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Burundi : la chute de « Mutama II »

- 31 mai 2023
Alain Guillaume Bunyoni, lors de l’ouverture d’une exposition-vente « Made in Burundi », en juin 2021 © D.R.

L’ex-Premier ministre burundais est sous les verrous. Homme fort du système depuis 17 ans, le Commissaire de Police Général (le grade le plus élevé de la police burundaise), Alain Guillaume Bunyoni, est tombé en disgrâce et accusé d’ « atteinte à la sureté intérieure de l’État ». Son apogée et sa décadence sont dignes d’un film d’Hollywood.

D’aucuns auraient imaginé qu’un jour, celui dont le grade est équivalent au « Maréchal de l’Armée », surnommé « Mutama II » pour signifier le numéro deux du pays serait un jour locataire de la prison centrale de Ngozi, une province située plus au nord du Burundi, à plus de 125 km de Bujumbura, la capitale économique.

Incroyable mais vrai. Alain Guillaume Bunyoni, ex-Premier ministre, homme fort de l’aile dur du système burundais, a été arrête le 21 avril dernier puis conduit dans les cachots du service des renseignements à Bujumbura.

Le  « film » commence par son limogeage en septembre 2022 alors qu’il avait été nommé en juin 2020 Premier ministre et Chef du gouvernement. Le Président burundais, Evariste Ndayishimiye parle de « subalterne qui veut désobéir au commandant. »

Depuis son remplacement, « AGB »,  initiales de son nom que l’on retrouve aussi sur ses luxueux véhicules, n’est plus réapparu en public depuis plus de sept mois.

Début avril, la police fait irruption chez lui, dans un quartier de haut standing de Bujumbura pour réaliser une fouille-perquisition dans sa villa aux murs dorés. Il avait d’ailleurs refusé d’habiter à la résidence réservée aux Premiers ministres, estimant que « sa résidence est digne plus que celle du gouvernement. »

Une courte cavale

AGB n’est pas chez-lui. Deux jours après, le Procureur général de la République annonce que le très puissant ancien Premier ministre, était recherché par la justice.

« En réalité, plusieurs perquisitions avaient été menées sans parvenir à le localiser. Mais, le Parquet général de la République porte à la connaissance de l’opinion nationale et internationale que le Général de Police Alain Guillaume Bunyoni est pour le moment entre les mains de la police. Il a été arrêté très rapidement par le Service national de renseignement. Il se cachait dans Bujumbura-rural, une province frontalière avec la capitale économique », a déclaré le procureur Sylvestre Nyandwi.

La Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme, CNIDH, fait des révélations.

« La CNIDH a effectué une visite pour s’entretenir avec le Général Alain-Guillaume Bunyoni. Il se porte bien. Il n’a subi aucun acte de torture ou tout autre abus depuis son arrestation. Sa famille en a été informée. Le processus suit son cours normal », fait savoir le président de la CNIDH, Sixte Vigny Nimuraba, dans la fraicheur des faits.

Quatre chefs d’accusation

Le film, façon « Hollywood», continue avec des séquences serrées. Le parquet ne tarde pas à charger AGB.

« Atteinte à la sûreté intérieure de l’état, atteinte au bon fonctionnement de l’économie nationale, prise illégale d’intérêts, détention illégale d’armes et outrage envers le chef de l’état », telles sont les accusation contre Bunyoni, qui était de longue date considéré comme le véritable numéro deux du régime depuis la crise politique de 2015 et le chef de file des durs parmi les généraux œuvrant dans les coulisses du pouvoir.

Lundi le 8 mai, Bunyoni a été présenté devant le juge.

« Nous l’avons vu en tenue verte (tenue de prisonniers au Burundi, ndlr). Il était gardé par deux policiers très vigilants. C’était très surprenant de le voir…les mains menottées au milieu de deux policiers qui le poussaient presque…c’était à la fois étrange et inimaginable », témoignent des personnes qui l’ont aperçu devant les locaux de la Cour suprême à Bujumbura.

Après sa comparution, l’ancien Premier ministre a été transféré à la prison centrale de Ngozi, au nord du Burundi.

« Sa cellule était prête depuis une semaine. Plus de 90 prisonniers qui y dormaient ont été mis dans d’autres cellules. Elle est en peu éloignée des autres et est clôturée, donc très peu de gens auront accès à lui. C’est pour essayer de garder secret tout ce qui entoure son dossier »,  nous ont confié des sources pénitentiaires.

Rébellion

Un autre haut gradé, le colonel Désiré Uwamahoro, ex-commandant de la brigade anti-émeute – qui s’est montré féroce quant à l’arrestation et répression des manifestations en 2015 – a lui aussi été mis aux arrêts dans l’affaire Bunyoni. Proche de AGB, il a été auditionné notamment sur « les allégations selon lesquelles il complotait une rébellion avec Bunyoni. »

En septembre 2022, le président burundais, Evariste Ndayishimiye s’est plaint publiquement qu’il y a des gens proches de lui qui veulent comploter, insinuant que « deux rois ne peuvent pas régner sur un même royaume. » Le même mois, Bunyoni est tombé en disgrâce et évincé de la Primature.

Dilemme juridique

Pour certains juristes et activistes, le « Super général et Premier ministre » ne peut être jugé par aucune juridiction burundaise. Leur argument : la Haute Cour, qui n’est pas encore mise en place et qui doit juger les hauts dirigeants du pays.

« La Haute Cour prévue par la constitution de 2018 est compétente pour juger un Premier ministre ‘encore en  fonction’ comme le prévoit clairement l’article 241 de la Constitution qui stipule qu’en cas de condamnation, le Premier ministre est déchu de ses fonctions », explique maître Janvier Bigirimana, avocat et activiste des droits humains.

« En d’autres mots, la Haute Cour de Justice ne serait, à mon avis, pas compétente pour juger un ancien Premier ministre. La Cour suprême est plutôt compétente », ajoutant que « le privilège juridictionnel dont  bénéficie AGB n’est pas à confondre avec une immunité contre toutes poursuites. »

AGB dans le collimateur de la CPI

Après son arrestation, plusieurs voient se sont élevées pour réclamer son transfert à la Cour Pénale Internationale (la CPI), pour répondre de crimes contre l’humanité commis depuis 2015 sur lesquels la CPI enquête inlassablement depuis plus sept ans.

« L’arrestation de l’ancien Premier ministre du Burundi, Alain Guillaume Bunyoni, devrait être suivie d’une enquête judiciaire complète sur les abus des forces de sécurité du pays commis lorsqu’il était en poste, dans l’optique de mener des poursuites et un procès équitable contre toute personne reconnue responsable de crimes graves », réclame Human Rights Watch, une ONG internationale de défense des droits humains.

Amnesty International est sur la même longueur d’onde.

« C’est une occasion pour les autorités burundaises de faire respecter l’obligation de rendre des comptes pour des violations graves des droits humains. Alain-Guillaume Bunyoni, dans son précédent rôle de ministre de la Sécurité publique, était chargé de superviser la police, qui s’en est violemment prise à des opposants réels et supposés. La justice internationale doit aussi faire son travail », souligne Flavia Mwangovya, directrice adjointe pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe d’Amnesty International.

Depuis 2016, la CPI enquête sur des crimes qui auraient emporté la vie de plus de 1.200 personnes et des disparitions forcées. AGB est sur la liste des noms cités par la CPI comme ayant pris part directement à ces crimes contre l’humanité.

Dans ce contexte, Le Collectif des Avocats des parties civiles dans le dossier burundais devant la CPI, souhaite plutôt une collaboration entre deux instances judiciaires.

« Le collectif demande avec insistance que le Procureur général de la République du Burundi se rapproche du Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale pour analyser ensemble les éléments dont les deux Bureaux ont eu connaissance et examiner les voies et moyens pour assurer une justice efficace et effective dans ce contexte précis du général Bunyoni. »

Le Collectif des Avocats des parties civiles rappelle que le Général de Police Alain Guillaume Bunyoni peut être jugé « soit à Bujumbura, soit à La Haye dans le cadre d’une coopération judiciaire entre l’État burundais et la Cour Pénale Internationale qui peut aussi, quant à elle, assurer l’appréhension de l’intéressé et son transfèrement à La Haye dans le cadre de l’émission d’un mandat d’arrêt international. »

Pourtant, d’après les avocats des parties civiles « ce n’est pas facile car Bunyoni n’est pas formellement recherché par cette juridiction qui n’a pas encore émis des mandats d’arrêt internationaux ni déterminé publiquement les individus dont elle souhaite la comparution. »

Le Burundi s’étant aussi retiré des statuts de Rome établissant la CPI en octobre 2017.

Apogée et décadence

Le général Alain Guillaume Bunyoni avait gravit tous les échelons du pouvoir. Au maquis déjà, il avait gagné les galons de général. En 2005, AGB devient le chef de la police, poste qu’il occupe jusqu’en 2007. Il sera propulsé à deux reprises à la tête du ministère de la Sécurité publique.

Considéré comme le numéro 2 du régime de feu Président Pierre Nkurunziza, il était pressenti comme le successeur de ce dernier, mais le destin en décida autrement car c’est le candidat Evariste Ndayishimiye qui sera élu Président de la République aux élections de 2020.

« Il aura fait la pluie et le beau temps. Il a connu ses heures de gloire mais aussi ses bas. Pilier du parti/système CNDD-FDD (Le Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces de défense de la démocratie, ndlr), Alain Guillaume Bunyoni aura marqué l’histoire politique de ces 17 dernières années, jusqu’à ce qu’il soit brusquement débarqué de la Primature », analyse Pacifique Nininahazwe, éminent activiste de la société civile burundaise.

« Le cas de Bunyoni devrait laisser un antécédent. On se souvient de 2006 quand l’autre numéro deux du pays, Hussein Rajabu alors président du parti au pouvoir, a été arrêté et emprisonné avant qu’il s’évade en 2014 ou encore du cas du lieutenant général Adolphe Nshimirimana, chef des renseignements assassiné en août 2015 », renchérit-il avant de préciser que « le temps est un bon juge » et que « personne ne devrait se considérer au-dessus de la loi et piétiner les droits humains. »