—  Belgique  —

De l’Italie à la Belgique, la lumière au bout du tunnel ?

En 1946, l’accord « charbon » est signé entre la Belgique et l’Italie. La même année, environ 24.000 immigrés italiens avaient effectué le déplacement de leur pays natal jusqu’à la Belgique. © Sonia Cesar Mesquita.

L’immigration italienne en Belgique reste considérable même si elle tend légèrement à la baisse. D'après Statista, en 2020, le nombre de personnes d’origine italienne dépassait les cent cinquante mille. Et si l’histoire de cette migration remonte à l'après-guerre, les effets se font encore ressentir. Les mains travailleuses du pays de la botte ont contribué à la croissance économique de la Belgique, principalement dans le secteur tertiaire. Un développement qui a permis au pays de foisonner et ainsi accueillir de nouvelles générations de travailleurs dans de meilleures conditions.

« Dans la soif et la poussière, c’est la chanson de la terre. Dans la peur et le malheur, c’est la chanson des mineurs. » C’est au son de ces paroles que sonna le glas de la mine d’Halanzy, en 1978. Ce n’est pas la première mine à voir ses lumières s’éteindre. Une à une, elles ferment. La plupart des travailleurs italiens venus en Belgique y résident toujours avec leurs familles. Leur histoire avait commencé dans la deuxième moitié des années 40, quand la Belgique devait reconstruire son économie.

« J’ai quitté mon pays. Là-bas, on n’avait pas d’opportunité de travail », se rappelle Raffaela Ieffa. Son époux, dont elle est veuve depuis 18 ans, était venu travailler dans les mines d’Anderlues. « J’ai suivi mon mari », dit-elle affectueusement, « je suis arrivée en 1956, lui vivait déjà ici ».

Aujourd’hui, âgée de 93 ans, elle s’exclame avec une voix tremblante : « L’eau chaude ? On n’avait même pas d’eau courante. C’étaient des baraques dans ce qu’on vivait. Sans isolation, on se chauffait au poêle. L’eau, il fallait la prendre dehors ». Sa façon de s’exprimer dévoile ses origines rendant par moments son récit à peine compréhensible. Son histoire et son parcours, de nombreux italiens et italiennes venus en Belgique les partagent. 

« C’était un travail dur et dangereux, les Belges ne voulaient pas le faire », R. Ieffa.

« Mon mari a travaillé dans la construction routière », explique Mafalda Troisi. Sur les murs du salon, un brevet accroché salue le travail d’une vie, signé de Sa Majesté le roi Albert II. Nombreux sont ceux qui ont été félicités pour leur travail dans les divers secteurs industriels tels que les mines de charbon, mais également la sidérurgie ou la construction. 

« On se disait souvent que l’Italie nous a vendu pour des sacs de charbon », M. Troisi.

Une époque bien révolue. « Je suis venue à Bruxelles par hasard. J’ai un bon travail, ma situation financière est correcte. Et je ne peux pas me plaindre de ma vie sociale », se félicite Margherita Duz, 27 ans. De nos jours, les Italiens émigrent moins en Belgique comparé au siècle dernier, mais des jeunes font encore cette traversée. « Après avoir reçu mon diplôme, j’ai eu du mal à trouver un travail en Italie dans mon domaine d’expertise. C’était très compétitif et très mal payé », explique Laura Maschio, 26 ans, jeune diplômée en langues et relations internationales. « Je suis mieux payée en tant que stagiaire ici à Bruxelles que j’aurai pu l’être en Italie à un poste plus élevé. Même si plus de la moitié de mon salaire part dans le loyer, les factures ou encore dans les courses », raconte la jeune femme. Pour économiser, cette dernière ainsi que sa compatriote, Margherita, ont recours à la colocation comme stratagème.

Si les raisons de l’immigration italienne restent principalement les mêmes, le travail et l’argent, on aperçoit à travers le temps une grande évolution dans les conditions de vie. « Vivre dans les baraques, c’était vraiment difficile. On vivait dans une grande pièce qui servait de cuisine et de chambre à coucher », décrit Raffaela. « À l’époque, je partageais le foyer avec mon mari, mais aussi mon frère. Et lorsque j’ai eu mon premier enfant, nous y étions encore. »

Le mari de Mafalda, lui, est arrivé quelques années plus tard pour rejoindre son père qui travaillait déjà dans les mines en Wallonie. « Mon beau-père a insisté pour que mon mari ne travaille pas dans le charbon, comme lui », raconte-t-elle, « il disait qu’il voulait que son fils aie une meilleure vie que lui ». Ils n’ont donc pas connu le piètre confort des baraques, à la différence de Raffaela et sa famille.

« On n’était pas les bienvenus partout. Certains endroits étaient interdits aux chiens et aux Italiens », M. Troisi.

Cette période marque un moment fort de xénophobie et de discrimination envers les Italiens résidant en Belgique. « Ce n’était pas difficile de quitter l’Italie et de venir dans un pays inconnu parce que c’était par amour. Mais les débuts étaient tout de même compliqués pour nous comme pour nos enfants », précise Mafalda. « Les discriminations étaient nombreuses. Bien sûr, tous n’étaient pas comme cela. Il y avait des Belges qui étaient gentils avec nous. » 

Aujourd’hui, l’intégration italienne se déroule différemment. « Je pense que la Belgique est un pays multiculturel et c’est particulièrement le cas à Bruxelles. Ici, je ne me sens pas spécialement différente des autres », clarifie Margherita. Par leurs traditions culinaires, leurs coutumes et leurs savoir-faire dans la société belge, au fil du temps, les doyens de la communauté italienne ont favorisé la diversité culturelle du pays qui les a accueilli. Après plus de cinquante années passées en Wallonie, Mafalda exprime son attachement au plat pays : « J’ai passé tant d’années ici. Mon pays natal a toujours beaucoup d’importance pour moi, évidemment, mais aujourd’hui, je me sens Belge. » 

Bref historique :

 

En 1946, le protocole d’accord belgo-italien est signé. Plus couramment appelé l’accord charbon, il établit que « pour tous les travailleurs italiens qui descendront dans les mines en Belgique, 200 kilos de charbon par jour et par homme seront livrés à l’Italie ». La même année, environ 24.000 immigrés italiens avaient effectué le déplacement de leur pays natal jusqu’à la Belgique. En 1953, dans son article Les mineurs italiens en Belgique, Mario Levi compte « 130.000 travailleurs et 36.000 membres de leur famille » qui ont quitté l’Italie pour la Belgique entre 1946 et 1952.

Après la deuxième Guerre Mondiale, l’Italie était confrontée à des défis économiques et sociaux majeurs. Pour contrer un chômage élevé et une pauvreté grandissante, le pays avait signé des accords bilatéraux avec d’autres pays comme la France (1947), les Pays-Bas (1948), l’Allemagne (1955), etc. Ces accords ont facilité l’immigration pour le travail permettant à de nombreux Italiens de saisir l’occasion. Les vagues de migrations successives s’expliquent par les nombreux avantages promis aux Italiens : salaires plus élevés, voyages gratuits en train, allocations familiales, congés payés ou encore retraite anticipée. 

Aujourd’hui, l’Italie se classe en troisième position, derrière la France et les Pays-Bas, en nombres d’habitants étrangers en Belgique.

Cet article a été rédigé par des étudiant.es en MA2 de l’ULB et de la VUB sous la coordination de Milan Augustijns, Alexandre Niyungeko et Lailuma Sadid.