Carlisle, chargée de Communications et des relations extérieures au sein du HCR-Rwanda, dans un communiqué.
En effet, des réfugiés qui recevaient 10.000 francs rwandais (7,59 euros) par mois et par tête percevront désormais 8.500 francs rwandais (6,45 euros), et ceux qui recevaient 5.000 francs rwandais (5 euros) auront une somme 4.250 francs (3,13 euros), la première catégorie étant considérée comme la plus démunie.
Selon le HCR et le PAM, cette réduction ne s’appliquera pas à l’assistance accordée aux réfugiés dans le cadre du programme spécial de nutrition (des malades) et aux jeunes étudiants.
« Une mort douce et lente »
« L’autre assistance coupée comprend l’aide en espèces pour les articles non-alimentaires, ainsi que l’aide en espèces pour l’énergie et le gaz combustible aux réfugiés vivant dans les camps. Les orientations et transferts des malades nécessiteux vers les services de santé en dehors des camps sont limités aux cas d’urgence uniquement », détaillent le HCR et le PAM.
Cette décision devrait affecter la vie de plus 135.700 réfugiés et demandeurs d’asile (derniers chiffres du 30 octobre 2023) que compte le Rwanda.
De nombreuses voix s’élèvent suite à cette décision. « C’est une mesure extrêmement mal accueillie et qui entraînera de multiples conséquences au camp. La criminalité va augmenter, les maladies chroniques liées à la malnutrition vont croître, sans compter les abandons scolaires. Les femmes vont devoir accoucher à la maison car les transferts de cas d’urgence qui restaient sont presque supprimés », décrit Jean Bosco Kwibishatse, un des représentants des réfugiés, au camp de Mahama.
« La mort par la faim est pire que celle par balle ! »
« C’est comme si on nous annonçait une mort douce et lente, car on n’a plus d’autres moyens. Si on ne nous fournit pas des gaz combustibles comme d’habitude, par exemple, où allons-nous les trouver alors que les environnementalistes nous interdisent d’aller chercher du bois de chauffage dans les forêts et réserves naturelles ? », laissent entendre des réfugiés burundais, qui qualifient ces coupes de « violation de leurs droits de protection ».
« C’est aussi un signal, pour nous, en phase de rapatriement pour nous contraindre au retour forcé. En Tanzanie, voisine du Rwanda, la menace et les contraintes pour forcer les réfugiés burundais à rentrer sont ouvertes, mais ici ces manœuvres semblent être déguisées et dures car la mort par la faim est pire que celle par balle ! », estiment des Burundais.
Baisse des budgets
« Ces réductions sont dues à une diminution significative des ressources affectées à l’aide aux réfugiés », indiquent le HCR et le PAM ajoutant n’avoir « reçu que 37% du budget attendu en 2023 ». Ce qui les empêche « de continuer au même rythme », expliquent-ils.
Les deux agences recommandent aux réfugiés de se tourner vers d’autres sources de revenus. « Les réfugiés sont encouragés à trouver des opportunités d’emploi et à s’engager dans des activités de subsistance pour devenir autonomes et profiter des différentes initiatives mises en place par le gouvernement pour aider les réfugiés », insistent le HCR et le PAM.
« Nous sommes en phase d’accompagnement des réfugiés pour qu’ils atteignent le degré d’autosuffisance. »
Même son de cloche du côté du gouvernement et de la personne en charge des questions des réfugiés au sein du ministère rwandais de la gestion des catastrophes : Gonzague Karagire. « Nous sommes en phase d’accompagnement des réfugiés pour qu’ils atteignent le degré d’autosuffisance. Ils ne doivent pas toujours attendre des aides pour survivre. Nous avons plusieurs projets dans ce sens pour leur accorder des crédits sans ou à faibles intérêts, ce qui leur permettra de faire du business, du petit commerce ou encore d’autres activités agricoles », a-t-il dit.
Le ministère a déclaré que les services de base devraient continuer à être pourvus.
« Les réfugiés accueillis au Rwanda ne doivent pas être oubliés à la lumière du nombre croissant de conflits et de crises dans le monde », a déclaré de sa part Philippe Habinshuti, secrétaire permanent au ministère en charge des réfugiés. Et d’ajouter : « Les services de base comme l’alimentation, les services de santé, l’énergie pour la cuisine et le soutien aux étudiants fréquentant les établissements scolaires à régime d’internat sont très sensibles et ne devraient pas faire partie des réductions », a-t-il mentionné.
Le Rwanda abrite plus de 135.000 réfugiés, dont plus de 84.800 d’origine congolaise et plus de 50.100 Burundais, selon les données du HCR du 30 octobre dernier.
Plus de 90% vivent dans six camps. Mahama situé dans le district de Kirehe à l’Est du Rwanda, Nyabiheke installé dans le district de Gicumbi au Nord du pays, Kiziba et Nkamira établis dans les districts de Karongi et Rubavu à l’Ouest du Rwanda, ainsi que Kigeme et Mugombwa situés respectivement dans les districts de Nyamagabe et Gisagara au Sud du pays.