La Turquie, une prison pour les journalistes critiques
Selon certaines sources, rien que pour le mois d'octobre, dix journalistes kurdes auraient été envoyés derrière les barreaux. À l'origine : une nouvelle loi décriée sur la désinformation.
En Turquie, au moins dix journalistes kurdes ont été envoyés derrière les barreaux au mois d’octobre. Près de nonante journalistes sont actuellement en prison, selon l’Association des journalistes Dicle-Firat (DFG).
« L’autoritarisme gagnant du terrain en Turquie, le pluralisme des médias est plus que jamais remis en cause. Tous les moyens sont bons pour affaiblir les plus critiques », dénonçait Reporters sans frontières (RSF) dans son classement 2022.
Guerre à la vérité
À la veille des élections de 2023, le régime turc de Recep Tayyip Erdogan (AKP) lance une véritable guerre contre la vérité. Le 13 octobre, une loi décriée sur la désinformation a été adoptée par le parlement turc.
Il s’agit d’une loi qui punit jusqu’à trois ans de prison toute personne accusée de répandre des « informations fausses ou trompeuses, contraires à la sécurité intérieure et extérieure du pays et susceptibles de porter atteinte à la santé publique, de troubler l’ordre public, de répandre la peur ou la panique au sein de la population. »
Alors que 90 % des médias nationaux sont déjà sous le contrôle du pouvoir, selon RSF, cette nouvelle loi renforce encore plus les pressions exercées sur les journalistes. Mais outre les journaux, radios, télévisions, elle vise notamment les réseaux sociaux et les sites internet qui seront obligés de dénoncer et de livrer les informations personnelles de leurs usagers accusés par les autorités de propagation de fausses nouvelles.
Cinq jours plus tard, le 18 octobre, la loi sur la désinformation a été publiée au Journal Officiel et promulguée.
« Celle-ci donne des moyens législatifs accrus pour faire fermer les médias d’opposition et censurer les paroles dissidentes », dénoncent Solidaires et le Syndicat national des journalistes (SNJ) dans un communiqué.
Pour DFG, il est indéniable que cette loi concerne toutes les couches de la société. « Avec cette loi, l’effort d’un citoyen pour faire entendre sa voix face à la violation des droits sera empêché en le qualifiant de désinformation. »
Une loi pour faire peur
L’avocate spécialiste des droits humains, Eren Keskin, affirme que cette loi a été adoptée pour faire peur. « La loi sur la censure est en fait une loi qui a été promulguée uniquement à des fins d’intimidation. Parce qu’il y a déjà trop d’articles dans le Code pénal turc qui empêchent la liberté d’expression et sont actuellement utilisés. C’est pourquoi il y a tant de prisonniers d’opinion. Je pense que la première raison de cette loi sur la censure est d’effrayer, d’intimider la société, car ils gouvernent par la peur. »
Chasse aux « sorcières »
Les journalistes kurdes ont été les premières victimes après l’adoption de la nouvelle loi. Le 25 octobre, dans neuf villes, onze journalistes kurdes ont vu la police turque débarquer à leur domicile. Ils ont reçu des coups, été insultés lors de mises en scènes humiliantes et des perquisitions brutales, avant d’être transférés à Ankara. Il s’agissait des journalistes de l’agence de presse kurde Mezopotamya et JinNews, une agence intégralement composée de femmes : Habibe Eren, Öznur Değer, Diren Yurtsever, Deniz Nazlım, Selman Güzelyüz, Zemo Ağgöz, Berivan Altan, Hakan Yalçın, Emrullah Acar, Ceylan Şahinli et Mehmet Günhan. Neuf d’entre elles ont été envoyées dans les prisons turques, « pour le seul crime d’avoir voulu informer l’opinion publique des politiques menées par le régime autoritaire d’Erdogan », affirment Solidaires et SNJ.
Journalistes kurdes en prison
Toujours selon l’Association des journalistes Dicle-Firat, basée à Diyarbakir au Kurdistan de Turquie, au moins vingt-trois journalistes ont été placés en garde à vue au cours du mois d’octobre et dix d’entre eux ont été placés en détention. « Quatorze journalistes ont été victimes de mauvais traitements et deux journalistes ont été menacés en octobre », ajoute l’association pour qui quatre-vingt-sept journalistes étaient derrière les barreaux le 1er novembre 2022.
Le syndicat turc des journalistes (TGS) affirme de son côté que quarante-quatre journalistes et travailleurs de médias étaient en prison le 31 octobre.
« En tant que défenseurs des droits humains, nous n’acceptons pas l’arrestation des travailleurs de médias et de journalistes kurdes (…) Les faits ne peuvent jamais être bloqués par des ingérences politiques et arbitraires. Nous soutenons jusqu’au bout les journalistes kurdes de l’agence Mezopotamya et de Jin News et exigeons leur libération », a déclaré l’Association des droits humains (IHD) dans un communiqué.
Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a également exhorté les autorités turques à libérer les journalistes kurdes et à cesser de les harceler.