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Burkina Faso : alerte sur la mise à mort du journalisme*

- 20 novembre 2024
Depuis 2015, le Burkina Faso, à l’instar du Mali et du Niger, est plongé dans une crise sécuritaire sans précédent. Dans ce contexte de lutte anti-terroriste, la liberté de la presse a été fortement fragilisée. © Pixabay.

Le 20 octobre, le Burkina Faso a célébré la 27e Journée nationale de la liberté de la presse. Il y a quelques années encore, le pays était cité en exemple sur le continent africain. Ce n'est plus le cas.

Le 20 octobre dernier, le Burkina Faso a célébré la 27e Journée nationale de la liberté de la presse sous le thème : «Ne brisons pas le rempart : alerte sur la mise à mort du journalisme.» Un titre évocateur, qui reflète parfaitement la dégradation profonde du journalisme et de la liberté d’expression dans ce pays depuis presque une décennie.

Une liberté de presse en chute libre

Le recul de la liberté d’expression et de la presse au Burkina Faso est frappant. Il y a quelques années encore, le pays était cité en exemple pour sa liberté de la presse sur le continent africain. En 2019, le rapport de Reporters sans frontières (RSF) classait le Burkina Faso au 36e rang mondial sur 180 pays, premier parmi les pays francophones d’Afrique et cinquième sur le continent.

Cependant, en seulement cinq ans, le pays a dégringolé de 50 places dans le classement de RSF, se retrouvant désormais au 86e rang. Deux facteurs principaux expliquent cette situation : la crise sécuritaire et les coups d’État successifs en 2022.

La crise terroriste, premier ennemi

Depuis 2015, le Burkina Faso, à l’instar de ses voisins le Mali et le Niger, est plongé dans une crise sécuritaire sans précédent, marquée par des attaques de groupes armés terroristes. Dans ce contexte de lutte anti-terroriste, la liberté de la presse a été fortement fragilisée. Comme l’indiquent plusieurs rapports, dont celui de la Media Foundation for West Africa et le rapport spécial de RSF intitulé Dans la peau d’un journaliste au Sahel, il est devenu pratiquement impossible, voire dangereux, pour les journalistes de se rendre sur le terrain et de recueillir des informations de première main.

Dans les zones les plus affectées par le terrorisme, des journalistes, animateurs et techniciens de radios communautaires — souvent les seuls médias accessibles pour la population locale — ont été directement visés, contraignant certains à abandonner leur métier ou à se reconvertir.

Le meurtre en avril 2021 de deux journalistes espagnols, David Beriain, 43 ans, et Roberto Fraile, 47 ans, ainsi que d’un militant écologiste irlandais, alors qu’ils réalisaient un documentaire sur la lutte anti-braconnage dans l’est du Burkina Faso, illustre le danger mortel qui menace les journalistes en déplacement dans les zones rouges.

La lutte contre le terrorisme a conduit à une relecture du code pénal burkinabè en 2019 et en 2020. Cette relecture a introduit de nouvelles infractions sur la publication d’informations relatives au terrorisme qui ne facilitent pas le traitement de l’information sécuritaire.

En effet, cette loi condamne à une peine allant d’un à cinq ans toute personne qui diffuse des “informations,” des “images” ou des “sons” “d’une scène ou d’infraction de nature terroriste” ou qui pourraient compromettre une intervention antiterroriste des Forces de défense et de sécurité. D’après le Code tel que révisé, ces infractions sont passibles d’une peine d’emprisonnement d’un à cinq ou 10 ans et d’une amende maximale de 10 millions de francs CFA (environ 15 900 Euro).

Le silence ou le front

Au-delà de la crise terroriste, les coups d’État de janvier et septembre 2022 ont encore durci les restrictions. Les autorités militaires ont rapidement restreint la liberté de la presse, imposant la version officielle comme la seule vérité acceptable.

Les suspensions de médias, les expulsions de journalistes étrangers, et les arrestations arbitraires se sont multipliées. Des réformes institutionnelles ont également été engagées, notamment la nomination directe du président du Conseil supérieur de la communication (CSC), l’organe de régulation, par le chef de l’État, une prérogative qui rompt avec la loi organique de 2013 et concentre davantage le pouvoir de régulation entre les mains des autorités.

En effet, la loi organique N°015-2013/AN du 14 février 2013 prévoyait à son article 28 que : « Le Président du Conseil Supérieur de la Communication est élu par ses pairs et nommé par décret du Président du Faso. Le Président est secondé par un Vice-président élu par ses pairs. Il assure l’intérim en cas d’empêchement momentané du Président. »

Descentes et perquisitions

La nouvelle loi organique N°41-2023/ALT du 21 novembre 2023 stipule désormais que le Président du CSC est nommé par décret du Chef de l’État. Et ce dernier désigne à son tour son vice-président au sein du collège des Conseillers. Les pouvoirs des conseillers ont même été renforcés. La loi les autorise désormais à descendre dans les médias pour opérer des perquisitions et emporter des documents.

En juin dernier, « l’enlèvement » de plusieurs journalistes et chroniqueurs a mis en évidence la précarité de la liberté de presse au Burkina Faso. Interpellés et détenus dans le cadre d’une mobilisation générale, leur situation a provoqué une levée de boucliers internationale.

« Le professionnalisme dans ce métier est devenu un crime. »

Lors de la 81e session de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) à Banjul, le gouvernement burkinabè a finalement confirmé que Serge Oulon, Adama Bayala et Kalifara Séré avaient été « réquisitionnés » pour des raisons de sécurité.

Guezouma Sanogo, président du comité de pilotage du Centre national de presse Norbert Zongo a déclaré lors de la Journée nationale de la liberté de presse : « Nous en sommes arrivés au point où le professionnalisme dans ce métier est devenu un crime. Le pluralisme des opinions, qui fait tout l’intérêt des médias, a été criminalisé. La presse burkinabè est devenue atone, aphone, ou monotone. »

En somme, le journalisme au Burkina Faso semble de plus en plus menacé. L’indépendance des médias, pilier essentiel d’une démocratie saine, s’érode, laissant planer une ombre inquiétante sur l’avenir de la liberté d’expression au pays des « hommes intègres ».

* Thème de la 27e journée nationale de la liberté de presse au Burkina Faso célébrée le 20 octobre 2024.