Ukraine : une guerre loin d’être éclair
Lana et Anastasia, deux ukrainiennes expatriées en Europe, nous racontent comment elles vivent la guerre à distance.
Lana n’a que 20 ans. Née en Ukraine, cette jeune fille dynamique est arrivée en Belgique pour la première fois il y a 8 ans. Habituée à rentrer en Ukraine pour voir le reste de sa famille environ 2 à 3 fois par an, depuis une année maintenant, Lana n’est plus revenue dans son pays natal. Et pour cause : le 24 février 2022, le président russe Vladimir Poutine décide d’envahir l’Ukraine. Depuis ce jour, la guerre fait rage dans ce grand pays de l’Est.
Lorsque Lana apprend la nouvelle par l’un de ses camarades, à l’école Notre-Dame de Tournai, où elle étudie, elle se fige. Bien que loin de l’Ukraine, voir son pays en guerre l’a fait pleurer. « J’ai couru aux toilettes pour appeler ma grand-mère, qui était toujours au pays. Elle m’a expliquée que vers 4 heures du matin, elle a commencé à attendre les premiers bombardements, non loin de chez elle », explique-t-elle. Un an plus tard, elle ne se doutait pas que la situation n’aurait pas beaucoup changé.
La famille de Lana habite non loin de la frontière russe. « Ma ville a été l’une des premières à être bombardées. Le président Zelensky avait prévenu les habitants que cela pouvait arriver, du coup, mes grands-parents s’étaient préparés : dès les premières attaques, ils ont été se réfugier dans leur cave, avec de quoi vivre durant quelques jours ».
Au bout d’un moment, la situation devenant trop tendue aux frontières, les grands-parents se sont réfugiés chez des amis. « Durant quelques semaines. Après cela, ils ont voulu retourner chez eux. Quelques jours après leur départ, la maison a été bombardée, il n’en restait plus rien… ». Quatre semaines plus tard, les grands-parents de Lana arriveront en Belgique.
Le déclic du départ
Ce retour à la maison, c’est la dernière nouvelle que recevra Lana de la part de ses grands-parents. Pendant trois semaines, personne ne répond au téléphone. « A la maison, ma maman faisait déjà un petit peu son deuil, elle pleurait », raconte la jeune femme. Puis, un matin, un oncle dont ils n’avaient plus entendu parler depuis plusieurs semaines les appelle pour les prévenir : les grands-parents sont en vie, mais un bombardement a coupé tout contact avec l’extérieur.
« Le magasin dans lequel se rendait mon grand-père, juste à côté de chez lui, a été bombardé. Sur 15 personnes présentes à ce moment-là, 10 sont décédées ». Ce miracle, c’est le déclic pour la famille. Les grands-parents doivent venir les rejoindre en Belgique. « Nous avions l’habitude d’envoyer des choses en Ukraine par camion. On payait nous-mêmes des chauffeurs pour aller en Ukraine apporter des choses à notre famille. Ici, on a payé quelqu’un pour qu’il nous ramène mes grands-parents ».
Mais d’autres personnes de sa famille sont encore au pays. Son copain, par exemple. « Il est toujours là-bas, au front. Un jour, il m’a appelé pour me dire qu’il préférait qu’on se sépare, car il ne voulait pas que je sois triste si jamais il lui arrivait quelque chose. Depuis ce jour-là, quelque chose s’est brisé en moi ».
S’informer à des milliers de kilomètres
Anastasia a vécu le début de la guerre de plein fouet. Ukrainienne, elle habite à quelques kilomètres de la frontière russe et est restée 5 mois au pays après l’entame des hostilités. Elle s’est ensuite réfugiée en Grèce pour continuer ses études. Pour elle aussi, loin des siens, l’une des choses importantes est de rester informée.
« Quand je suis partie, j’avais un sentiment de culpabilité, parce que ma famille était toujours en danger, et moi, je partais », explique-t-elle. « Mais on se parle tous les jours via les réseaux sociaux, en tout cas, quand ils bénéficient d’un réseau ou d’électricité. Pour me tenir au courant de ce qu’il se passe, je privilégie les réseaux sociaux et certains médias traditionnels ».
Seulement, en temps de guerre encore plus qu’en temps normal, de nombreuses fake news affluent sur Internet. Nos deux interlocutrices en sont bien conscientes. « Des deux côtés, d’ailleurs. Parmi cela, il faut faire du tri. Pour les 1 an de la guerre, des nouvelles fake news vont éclater, c’est presque sûr”.
On dénote également un certain contrôle des medias quant aux informations qui circulent. “Comme tout pays en guerre, l’Ukraine s’efforce de façonner les informations que sa population voit. L’armée n’est pas autorisée à divulguer le nombre de victimes, les photos de soldats ukrainiens décédés sont rares, et les informations anti-russes peuvent être partagées dans les médias.”
Même constat chez Lana, chez qui l’information n’a jamais été aussi présente. « La télévision tourne 24h/24. Ma mère ne veut rien rater, elle zappe entre des chaînes pour essayer de tout comprendre. C’est nécessaire, même si parfois, j’aimerai un peu me couper de tout cela ».
« Quand je rentre de l’école, je regarde les news qui sont tombées et que je n’ai pas pu voir, mais ensuite, je ne veux plus entendre parler de la guerre », explique de son côté Anastasia, qui étudie à Thessalonique. « On m’en parle souvent, donc quand je rentre, j’aimerais penser à autre chose. Je parle à ma famille, je sais qu’ils vont bien ».
Et ensuite
Que ce soit pour les grands-parents de Lana ou Anastasia, le discours est clair : après la guerre, ils rentreront. « Je vis avec ce sentiment de culpabilité d’être de loin de ma famille. J’espère que ça se calmera vite et que je pourrais profiter de mon séjour à l’étranger sans penser à la guerre, et ensuite rentrer ».
« Bien sûr qu’ils ont envie de rentrer », explique Lana. « Ils ont vécu là toute leur vie, ils ont tout laissé là-bas en partant. Chaque jour, on espère être un peu plus proche de la fin de la guerre. Ce sera une gigantesque fête dans ma famille, ça j’en suis sûr ».
Un sentiment que corrobore Viktoriia Neiland, psychologue ukrainien et domicilié en Belgique. Il travaille pour Solentra, une ASBL experte en matière de soins et d’aide psychologiques aux jeunes réfugiés et à leur famille. « Plus une personne est jeune, meilleur est son avenir. Il est particulièrement difficile pour ceux qui sont plus âgés, surtout après 50 ans, car il est difficile d’apprendre la langue et d’apprendre une nouvelle profession. De nombreux Ukrainiens croient en la victoire et attendent la fin de la guerre pour rentrer chez eux. Certains croient que l’Ukraine se rétablira rapidement avec le soutien d’autres pays. Mais beaucoup comprennent qu’il faudra de nombreuses années pour reconstruire le pays ».
« Cet article a été rédigé par des étudiant.es en MA2 de l’ULB/VUB sous la coordination d’Alexandre Niyungeko, Gabrielle Ramain, Lailuma Sadid et Frisien Vervaeke. »