Arménie : la liberté de la presse entre pratique et théorie
En 1991, après 71 années de domination soviétique, la République d’Arménie proclame son indépendance. Aujourd’hui, après plusieurs décennies, le pays connaît une période de transition en ce qui concerne la liberté de la presse. Bien que la situation en Arménie soit bonne par rapport à celle qui prévaut dans d’autres pays, des défis majeurs persistent.
Malgré l’évolution rapide du secteur des médias en ligne ces dernières années, qui est devenu une source importante d’information, la télévision reste le média le plus répandu sur le territoire arménien. De plus, la constitution arménienne garantit la liberté d’expression et de la presse à tous les citoyens et une loi promulguée en 2004 interdit la censure. Toutefois, les médias arméniens sont toujours confrontés à d’importants problèmes : les journalistes ont souvent recours à l’autocensure lorsqu’ils abordent des questions critiques et les médias s’en tiennent toujours au discours officiel de l’État quand ils traitent de sujets tels que la situation au Karabakh (notamment le conflit avec l’Azerbaïdjan), la sécurité, la corruption et les droits humains.
« Nous espérons acquérir une liberté plus grande »
Rencontré sur place, le journaliste Titale Kerem donne son opinion sur la qualité de vie et la situation des journalistes en Arménie, sur les lois relatives aux médias et sur les différences qui existent entre les lois et leur application dans la réalité. Titale Kerem est le rédacteur en chef de Yerevan State Radio et le coordinateur du journal Ria Taza, paru pour la première fois en 1930.
« Depuis l’indépendance de l’Arménie (1991, NDLR), les médias connaissent un contexte difficile. De plus, la guerre touche fortement l’économie et présente des effets négatifs sur la formation, la qualité de vie et les activités des journalistes. Toutefois, je peux affirmer que les journalistes en Arménie sont indépendants et libres. Aucune limite ne leur est imposée. Ils ont le droit d’écrire et d’enquêter sur tous les sujets qu’ils souhaitent. Tout n’est pas parfait, mais je crois que l’Arménie deviendra un nouvel État qui possédera sa propre démocratie, dans lequel les médias seront libres. Je suis né, j’ai grandi et j’ai fait mes études dans ce pays. Je peux donc vous assurer que la différence entre les lois et leur application est minime. L’Arménie postsoviétique se trouve encore dans une période transitoire. Dès lors, il ne serait pas correct de prétendre que les lois actuelles suffisent, mais celles-ci sont en cours de développement. Cependant, les journalistes sont protégés par le Code pénal et par la loi sur les médias, qui stipule clairement que nuire aux activités d’un journaliste constitue déjà un crime. »
Développement des médias arméniens
Après l’indépendance de la République arménienne, cette dernière a connu une évolution importante dans le domaine des médias, mais également dans d’autres domaines. En effet, non seulement le monopole de la radiodiffusion d’État est supprimé, mais aussi le nombre d’organisations dédiées à la presse écrite, à la radio et à la télévision a considérablement augmenté. Si, jusqu’en 1995, les médias arméniens ne disposaient que de deux chaînes nationales qui diffusaient quelques heures par jour, les chaînes privées ont, depuis lors, commencé à diffuser des programmes toute la journée à un niveau régional et national. La presse écrite, quant à elle, a également considérablement évolué. En effet, la publication récente de nombreux journaux et magazines a représenté un progrès important tant sur le fond que sur la forme.
Influence de la diaspora, de l’État et de l’économie
En Arménie, les médias ont tenté de créer leur propre dynamique, mais ont rapidement été confrontés à l’État, l’Église et la diaspora, qui exercent un pouvoir important. La diaspora arménienne – qui constitue une grande partie de la population du pays – influence et contrôle les médias arméniens et la presse arménienne dans le monde.
En 1991, l’Assemblée nationale de la République d’Arménie a adopté la première loi sur les médias, qui garantit juridiquement la liberté et l’indépendance de la presse à travers la liberté d’expression et l’accès à l’information. Cette loi stipule également que chaque citoyen a le droit à la liberté de la presse, la liberté d’expression et le droit de chercher, transmettre, diffuser ou d’envoyer des informations. De plus, elle garantit également ces droits aux personnes qui ne sont pas citoyens de la République d’Arménie. Toutefois, la question de savoir si les garanties constitutionnelles et les lois sont appliquées de manière correcte et adéquate est controversée, car les journalistes peuvent être poursuivis pour des articles ou des informations critiques. Il faut cependant souligner qu’aucun journaliste n’a été tué récemment.
Par ailleurs, certains médias ont été pris pour cible par des acteurs politiques et des centres d’influence, dont l’activité économique est florissante. En effet, l’indépendance des médias est menacée par la combinaison entre le désir de profiter du pouvoir effectif des médias que possèdent les acteurs politiques ainsi que toutes les personnes ayant un lien avec le secteur économique, et la piètre qualité de vie des journalistes. Il est urgent de rendre le secteur médiatique plus actif et plus démocratique dans le pays.
Besoin d’une meilleure formation et d’un code de déontologie professionnelle
Les médias doivent impérativement être plus responsables, notamment en ce qui concerne les discours de haine, l’exhaustivité et l’exactitude des informations, la question de l’éthique, etc. Ce problème est entre autres lié à la qualité de la formation dans les universités et les écoles de journalisme et à la difficulté à élaborer un code de déontologie professionnelle, dont l’implication, notamment dans les questions qui sont étroitement liées à des règles éthiques telles que le discours de haine, n’est pas suffisamment discutée.
En Arménie, selon Media Landscape, les journaux ne sont pas la principale source d’informations. En effet, 5 % de la population suit l’actualité dans la presse écrite, 10 % à la radio et 85 % à la télévision. Toutefois, aucun de ces médias ne peut être considéré comme totalement indépendant. Selon les études de l’université de Passau et de Presse Reference, la population arménienne ne fait pas confiance à la presse écrite pour différentes raisons, notamment le fait qu’elle ne fournit pas des informations impartiales et équilibrées. Ce phénomène, qui présente des effets négatifs sur le développement du journalisme national, est particulièrement visible dans différentes publications telles que les articles commandés, qui contiennent parfois des publicités cachées ou des éléments de propagande implicites ou explicites.
Le développement d’Internet et l’augmentation de ses utilisateurs dans le pays, d’une part, et le désir de la majorité des médias de profiter d’Internet, d’autre part, prouvent la nécessité d’adopter de nouvelles lois. Pour le moment, il n’existe aucune loi relative à ce domaine dans le pays. Toutes les activités, notamment la diffusion d’informations en ligne, obéissent à des lois générales sur les médias, qui ne suffisent pas à résoudre les problèmes propices à l’environnement particulier d’Internet. Ainsi, les journalistes se trouvent dans une position délicate, dans laquelle il leur arrive de faire face à la pression et aux limites des autorités légales d’Internet. De plus, cette situation affecte non seulement le flux d’informations sur Internet dans le pays, mais également les diffuseurs étrangers en ligne. Le média Radio Free Europe, par exemple, s’est vu interrompre la diffusion en ligne de ses programmes à de nombreuses reprises.
En conclusion, les journalistes arméniens sont confrontés à un État qui contrôle la liberté de la presse et d’expression, à une autocensure partielle ou implicite des journalistes, à un mélange d’intérêts économiques, à une différence évidente entre les lois et leur application, à une absence de code de déontologie adapté au métier de journaliste, à une piètre qualité de vie et un salaire faible et à des lacunes dans la formation. Ainsi, près de 30 ans après l’indépendance de l’Arménie, les médias du pays font toujours face à de nombreux problèmes qui attendent d’être résolus.