Tanzanie : quand le tigre sonne le glas de sa « tigritude »
Disparitions forcées, torture, retours forcés et intimidation. Accusée de malmener les réfugiés burundais, la Tanzanie a organisé en janvier dernier des séances de sensibilisation sur leurs droits. Mais les actes ne suivent pas.
Depuis 2015, la Tanzanie a accueilli les réfugiés burundais fuyant la crise née du 3e mandat controversé du président Pierre Nkurunziza à la tête du Burundi. Des organisations des droits de l’Homme ont toujours dénoncé ce qu’elles qualifient de violations des droits des réfugiés par la Tanzanie et l’insécurité dans les camps de la région de Kigoma, au nord-ouest de ce pays voisin du Burundi. Accusations que les autorités tanzaniennes ont toujours réfutées. Les mêmes autorités n’ont cessé d’appeler les réfugiés burundais à rentrer, arguant que le Burundi était paisible. Sudi Mwakibasi, directeur national en charge des réfugiés en Tanzanie a mis en garde les récalcitrants, selon le journal en ligne Infos Grands Lacs.
C’est dans ce contexte que la Tanzanie en collaboration avec le Haut-commissariat pour les réfugiés et l’organisation humanitaire Danish Refugee Council a organisé une campagne d’explication de la loi tanzanienne et de la loi régissant les réfugiés.
Espoir d’un lendemain meilleur
Dès l’annonce de cette semaine de sensibilisation, certains réfugiés ont poussé un ouf de soulagement. « C’est peut-être la fin du calvaire dans lequel nous vivons depuis des années« , a lancé André Nizigiyimana, un réfugié de Nduta
« La Tanzanie a finalement compris que nous avons des droits et qu’ils doivent être respectés. La police ne viendra plus ici au camp sans mandat pour arrêter des réfugiés, peut-être que nous allons enfin être à nouveau autorisés à utiliser des motos et vélos pour nous déplacer à l’intérieur du camp, à entretenir des jardins potagers et à faire du commerce pour survivre », s’est réjoui André.
L’ONG Human Rights Watch invite les autorités tanzaniennes à corriger le tir en matière de traitement des réfugiés. C’est l’une des organisations qui ont documenté des cas de violations des droits des réfugiés burundais dans ce pays d’Afrique de l’est.
« Nous appelons le gouvernement tanzanien à mettre en œuvre de manière urgente et impartiale des enquêtes sur les allégations selon lesquelles des réfugiés burundais ont été enlevés et torturés depuis le début de la crise en 2015 et s’assurer que les responsables soient traduits en justice », a déclaré Clémentine Montjoye, chercheuse au sein de la division Afrique de Human Rights Watch
En 2020, cette organisation a révélé des abus graves à l’endroit de 18 réfugiés et demandeurs d’asile burundais depuis la fin de l’année 2019. Selon Clémentine Montjoye, « La police et les services de renseignements tanzaniens ont fait disparaître de force, torturé et détenu arbitrairement au moins 11 Burundais pendant plusieurs semaines dans des conditions déplorables dans un poste de police de la région de Kigoma. Les autorités ont reconduit de force huit autres Burundais. Six de ces anciens réfugiés demeurent emprisonnés au Burundi. »
Les autorités tanzaniennes ne se sont jamais exprimées sur ces cas, du moins officiellement.
Espoirs déçus
Désenchanté, Antoine est parmi les réfugiés qui espéraient que leur situation allait s’améliorer après cette campagne. Il a investi dans l’agriculture. Il exprime sa déception et son regret : « Les autorités tanzaniennes maintiennent la mesure nous interdisant d’aller au-delà de 200 m du camp. Celui qui passera outre cette interdiction risque 6 mois de prison et une amande de cinquante mille francs shillings. Et, nous qui avons des champs loin du camp, qu’allons-nous faire ? C’est le moment de la récolte ! »
Même sentiment de déception au sein de la Coalition des Défenseurs des Droits de l’Homme dans les camps de réfugiés de la sous-région CBDH /VICAR. « Pendant que les réfugiés s’imprégnaient de leurs droits et devoirs, des éléments de la police tanzanienne traquaient les réfugiés dans les camps de Nduta et Nyarugusu. Ces réfugiés vivent comme des prisonniers dans ces camps. De plus, toutes les activités génératrices de revenus restent interdites », se désole Léopold Sharangabo, vice-président de l’organisation. Il appelle la Tanzanie à appliquer à la lettre les lois et les conventions relatives aux droits des réfugiés. « Aucun réfugié ne devrait être maltraité pour l’obliger à rentrer. Le rapatriement doit être volontaire. »
Les réfugiés burundais en Tanzanie sont répartis dans deux camps : Nyarugusu et Nduta situés au nord-ouest de la Tanzanie.. Les autorités tanzaniennes continuent d’appeler ces réfugiés au retour volontaire dans leur pays, estimant que la paix et la stabilité règnent au Burundi. Le camp de Nyarugusu héberge aussi des réfugiés congolais.
Lors de sa dernière visite en Tanzanie en aout dernier, Filippo Grandi, haut-commissaire de l’ONU a salué « les progrès réalisés par ce pays en matière de protection de réfugiés. » Il a encouragé les réfugiés à retourner dans leur pays et leur a promis le soutien du HCR aux rapatriements volontaires. . »
En 2021, un groupe d’experts des Nations Unies appelait « les gouvernements de la Tanzanie et du Burundi à respecter les droits des réfugiés et des demandeurs d’asile qui ont fui le Burundi, déplorant les informations faisant état de disparitions forcées, de torture, de retours forcés et d’intimidation ».