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Une paix impossible entre la RDC et le Rwanda ?

- 3 juin 2022

Les combats qui perdurent dans les régions congolaises frontalières et le regain de tension entre Kinshasa et Kigali – on ne parle pas de « guerre » mais... - poussent l’ONU et l’Union africaine au chevet d’une paix qui semble s’éloigner davantage.

Alors que l’Est de la République Démocratique du Congo est en proie à des combats intenses opposant l’armée régulière au M23 (Mouvement du 23 Mars), plusieurs appels à la mobilisation contre le Rwanda circulent sur les réseaux sociaux dans les milieux congolais. Ceux-ci s’insurgent contre ce qu’ils appellent une nouvelle agression de l’armée rwandaise. Ces appels viennent s’ajouter aux accusations croisées entre Kigali et Kinshasa. La République démocratique du Congo (RDC) accuse en effet le Rwanda de soutenir le mouvement M23 (un groupe rebelle constitué en grande partie de combattants de la communauté Banyamulenge, des Congolais rwandophones) qui a lancé des attaques contre les positions des forces armées congolaises (FARDC) au Nord-Kivu, une province orientale frontalière du Rwanda et de l’Ouganda.

Ce climat a de quoi inquiéter le président en exercice de l’Union africaine, Macky Sall. Dimanche 29 mai, il s’exprimait via son compte twitter, se disant «gravement préoccupé par la montée de la tension entre le Rwanda et la RDC ». Il appelait « les deux pays au calme et au dialogue pour la résolution pacifique de la crise avec le soutien des mécanismes régionaux et de l’Union africaine ».  Par le même canal, il était confiant lundi soir dans un tweet : « Je remercie les Pdts (sic) Tshisekedi et Kaqame pour nos entretiens d’hier et d’aujourd’hui dans la quête d’une solution pacifique du différend entre la RDC et le Rwanda. J’encourage le Pdt Lourenço (de l’Angola), Pdt de la CIGL (CIRGL) à poursuivre ses efforts de médiation dans ce sens.»

Même son de cloche du côté de New York où se réunissait le Conseil de sécurité de l’ONU à ce sujet. La sous-secrétaire générale aux Affaires politiques et de Consolidation de la paix Martha Ama Akyaa Pobee a appelé elle aussi les deux pays au dialogue et au rétablissement de la confiance. « Il est urgent de désamorcer la situation et d’abord d’obtenir du Conseil de sécurité qu’il pèse de tout son poids derrière les efforts régionaux en cours, dont le processus à deux volets, lancé lors du deuxième Conclave des chefs d’État à Nairobi, le 21 avril dernier, a donné un nouvel élan aux efforts du Gouvernement de la RDC pour amener les groupes armés congolais qui sévissent dans les provinces de l’Ituri, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu dans le processus de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation (PDDRCS) », a-t-elle souligné.

Mesures d’un côté, menaces de l’autre

Le lundi 30 mai, plusieurs manifestants sont descendus dans les rues  de Kinshasa, scandant des slogans anti rwandais. Ils ont aussi investi la rue menant à l’ambassade du Rwanda à Kinshasa où la foule exigeait la rupture diplomatique et le refoulement de l’ambassadeur du Rwanda. Le gouvernement congolais, critiqué par les manifestants a pourtant déjà pris des mesures coercitives frappant les intérêts rwandais. Présidé par Félix-Antoine Tshisekedi, le Conseil supérieur de la défense avait pris quatre mesures. Il s’agit de considérer le M23 comme mouvement terroriste et exclu du processus de Nairobi, de mettre en garde le Rwanda, de convoquer l’ambassadeur du Rwanda à Kinshasa et de suspendre les vols de la compagnie Rwandair à destination de la RDC. Et la compagnie qui desservait Kinshasa, Lubumbashi et Goma s’est exécutée sans délais en annonçant la mesure à sa clientèle.

Kigali continue à nier son implication dans les attaques du M23 et parle d’un problème purement entre congolais. Mais elle accuse les FARDC d’avoir mené des attaques à la roquette dans la localité rwandaise de Musanze, faisant des blessés dans la population. De plus, selon un communiqué de l’armée rwandaise (RDF), les FARDC en connivence avec les FDLR auraient enlevé deux militaires rwandais en patrouille sur la frontière. Réaction du ministre rwandais des affaires étrangères, Vincent Biruta : « Si les attaques continuent, le Rwanda aura le droit de répondre, et nous avons la capacité de répondre. Nous ne voulons pas la guerre, nous voulons la paix », mais, « en tant que gouvernement, nous avons le devoir de protéger la vie des Rwandais ».

Le président angolais, Joao Lourenço, est déjà à l’œuvre pour rétablir les relations entre les deux voisins. Il a rencontré son homologue congolais Félix Antoine Tshisekedi. Et ce dernier a accepté de libérer les deux militaires rwandais détenus par son armée. Par entretien téléphonique, le président Kagame a promis au président angolais de rencontrer son homologue congolais pour désamorcer la crise.

122 groupes armés répertoriés

Les relations entre la RDC et le Rwanda ont toujours été émaillées d’accusations et contre accusations depuis le génocide des tutsi au Rwanda en 1994. Kigali a toujours dénoncé l’hébergement des anciens dignitaires et militaires et miliciens accusés d’avoir participé dans ce génocide. Les FDLR mènent en effet des incursions sur le sol rwandais, y commettent des forfaits et se replient dans les forêts denses des provinces du Sud et Nord Kivu.

D’autre part, le Rwanda a joué un grand rôle dans la chute du pouvoir du Marechal Mobutu Seseko en portant au pouvoir Laurent Désiré Kabila en mai 1997. Mais les relations n’ont pas duré puisque le 27 juillet 1998, le président Kabila annonçait mettre fin « à la présence des militaires rwandais qui nous ont assistés pendant la période de libération de notre pays ». Les relations ont évolué en dents de scie même sous la présidence de Joseph Kabila pendant laquelle des attaques des rebelles FDLR sur le sol rwandais à partir de la RDC ont alterné avec des incursions de l’armée rwandaise en territoire congolais pour traquer « l’ennemi ».

Une cartographie des groupes armés à l’est de la RDC, réalisée février 2021 par le Baromètre sécuritaire du Kivu , montre que « Bon nombre des 122 groupes armés répertoriés existent depuis plusieurs années ou sont des factions dissidentes d’autres groupes anciens. Cette longévité concerne en particulier les groupes les plus importants et leurs dirigeants : nombre d’entre eux sont impliqués dans les violences depuis des décennies. Des leaders tels que Amuri Yakutumba, Guidon Shimiray, Michel Rukunda, Janvier Karairi et Katembo Kilalo, ainsi que tous les chefs de groupes armés étrangers, sont des vétérans des conflits armés ».

Ce même rapport révèle qu’« une grande partie de la violence dans l’est du Congo est motivée par le besoin des groupes armés de survivre en extrayant des ressources et de se battre pour conserver le contrôle de leur territoire. Les interventions extérieures visant à rompre cette inertie ont largement échoué »

Sous les auspices du président kenyan, Uhuru Kenyatta, des pourparlers sont en cours avec plusieurs groupes armés pour mettre fin aux conflits armés dans les provinces congolaises de l’Ituri, du Sud-Kivu et du Nord-Kivu. Mais le M23 est exclu de ces assises suite justement à cette reprise des hostilités.