Séisme : comment le régime d’Assad a aggravé la souffrance des victimes
Refus des aides, vols de matériel humanitaires, arrestations : dans le nord-ouest de la Syrie, les intérêts du pouvoir ont dominé ceux du peuple sous les décombres.
« La peur tue la douleur. C’est exactement ce qui m’est arrivé. Mon cœur est fatigué, mes pieds sont enflés, j’ai des crampes au cou et la fatigue de 72 ans a disparu en un instant. Malgré toutes les douleurs dont je souffrais, j’ai pu me lever et courir à 200 mètres de la maison, en portant ma petite-fille. C’est arrivé quand j’ai entendu le bruit de la terre. Oui, la terre a un son plus effrayant qu’autre chose. »
« C’est arrivé quand j’ai entendu le bruit de la terre. »
C’est ainsi qu’Umm Asaad, une rescapée, a décrit le moment du tremblement de terre dévastateur qui a frappé la Turquie et la Syrie le 6 février 2023. Avec une force de 7,6 Richter, il a fait des milliers de victimes et détruit des milliers de maisons. Um Asaad vit dans un village syrien où elle n’a pas le droit de se plaindre et de revendiquer ses droits. Juste celui de mourir en silence.
Des zones abandonnées
« La tragédie du tremblement de terre a révélé à quel point les droits de l’homme ont été violés en Syrie depuis plus de 10 ans, comme si les habitants du nord-ouest du pays n’étaient pas considérés comme des êtres humains, laissés seuls face à leur sort. » Survivant du séïsme, le journaliste syrien Abd Kuntar ajoute : « Malgré tous les appels de la population du nord de la Syrie, des organisations civiles et des médias, quatre jours après le séisme, aucune forme d’aide n’était entrée dans la région, ce qui aurait permis de réduire l’ampleur de la catastrophe. »
« Nous espérons toujours éveiller la conscience des amis du peuple syrien. »
Ses propos sont confirmés par le nombre des victimes du tremblement de terre. Faute de matériel lourd et de soutien logistique, ce nombre a doublé, surtout si l’on tient compte des nombreux points dévastés par le séisme, et du manque d’expérience pour faire face à ces urgences. Des militants ont annoncé le 10 février l’entrée de camions transportant du matériel de secours d’urgence pour les victimes dans le nord-ouest de la Syrie, outre l’arrivée de sept médecins égyptiens et de trois experts techniques espagnols, tandis que le département d’État américain annonçait plus de 1.400 membres des équipes d’intervention d’urgence, venant de plus de 20 pays faisant partie de l’OTAN ou de ses partenaires. Ils ont commencé leurs activités dans les villes turques touchées, ce que le journaliste syrien a vécu comme une honte sur le plan humain. « Nous n’avons pas été surpris par cette négligence, car nous avons été témoins d’un échec international depuis le début de la révolution syrienne, mais nous espérons toujours éveiller la conscience des amis du peuple syrien, car ce qui nous tue, c’est de voir nos familles et nos proches sous les décombres. C’est la conscience endormie des nations. »
D’autre part, le chef de la Défense civile syrienne, Raed Al-Saleh, a déclaré après sa rencontre avec le sous-secrétaire général de l’ONU Martin Griffiths que « Les excuses de M. Griffiths pour les lacunes et les erreurs, et la reconnaissance de l’erreur sont le début de la bonne voie. Maintenant, les Nations Unies doivent travailler en dehors du Conseil de sécurité pour ouvrir trois points de passage et répondre à l’urgence dans le nord-ouest de la Syrie dès que possible. » M. Griffiths avait reconnu dans un tweet que l’organisation avait laissé tomber des gens dans le nord-ouest de la Syrie. « Ils ont raison de penser que nous les avons abandonnés. Il est de notre devoir de corriger ce manquement au plus vite », avait-il écrit.
Contrôler et voler les aides pour financer la guerre
Depuis le début de la guerre en Syrie, le régime de Bachar al-Assad reste la principale cause de souffrance du peuple syrien, tant dans les zones qu’il contrôle que dans celles qu’il ne contrôle pas. Au cours des huit premiers jours du tremblement de terre, le régime d’Assad a refusé de fournir une aide pour les passages frontaliers entre la Turquie et les zones touchées échappant à son contrôle, malgré le besoin urgent d’une telle aide. La ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Charlotte Alma Baerbock, s’en était inquiétée et avait appelé la Russie à faire pression sur les autorités syriennes pour permettre l’entrée de l’aide dans le nord de la Syrie.
« Le contrôle de ces ressources aura le plus grand impact sur la détermination du vainqueur de la guerre. »
Ce refus, par le régime, de permettre l’aide aux zones échappant à son contrôle est purement politique. Il s’agit pour le pouvoir de renforcer sa légitimité, explique l’avocat et chercheur dans le domaine des droits de l’homme, Eihab Abed Rabbo. « Il s’agit d’une politique menée par le régime d’Assad pour gagner la guerre qui dure depuis plus de onze ans. Alors que la valeur de l’aide qui est parvenue à la Syrie au cours des huit dernières années s’élevait à 30 milliards de dollars, de nombreux chercheurs universitaires pensent que le contrôle de ces ressources aura le plus grand impact sur la détermination du vainqueur de la guerre.”
Les déclarations du militant des droits de l’homme sont étayées par des rapports provenant des zones contrôlées par Assad touchées par le tremblement de terre, où des photos et des vidéos de militants et de civils ont commencé à documenter le vol de matériel humanitaire fourni aux victimes du tremblement de terre. Du matériel ensuite vendu sur le marché noir pour la moitié de sa valeur ou à des prix symboliques, profitant de la dégradation de la situation économique.
Ahmed (pseudonyme) est un habitant de la ville côtière de Jableh témoigne : « Les gens du Croissant-Rouge sont venus au stade de Jableh avec du matériel humanitaire. Puis ils l’ont photographié avec ceux qui étaient dans le stade, et immédiatement après cela, ils ont retiré ce matériel et ont dispersé les gens avec force. Après une courte période, le matériel humanitaire est apparu dans les boutiques privées… »
« En Syrie, les Nations Unies doivent travailler dans les conditions imposées par le gouvernement. »
L’affaire ne s’est pas limitée au vol public de matériel d’aide humanitaire dans les zones contrôlées par le régime d’Assad. Elle s’est également étendue à une campagne d’arrestations d’un certain nombre d’activistes et de civils qui ont participé à la dénonciation des vols. Parmi les détenus se trouve un militant appelé Moeen Ali, qui a lancé une initiative pour aider les victimes du séisme. Lorsqu’il a tenté d’apporter de l’aide à un hôpital, les responsables ont demandé de livrer l’aide au bâtiment du gouvernorat ou d’obtenir l’approbation de distribuer l’aide, ce que l’activiste a refusé. Il a ensuite raconté son histoire sur Facebook.
Ces détournements ne datent pas de la catastrophe de février dernier. En juin 2021, lors d’une interview au site CSIS (center for strategic & international studies), le Dr Carsten Wieland, diplomate allemand et conseiller principal pour le Moyen-Orient auprès du groupe parlementaire du Parti vert allemand, déclarait ceci : « En Syrie, les Nations Unies doivent travailler dans les conditions imposées par le gouvernement, et ces conditions sont très difficiles. L’ONU ne peut travailler qu’avec des partenaires ou des ONG qui relèvent du soi-disant « Syria Trust », dirigée par la femme de Bashar al-Assad. Il y a tout un système dans lequel le gouvernement syrien réinjecte l’argent dans sa propre machinerie, et finit ainsi aussi dans sa propre guerre. »