L’occupation turque d’Afrin, tragédie ignorée : un pillage culturel et écologique (3/3)
La Turquie a imposé des changements drastiques à la ville kurde d'Afrin, au nord de la Syrie : patrimoine culturel systématiquement effacé, spoliation des sanctuaires religieux, pratiques discriminatoires visant à éradiquer l'identité kurde. En parallèle, les richesses naturelles de la région, notamment les oliviers, sont pillées à grande échelle, et l'eau devient une arme de guerre.
Pendant que le monde avait le dos tourné, l’État turc a imposé des changements drastiques à la ville kurde d’Afrin, au nord de la Syrie voisine. Le patrimoine culturel est systématiquement effacé par la turquisation des noms de lieux, la spoliation des sanctuaires religieux, et des pratiques discriminatoires visant à éradiquer l’identité kurde. En parallèle, les richesses naturelles de la région, notamment les oliviers, sont pillées à grande échelle, et l’eau devient une arme de guerre, utilisée pour exercer un contrôle destructeur sur la vie quotidienne des habitants.
Turquisation, spoliation…
À Afrin, les noms des villages et des places kurdes ont également été remplacés systématiquement par des noms turcs et turcs ottomans. Selon l’agence de presse ANHA, qui opère dans le nord et l’est de la Syrie, par exemple, le village de Kutana dans le district de Bilbilé à Afrin a été rebaptisé “Selcuk Obası” et le village de Shiketka dans le district de Mabata a été rebaptisé “Maghar Jug”.
Selon le journal Yeni Yaşam, la “Place de la Liberté” (Azadî) à Afrin a été rebaptisée “Place Atatürk”, le père fondateur de l’État turc, et le carrefour Watani a été rebaptisé “carrefour Recep Tayyip Erdoğan
« Les drapeaux turcs et les affiches d’Erdogan ont été accrochés partout et sur tous les panneaux dans les villages, les villes et les centres-villes, témoigne Mihemed Ebdo, porte-parole de l’Organisation des droits de l’homme d’Afrin. Du matériel turc a été utilisé dans les écoles. Des drapeaux turcs ont été cousus sur les uniformes des élèves. Les noms des enseignes des magasins sont écrits en turc. En plus de toutes ces pratiques racistes, l’État turc occupant a démoli des lieux de culte et des sanctuaires yazidis, alévis et chrétiens. Les personnes vivant dans les territoires occupés ont été forcées d’obtenir leurs cartes d’identité turques.»
Pillage des richesses naturelles
La région d’Afrin est particulièrement réputée pour ses oliviers et ses produits à base d’olives. Cependant, cette richesse a été pillée à grande échelle. Selon les données officielles, il y avait plus de 22 millions d’oliviers à Afrin avant mars 2018. Environ 2 millions d’entre eux ont été abattus par des groupes armés fidèles à l’État turc. Avant la guerre, 85 000 familles d’Afrin vivaient des revenus des produits à base d’olives. En outre, la matière première du “savon d’Alep”, une marque mondialement connue, était les olives d’Afrin.
L’huile d’olive est considérée comme de “l’or jaune” dans la région depuis des centaines d’années. On estime que l’État turc tire chaque année des dizaines de millions de dollars de cette richesse, qu’il considère comme un “butin”. Les olives et les produits à base d’olives sont également devenus un butin mondial. Des traces de ces produits ont été retrouvées dans les rayons en Europe et en Amérique. De sérieux soupçons pèsent sur l’acheminement officiel de ces produits vers le marché européen via la Turquie.
Blocus et pénurie d’eau
Cette région autonome, également appelée Rojava, est soumise à l’embargo à la fois de l’État turc et du gouvernement de Damas. À la suite de l’occupation d’Afrin, les réfugiés qui se sont réfugiés dans la région de Chahba font face à de graves difficultés d’accès aux produits alimentaires de base, au lait pour enfants, au carburant et aux médicaments en raison de l’embargo imposé par le gouvernement de Damas. A cause du blocus visant le canton de Chahba, l’enseignement a également été interrompu en novembre, privant 14 500 élèves d’éducation.
L’État turc, en plus d’appliquer déjà un embargo strict, vise systématiquement les principales sources de revenus de la région en les bombardant. En outre, il n’hésite pas à utiliser l’eau comme arme de guerre contre les Kurdes, exerçant fréquemment une pression sur l’autonomie en abaissant le niveau du fleuve Euphrate. Hamud El Hamadin, directeur du barrage de Rojava (Tishrine) dans la région de Kobané, souligne que la situation de la rivière, dont le débit est interrompu depuis près de trois ans, est catastrophique. El Hamadin précise que le niveau de l’eau du barrage dans la région a diminué de 85 %, ajoutant : « Nous espérons que les autorités turques comprendront l’ampleur de la catastrophe que nous traversons et rétablira le flux d’eau conformément aux accords. Il est nécessaire que la rivière, qui est la principale artère de la région, retrouve son état d’origine pour éviter de grandes catastrophes pendant l’hiver.»
« Toutes ces attaques et tous ces crimes se déroulent sous les yeux du monde, mais le monde reste aveugle, sourd et muet face à ces crimes contre l’humanité », dénonce Mihemed Ebdo.
À (re)lire :
Partie I : Occupation turque d’Afrin, tragédie ignorée : des crimes ouvertement annoncés.
Partie II : Occupation turque d’Afrin : déplacement forcé, nettoyage ethnique et violation des droits humains