Burundi : l’ex-Premier ministre condamné à perpétuité pour avoir voulu « renverser le régime »
Alain-Guillaume Bunyoni a été condamné début décembre. Des analystes parlent de «rivalité personnelle» entre le président et son ancien compagnon d’armes.
Le verdict de l’affaire Alain-Guillaume Bunyoni est tombé le 8 décembre dernier et c’est le président de la Cour suprême, Emmanuel Gateretse, qui a annoncé la décision. L’ancien Premier ministre burundais a été déclaré coupable pour sept chefs d’accusation, notamment pour atteinte à la sécurité intérieure de l’État, attentat à la vie du président et complot au coup d’État. Il purgera une peine de prison à perpétuité. Cette décision est tombée près d’un mois après les auditions qui se sont déroulées sur son lieu de détention à Gitega, la capitale politique du pays, située à plus de 100km de Bujumbura, la capitale économique.
Les réquisitions du parquet ont, donc, été suivies. Alain-Guillaume Bunyoni a été reconnu coupable d’avoir payé « une entreprise criminelle afin d’assassiner le chef de l’État », à savoir le président Évariste Ndayishimiye, pour « renverser le régime constitutionnel ». À ces accusations, s’ajoutaient celles d’enrichissement illégal et d’une volonté de déstabilisation de l’économie. « L’ex-Premier ministre aurait conservé chez lui des sommes colossales avec comme objectif de déstabiliser le taux de change du franc burundais et rendre la vie difficile et de-là inciter la population à la désobéissance totale », a détaillé le ministère public à la cour de Gitega où l’ancien homme politique est détenu seul.
Le « Maréchal Bunyoni », 51 ans, posséderait aussi plus de 150 maisons et terrains ainsi qu’une quarantaine de véhicules.
« Il devra également payer une amende de 7,1 millions de francs burundais (environ 2 280 euros) ainsi que des dommages et intérêts à la hauteur du double de la valeur des 153 maisons et 43 véhicules qui lui appartiennent, des biens acquis injustement », lit-on dans son jugement.
Alain-Guillaume Bunyoni avait plaidé non-coupable de tous les chefs d’accusation et demandé sa relaxe pure et simple, en invoquant « un manque de preuves ».
Chute libre…
Le général Bunyoni, devenu Premier ministre en juin 2020, avait été démis de ses fonctions en septembre 2022, quelques jours après que le président Evariste Ndayishimiye ait dénoncé, selon ce dernier, des velléités de coup d’État.
Avant d’être nommé à ce poste, Alain-Guillaume Bunyoni, plus haut gradé de la police burundaise jusqu’en 2007, était déjà considéré comme le véritable numéro deux du régime depuis la crise politique de 2015, en tant que chef de file des durs, parmi le groupe de généraux qui contrôle le pouvoir burundais.
Arrêté en avril 2023, il s’est vu aussi reprocher au cours de son procès de vouloir « commettre des fétiches contre la vie du chef de l’État » ou encore des prises illégales d’intérêt.
« On aura tout vu ! », analyse un ancien cadre du parti au pouvoir, aujourd’hui en exil.
« Voir Alain-Guillaume Bunyoni, qui est devenu le chef de la police à deux reprises, dans les premières heures de la prise du pouvoir du parti Cndd-Fdd, poste qu’il occupe jusqu’en 2007, croupir dans les geôles d’une si petite cellule, apparemment isolé, c’est inimaginable », s’est-il exclamé après l’annonce de la sentence « sévère ». «Alain-Guillaume Bunyoni finira-t-il ses jours en prison ? », se demande-t-il.
Prisonnier politique « injustement condamné »
D’après un rapport d’Initiative pour les droits humains au Burundi (l’IDHB se présente comme un « projet indépendant qui visait à documenter l’évolution de la situation des droits humains au Burundi »), l’ancien homme fort burundais doit être considéré comme un prisonnier politique.
« La justice burundaise a de plus montré qu’elle n’était pas indépendante, elle n’a pas fait preuve d’impartialité et n’a pas montré toutes les preuves sur ces accusations», estime Carina Tertsakian, chercheuse à l’IDHB.
« Bunyoni a subi des injustices que lui-même a infligé aux autres », estime Pacifique Nininahazwe, avant de développer.
« Oui le pouvoir a collé des crimes à Alain-Guillaume Bunyoni et il n’a pas eu le droit à un procès équitable. Cependant, d’autres chefs d’accusations qui devraient être retenus, ne le sont pas. Je pense notamment à la répression sanglante des manifestations pacifiques de 2015 qui ont coûté la vie à des milliers de jeunes Burundais. D’autres ont disparu ou ont été mis dans des fosses communes que seul Bunyoni et les siens connaissent », fait savoir Pacifique Nininahazwe, responsable de Ndonzeza, l’ONG qui a recensé plusieurs cas d’exécutions extra-judiciaires depuis 2015 au Burundi.
Alain-Guillaume Bunyoni, qui se surnomme « Mutama II », (« numéro deux du pays »), n’a pas encore fait appel. Dans la salle d’audience, certains l’auraient entendu s’indigner : « La justice ne s’arrête pas là ! », aurait-il dit.
Ses subalternes écroués…
Cinq de ses co-accusés écopent, quant à eux, de peines allant de 3 à 15 ans de prison, contre 30 requis à leur encontre. Parmi eux, le chef d’équipe de ce groupe, le colonel de police Désiré Uwamahoro condamné à 15 ans de prison.
Ce dernier n’est pas inconnu des opposants au pouvoir puisqu’il dirigeait la brigade spéciale anti-émeutes. « Si jamais l’histoire pouvait servir de leçon. Gitega où est emprisonné Bunyoni est un centre de détention des putschistes du coup d’État manqué de 2015. Bunyoni et Uwamahoro sont détenus avec des milliers de personnes qu’ils ont fait arrêter injustement. L’avenir nous réserve des surprises », a déclaré, pour sa part, Me Armel Niyongere, président de l’ACAT-Burundi, une ONG qui documente les bavures dans les prisons burundaises.
D’autres activistes des droits humains considèrent plutôt cet acharnement comme une « rivalité personnelle entre Bunyoni et son équipe et le président Évariste Ndayishimiye ». Selon eux, «le tandem Neva-Bunyoni ne pouvait pas durer » et le président se serait séparé d’un collaborateur « encombrant ».